mercredi 16 décembre 2009

Suggestion de lecture

À lire, ce court article (en anglais) de Mark Noll, un historien évangélique que j'aime beaucoup. Il fait une sorte de micro mise à jour de son excellent livre The Scandal of the Evangelical Mind en s'interrogant sur ce qui a changé depuis sa publication. C'est aussi une forme de résumé de ce livre, résumé qui devrait vous mettre l'eau à la bouche si vous ne l'avez pas encore lu.

Merci à Steve, "l'être" derrière theobeing, de m'avoir fait remarquer cet article. Au plaisir de te voir revenir sur la blogosphère, Steve !

jeudi 12 novembre 2009

Plaidoyer pour une certaine diversité théologique

Cet éditorial est paru dans le magazine Le Lien 26/6 novembre-décembre 2009, p.3.

Nous gagnerions à encourager une certaine diversité d’opinion à l’intérieur du mouvement évangélique. Évidemment, il ne s’agit pas de laisser place au relativisme (« les idées se valent toutes ») ou aux hérésies, ni d’abandonner nos convictions. Simplement, il faut reconnaître que ce n’est pas parce qu’un frère est en désaccord avec nous qu’il est automatiquement un mauvais chrétien. Sur plusieurs points, différentes opinions peuvent être vues comme étant non pas toutes aussi bonnes, mais acceptables pour un chrétien. Paul affirme cela dans Rm 14 ; 1 Co 8 ; 10,23-33 et met l’accent sur l’accueil et l’amour qu’il faut manifester envers nos frères et sœurs qui pensent différemment. N’oublions pas que nous avons tous été bénéficiaires de cet accueil à certains moments de notre vie chrétienne. Nous avons tous défendu des idées que nous avons ensuite abandonnées. Nous avons tous eu cette foi immature dont Paul parle, et c’est grâce à l’accueil des autres que nous avons pu grandir en maturité.

La diversité d’opinions s’explique par l’immaturité de certains, mais aussi par la complexité de certaines questions théologiques. Dès les premières années de la Réforme, des différences parfois importantes se sont manifestées entre les réformateurs. Malgré ces différences, Calvin considérait Luther comme un précieux instrument de Dieu. La situation actuelle n’est pas plus simple qu’à la Réforme et par conséquent les différences d’aujourd’hui ne sont pas surprenantes, surtout si nous reconnaissons nos limites personnelles (et communautaires) à décrire avec exactitude et exhaustivité toutes les grandeurs des desseins et des mystères de Dieu.

On peut se rapprocher de la vérité (et donc de Dieu) seulement si on est prêt à apprendre, donc à confronter dans le respect nos idées à celles des autres. Parfois, même si elles restent les mêmes, nos idées peuvent se préciser grâce au dialogue. Si on ne s’explique jamais à ceux qui pensent autrement, on devient paresseux intellectuellement, prenant pour acquis que tous les (bons) chrétiens pensent comme nous. Rappelons-nous que la diversité théologique à l’époque des Pères de l’Église et de la Réforme a donné lieu à une ébullition d’idées et à une productivité théologique qui nous stimule encore aujourd’hui. La diversité des membres n’empêche pas l’unité du Corps du Christ : elle le nourrit (1 Co 12-13).

mercredi 4 novembre 2009

Le filtre du carbone

Il fallait s'y attendre : certains ont encore trouvé moyen de détourner une bonne chose pour verser dans l'excès, pour ne pas dire dans le ridicule. En effet, un débat pointe son nez : selon certains, les gouvernements devraient accorder des crédits de carbone aux femmes qui se font stériliser puisque les enfants, futurs (méchants) consommateurs, produiront de grandes quantités de gaz à effet de serre. Il faut préciser tout de suite que nous ne parlons pas ici de fournir des moyens de contraception à des femmes qui ne peuvent s'en procurer dans les pays en développement et qui doivent se résigner à avoir huit enfants alors qu'elles préfèreraient n'en avoir que deux ou trois. Non, nous parlons plutôt d'éviter l'engendrement des pires enfants de la planète, soit les enfants des pays riches qui sont ceux qui consommeraient davantage au cours de leur vie et donc produiraient davantage de gaz à effet de serre.

Je précise tout de suite que je suis tout à fait en faveur de la mise en place de mesures importantes pour réduire la production de gaz à effet de serre et d'autres polluants. Je trouve aussi scandaleux que le gouvernement canadien se traîne les pieds dans ce dossier (et dans les autres dossiers liés à l'environnement), alors même que certaines compagnies canadiennes ont pris des mesures volontaires plus contraignantes que celles exigées par le gouvernement fédéral. Ce que je trouve surréaliste, c'est que pendant que l'on culpabilise les gens pour le fait de se reproduire ou même de vivre (après tout, même en n'achetant rien, notre respiration produit déjà du CO2 : quand va-t-on nous le reprocher ?), on permet aux gouvernements de laisser les transports en commun dans leur piètre état actuel et de ne pas légiférer pour contraindre les entreprises à apporter davantage de changements qui auraient des impacts beaucoup plus significatifs (on parle de milliards de tonnes de carbone !) que ceux que peuvent avoir les choix individuels, aussi bien intentionnés soient-ils. Bien que tous les choix soient importants, ceux qui sauveront (ou pas) la planète ne sont pas les choix individuels des citoyens comme le remplacement d'ampoules à incandescence par des fluocompactes, geste presque universellement reconnu aujourd'hui comme le strict minimum que tous ceux qui ne détestent pas l'environnement doivent poser (rassurez-vous : j'ai moi-même pris le virage fluocompacte). On aura beau bannir complètement l'ampoule à incandescence du Globe, tant que les industries ne seront pas contraintes à produire de façon moins polluante des produits eux-mêmes moins nocifs pour l'environnement, et tant que nos infrastructures ne nous permettront (voire obligeront) pas de vivre collectivement de façon plus respectueuse de l'environnement, on ne fera que filtrer le moucheron pour mieux avaler le chameau. Devons-nous vraiment choisir la stérilisation pour contrer le réchauffement de la planète alors que le remplacement relativement facile de l'exploitation des sables bitumineux, des centrales thermiques au charbon et des voitures à essence par des alternatives aurait un impact bien supérieur ? Autant ou plus d'êtres humains pourraient vivre sur cette planète tout en ayant moins d'impact sur l'environnement. Les États-Unis produisent près du quart des émissions de gaz à effet de serre tout en ne constituant pas 5% de la population mondiale. La différence ne s'explique pas seulement par le niveau de vie des Étatsuniens, incluant l'ampleur de la production manufacturière dans ce pays, mais plutôt par leurs modes de production et de consommation (et de gaspillage). La question est : sommes-nous prêts à encadrer la production pour assurer un développement durable ? Posée autrement, la question est : y a-t-il des (vrais) politiciens dans la salle ?

Pourquoi voulons-nous protéger l'environnement ? N'est-ce pas en partie, justement, pour assurer un monde meilleur (ou du moins éviter un monde pire) à nos ENFANTS ? S'il faut éliminer les enfants pour laisser un monde meilleur à la prochaine génération, il faut qu'on m'explique la logique adoptée. S'agit-il de laisser les pollueurs produire des biens de la même façon irresponsable jusqu'à ce qu'il n'y ait plus personne sur Terre pour les acheter ? Il se pourrait bien que le plus grand fléau mondial actuel ne soit pas l'emballement du climat mais, pour reprendre un calque de l'anglais, l'échec de notre imagination.

vendredi 30 octobre 2009

Suggestions de lectures anabaptistes

Dans un commentaire à mon billet du 2 octobre, mon ami Oscar (que je remercie) attire mon attention sur un document qui m'avait échappé : une description de l'anabaptisme intitulé What is an Anabaptist Christian? et publié par l'agence missionnaire de l'Église mennonite des États-Unis (le Mennonite Board of Missions de la Mennonite Church USA). Cette agence publie aussi de courts fascicules souvent très intéressants sur différents sujets dans la série Mission Insight. Vous trouverez ici le lien vers le document si le sujet vous intéresse. C'est une perspective assez intéressante sur l'anabaptisme, la vie chrétienne et même jusqu'à un certain point l'histoire de l'Église. Je dois avouer que je n'aurais pas écrit ce document moi-même dans les mêmes termes. La présentation de l'anabaptisme par rapport au reste du protestantisme (et du christianisme) y est parfois un peu trop tranchée : nombre d'anabaptistes (dont moi-même) tendent à se situer à quelque part entre les deux extrémités du spectre présenté. Souvent (mais pas toujours), cette tension s'exprime par la double appartenance de nombreux anabaptistes à deux courants, l'évangélisme et l'anabaptisme. Sans prétendre que ce mélange constitue la recette parfaite, je crois qu'elle permet parfois d'éviter certains des excès des deux mouvements pris dans leur forme "pure". Je dois aussi avouer ne pas partager entièrement l'évaluation du document concernant notamment Constantin, Augustin et les Réformateurs. Bien que les faits (d)énoncés à leur sujet soient probablement pour l'essentiel vrais, ils ne représentent pas entièrement et avec toutes les nuances la complexité des positions qui sont résumées d'une façon à souligner à grands traits ce qui distingue l'anabaptisme des autres visions représentées par ces individus. Évidemment, c'est en se distinguant des autres que l'on définit souvent son identité, ce que fait très (trop ?) bien ce document. Toutefois, et malgré cette présentation un peu "manichéenne" de l'identité anabaptiste, le document offre une perspective intéressante et évidemment très "pro-anabaptiste" qu'il vaut la peine de consulter. Dernière précision : le document se présente en partie comme une modernisation du très influent article "The Anabaptist Vision" de Harold Bender publié en 1944. Le document de l'agence missionnaire n'est probablement pas appelé à la même notoriété que l'article de Bender (que nous gagnerions à (re)lire), mais l'effort de modernisation est louable. Pour lire l'article de Bender, on peut consulter le Cahier Christ seul 4, Vision et spiritualité anabaptistes, 2001, qui contient non seulement une traduction de cet article, mais également un court article de Neal Blough, directeur du Centre mennonite de Paris, sur Bender et sa réception en France.

mardi 27 octobre 2009

Suggestion de visionnement

J'ai repéré il y a quelque temps un livre qui s'intitule The Year of Living Biblically. One Man's Humble Quest to Follow the Bible as Literally as Possible. Il s'agit de l'expérience d'un juif agnostique qui essaie de comprendre le phénomène religieux, notamment aux États-Unis, et qui décide, en plus de rencontrer différents groupes religieux (dont des évangéliques et des amish), de s'immerger dans son sujet en cherchant à suivre toutes les règles de la Bible prises littéralement. Je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de lire ce livre pour l'instant, mais j'ai visionné un court vidéo que vous trouverez ici. L'auteur y explique sa démarche et fait quelques observations et offre sa perception du fait religieux et de son expérience littéraliste. Les chrétiens disent souvent qu'ils aimeraient mieux comprendre ce que les gens pensent d'eux. Or, il y a dans ce vidéo certaines observations assez intéressantes. Un avertissement s'impose : le ton peut déplaire à certains. Il n'est pas irrévérencieux en tant que tel, mais il s'agit d'un humour qui ne plaira pas à tous.

mardi 20 octobre 2009

Plaidoyer pour un moratoire sur les plans de développement ou Le syndrome des Marthe agitées

Pendant qu'ils étaient en route, il entra dans un village, et une femme nommée Marthe le reçut. Sa soeur, appelée Marie, s'était assise aux pieds du Seigneur et écoutait sa parole. Marthe, qui s'affairait à beaucoup de tâches, survint et dit : Seigneur, tu ne te soucies pas de ce que ma soeur me laisse faire le travail toute seule ? Dis-lui donc de m'aider. Le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part : elle ne lui sera pas retirée (Lc 10,38-42, Nouvelle Bible Segond)

En relisant ce passage, il m'est venu une actualisation, ou plutôt une extension de cette histoire en pensant à l'oeuvre chrétienne au Québec. La communauté évangélique québécoise, malgré son infime taille (40 000 membres "actifs"), a une panoplie de programmes et d'institutions, incluant un nombre impressionnant de familles d'églises, d'églises indépendantes et d'écoles (plus d'une douzaine d'écoles bibliques, théologiques et autres centres de formation !). Chaque année, plusieurs initiatives et programmes sont créés et des églises naissent. La planification stratégique est devenue une seconde nature pour la plupart des ouvriers évangéliques, avec des projections de croissance sur 5, 10 et 25 ans et des "modèles d'affaires" inspirés de grandes entreprises ou d'églises aux États-Unis (notamment les Méga-églises). Pour paraphraser un ami, à la vue de ses structures organisationnelles, on croirait parfois que le mouvement évangélique québécois est appelé à gérer le budget des États-Unis d'Amérique ! En réalité, l'organisation et la création de programmes rime rarement avec la concertation avec les institutions déjà en place ou naissantes. Pire, on a beau planifier et organiser, il règne au Québec une absence de cohésion et de collaboration, mais aussi un manque d'efforts ciblés donnant des résultats significatifs. Nous n'avons d'ailleurs pratiquement jamais le réflexe d'évaluer les résultats d'un programme ou d'un plan stratégique : à peine celui-ci terminé, nous sautons à pieds joints dans une nouvelle entreprise avec le même enthousiasme débordant (ou troublant ?) que lors des 15 tentatives infructueuses précédentes. Nos programmes vivotent ? Pas de problème ! Créons-en d'autres ! Nous finirons bien par tomber sur quelque chose qui marche.

Nos efforts d'organisation et de planification ne réduisent pas le dédoublement des programmes et des institutions, ils l'accroissent. Notre niveau d'organisation (incluant les impressionnants organigrammes) est d'une ampleur qui frise souvent le ridicule, étant donnée la taille des confessions et institutions au Québec. Nous voulons chacun avoir un programme qui fait la même chose que celui de la famille d'églises ou de l'organisme voisin, peu importe si nous contribuons ainsi à la précarité de tous ces programmes. Évidemment, une partie du problème est due au couper-coller qui caractérise souvent nos programmes et institutions : nous reprenons une structure ou un programme existant ailleurs au Canada ou aux États-Unis, sans toutefois avoir la masse critique qui permet à ces multiples initiatives concurrentes d'être viables là-bas. Nous n'avons ni les moyens financiers ni les ressources humaines nécessaires pour soutenir de telles structures, et surtout nous ne prenons même pas le temps de nous demander si une adaptation du modèle (ou de la "récette") est nécessaire pour le contexte québécois. Nous oublions ainsi de faire ce que plusieurs de ces "gurus" qui nous impressionnent tant ont fait : étudier leur contexte pour mieux joindre les gens. Nous préférons reprendre un truc de marketing ou une technique comme l'ajout de musique techno (bon d'accord, disons de guitare) lors du culte (à quand le sermon lip dub et l'évangélisation flash mob ?) plutôt que de chercher à comprendre les gens que nous voulons joindre.

Au Québec, nous avons besoin de réflexion. Nous devons notamment écouter l'Esprit nous guider dans la compréhension de ce qu'est l'Évangile en terre québécoise. Nous nous agitons avec des programmes, des séminaires, des plans de développement stratégiques, etc. Or, nous ne savons même pas comment évangéliser ou former des disciples enracinés dans et en dialogue critique avec la culture québécoise. Nous voulons implanter des églises et nous ne savons même pas ce à quoi devrait ressembler l'église en sol québécois. Arrêtons tout ! Assoyons-nous aux pieds du Maître et écoutons dans la méditation, la réflexion.

Dans l'histoire de Lc 10, Marie écoute la parole de Jésus. Il s'agit évidemment d'un acte cognitif ou intellectuel, mais c'est aussi plus que cela. Dans Luc (comme ailleurs dans le Nouveau Testament), écouter la parole de Jésus ne constitue pas qu'un exercice cérébral : il faut écouter (et comprendre) la parole de Jésus pour ensuite la mettre en pratique (voir par exemple Lc 6,46-49 ; 8,21 ; 11,27-28). Il n'y a pas de compréhension acceptable sans mise en pratique. Mais l'inverse est aussi vrai : la mise en pratique nécessite une compréhension juste et sollicite notre réflexion. Sinon, que met-on en pratique, exactement ? On ne peut pas simplement se mettre à courir dans la forêt en espérant que l'on finira par aboutir quelque part (et, lorsqu'on se rend compte que l'on est perdu, se mettre à courir plus vite). Pourtant, il me semble que c'est exactement ce que nous faisons dans le milieu évangélique québécois.

Oui, nous avons grandement besoin de réflexion. Et notre réflexion doit aller au-delà de l'interrogation "comment implanter le plus d'églises dans les 5 prochaines années (en 3 étapes faciles) ?" pour inclure des questions comme "Comment proclamer l'Évangile au Québec ? Qu'est-ce qu'être chrétien au Québec ? Qu'est-ce qu'être fidèle à l'Évangile tout en embrassant l'incarnation de cet Évangile en contexte québécois ? Comment articuler un discours chrétien public, c'est-à-dire une théologie compréhensible et solide qui n'est pas uniquement faite pour consommation interne, autrement dit une réelle apologétique (au sens où elle a été pratiquée dans les premiers siècles de l'Église en contexte gréco-romain) ?" Sans avoir répondu au moins partiellement à ces questions, nous sommes condamnés à nous agiter pour beaucoup de choses et à accomplir bien peu.

jeudi 15 octobre 2009

Les études bibliques à Sheffield

Une nouvelle intéressante concernant le programme d'études bibliques de l'Université Sheffield. Ce programme fondé par F. F. Bruce (un bibliste anglican évangélique) a une réputation internationale solide et a influencé de façon majeure les études bibliques au 20e siècle, malgré certains excès dans sa contribution à l'élaboration d'hypothèses et de théories parfois un peu douteuses ces dernières décennies. Les presses de l'Université Sheffield ont elles aussi contribué substantiellement à l'avancement des études bibliques. L'article suivant raconte que l'équivalent de la Faculté des arts et sciences de l'Université Sheffield avait songé éliminer ce programme mais a dû renoncer à le faire devant les protestations de la communauté estudiantine et de la communauté scientifique internationale. Cela rappelle la position fragile dans laquelle se trouvent la théologie et les études bibliques dans les universités publiques, mais aussi la contribution vitale de ces disciplines à la vie académique et même aux sociétés occidentales.

J'ai écrit dans ce blogue quelques réflexions sur la pertinence de la théologie en contexte universitaire dans cette entrée et surtout dans celle-ci.

vendredi 2 octobre 2009

Suggestions de lecture et de visionnements

Pour ceux qui s'intéressent à l'anabaptisme et aux mennonites, je vous invite à lire le livre suivant sur l'histoire des mennonites. Il est écrit par le directeur du Centre mennonite de Paris, Neal Blough, un des grands spécialistes francophones de l'histoire anabaptiste.

Vous pouvez aussi consulter les vidéos suivants sur l'histoire des mennonites. Merci au blogue du Centre mennonite de Paris d'avoir attiré mon attention sur ces courts films.

Deux rencontres avec des anabaptistes

Voici deux articles intéressants racontant des rencontres avec des anabaptistes. Le premier article, en français, raconte la rencontre de Ruben Saillens au 19e siècle avec un anabaptiste. C'est un très beau récit qui illustre bien certains aspects de certaines communautés anabaptistes. Le deuxième article, en anglais, raconte une rencontre d'un luthérien avec des amish. Ce dernier article permet notamment de souligner les ecclésiologies (compréhensions de ce qu'est (sont) l'Église (les églises)) différentes présentes dans les églises luthériennes et les églises anabaptistes, ainsi que leurs visions différentes du rôle du chrétien dans le monde. Évidemment, l'ecclésiologie et la vision du rôle du chrétien dans le monde chez les amish ne représentent pas la vision anabaptiste dans son ensemble (notamment, d'autres anabaptistes estiment que les chrétiens doivent s'engager davantage dans la société). Toutefois, il s'agit bien d'une certaine vision anabaptiste qui a des ressemblances avec la perspective de nombreux autres anabaptistes. Pour prendre l'analogie d'une onde, on pourrait dire qu'on joue dans les mêmes fréquences, mais que les amplitudes sont différentes. Ceux qui veulent en savoir davantage sur les amish peuvent lire un excellent ouvrage en français sur le sujet (et une myriade d'ouvrages en anglais), soit Les amish. Une énigme pour le monde moderne. Vous pouvez consulter une description de ce livre en consultant les publications de la série Perspectives anabaptistes, une série dirigée par le Centre mennonite de Paris.

vendredi 18 septembre 2009

Suggestion de lecture

Un court billet (en anglais) qui contient quelques perles. Le ton ne plaira pas à tous, mais c'est une lecture fort divertissante.

Merci à Steve Robitaille d'avoir attiré mon attention sur ce billet.

vendredi 11 septembre 2009

La mission de Jésus

Cet article est paru dans le magazine Le Lien 26/5 septembre-octobre 2009, p. 8-9, 20.

Un « énoncé de mission » ?

Être chrétien, c’est par définition chercher à suivre le Christ et à conformer sa vie à la sienne. C’est en partie ce qui explique pourquoi tant de gens ont cherché à décrire le centre de la vie, du ministère et de la mission de Jésus. Se fondant sur différents textes du Nouveau Testament, les uns ont dit que Jésus y était surtout décrit comme le sauveur de l’humanité, d’autres comme le Messie inaugurant le Règne de Dieu. D’autres ont décrit sa mission comme la réconciliation de l’humanité à Dieu et d’autres enfin ont vu en Jésus d’abord et avant tout le fondateur d’un mouvement, un prophète ou un enseignant qui visait à corriger les perspectives erronées de son peuple. Ces différents énoncés sont probablement tous descriptifs de Jésus et de son œuvre, mais décrivent-ils le « centre » de la vie et de la mission de Jésus ? Est-il possible de déterminer quel est l’élément central animant sa mission, sa vie, en fait tout son être ?

En l’absence d’un texte biblique qui répond directement à la question, nous devons faire preuve de prudence. Toutefois, il est raisonnable d’aborder la question non pas en examinant un texte visant à expliquer ou à justifier un acte ou un enseignement précis de Jésus, mais plutôt un texte qui aborde la mission de Jésus en termes généraux. Nombreux sont ceux qui voient un tel texte en Lc 4,16-30. Ce texte est probablement le passage des Évangiles qui ressemble le plus à ce qu’on appelle aujourd’hui un « énoncé de mission ». Il s’agit vraisemblablement d’une description sommaire de la mission de Jésus. Le passage suit immédiatement le résumé des débuts du ministère de Jésus (Lc 4,14-15), texte suivant lui-même la séquence du baptême, de la généalogie et de la tentation de Jésus (Lc 3,21-4,13). Nous sommes donc toujours en Lc 4,16-30 dans l’introduction au ministère de Jésus. Le texte décrit l’arrivée de celui-ci à Nazareth, lieu où il a grandi, et sa participation au culte à la synagogue. Jésus y fait la lecture publique de passages d’Isaïe (61,1-2 et 58,6) associés au Messie et qui font référence à l’année d’accueil (ou de grâce), c’est-à-dire à l’année du Jubilé. Après la lecture, Jésus affirme que cette écriture est accomplie, clairement par sa propre personne/son ministère. Jésus inscrit donc sa mission dans la perspective d’un Jubilé. Évidemment, il est clair dès la première lecture que le Jubilé est ici une image du salut et de la délivrance, mais pour nous assurer de bien comprendre la description de la mission de Jésus que nous avons ici, il faut mieux comprendre ce qu’était le Jubilé.

Le Jubilé

Selon la loi de Moïse (Lv 25), lors du Jubilé, qui était censé avoir lieu tous les 50 ans, tous ceux qui étaient esclaves étaient supposés être libérés, les terres devaient être laissées en jachère, les dettes devaient être annulées et les terres et maisons vendues devaient être retournées à leur propriétaire originel. Il faut utiliser le conditionnel parce qu’il n’y a pas d’évidence que cette loi ait vraiment été appliquée. Il s’agit peut-être d’un idéal que les Israélites ont jugé trop difficile à atteindre. On voit par la prédication des prophètes qu’un tel idéal égalitaire n’a jamais pu prendre racines en Israël. Les prophètes dénoncent régulièrement l’enrichissement de l’élite au détriment des pauvres. Notamment, Is 5,8 dénonce la consolidation des terres par l’élite d’Israël, qui profitait de l’endettement de certains pour acquérir de larges domaines agricoles (voir aussi Jr 5,26-29 ; Mi 2,1-2 et Am 2,6-8 ; 8,6).

Qu’elle ait été pratiquée ou non, la loi du Jubilé avait en partie pour but d’éviter que les familles perdent pour plus d’une génération leur terre. On assurait ainsi à tous la possession de la terre, par définition le moyen principal de subsistance dans une société agraire comme Israël aux temps de l’Ancien Testament. Puisque la terre appartenait en réalité à Yahvé (Lv 25,23), elle ne pouvait pas être vendue de façon définitive. La loi demandait donc qu’on achète la terre pour un certain nombre d’années, et que le prix d’achat soit fixé selon le nombre de récoltes entre l’achat et l’année du Jubilé, puisqu’on achetait davantage les récoltes que la terre (Lv 25,16).

De même, les Israélites, qui étaient considérés être les serviteurs de Yahvé, ne pouvaient pas devenir les esclaves de quelqu’un d’autre de façon permanente (Lv 25,42.54.55). Lorsqu’une famille était incapable de payer une dette, il n’était pas rare que le père vende des membres de sa famille ou qu’il se vende lui-même en esclavage au créancier. La loi permettait qu’un membre de la famille de l’esclave le rachète (ou que l’esclave se rachète lui-même) en fonction du nombre d’années qui restaient avant le Jubilé. En effet, comme on achetait les récoltes plutôt que la terre, on achetait des années de service d’un esclave plutôt que sa propre personne. Le rachat pouvait donc se faire sur la base du nombre de jours (ou d’années) pendant lesquels l’esclave aurait servi son maître avant sa libération lors de l’année jubilaire s’il était demeuré à son service jusque-là. La loi du Jubilé visait à permettre à ceux qui n’avaient pas pu se racheter ou se faire racheter (et surtout à leurs enfants) de regagner leur liberté et de donner une porte de sortie de la misère. La misère ne pouvait donc en théorie durer plus d’une génération : les enfants devaient retrouver la liberté et la terre perdues par leurs parents. Lorsqu’on pense que la misère est malheureusement une condition qui tend à se transmettre d’une génération à l’autre même dans notre société, la loi jubilaire est un énoncé puissant en faveur de la redistribution des biens et de la liberté, deux aspects centraux de ce que l’on appelle souvent la justice sociale.

Le salut

Mais n’est-il pas étrange que la mission de Jésus soit ainsi décrite non seulement par l’annonce (et la mise en œuvre) du salut, mais aussi en évoquant la redistribution des biens, la délivrance des démunis et la correction des injustices sociales ? Tout dépend des frontières que l’on donne au concept du « salut ». S’il s’agit du salut de l’âme des appelés, cela est effectivement étrange. Mais dans la Bible, le « salut » est un concept beaucoup plus englobant. Dieu est souvent décrit comme le sauveur ou le libérateur du pauvre ou de l’opprimé (Ps 34,19 ; 40,18). À l’époque des Juges, en Israël, Dieu suscite régulièrement des sauveurs, qui délivrent le peuple de l’oppression ennemie. Dieu lui-même est décrit comme sauveur de son peuple au sens militaire du terme. C’est lui qui délivre le peuple de l’esclavage en Égypte, qui les ramène de l’exil à Babylone, etc. D’ailleurs, même dans l’Empire romain, la notion de « salut » était très répandue et elle comprenait aussi des dimensions sociales, économiques et même militaires. L’Empereur était appelé le soter, le « sauveur ». Il n’est donc pas innocent dans les Évangiles d’appeler Jésus le « sauveur » : c’est lui qui peut vraiment assurer le salut des humains, l’Empereur n’est lui-même qu’un homme.

Le salut annoncé par Jésus dans les Évangiles n’est donc pas concerné uniquement par « l’âme » : il s’agit de la restauration complète de l’être. Ainsi en Mc 5,21-43, Jésus ne fait pas que guérir la femme qui a des écoulements de sang de son mal physique : il la restaure socialement et religieusement. Elle n’est plus impure et elle peut de nouveau participer à la vie sociale et religieuse de son peuple. Il en est de même pour les lépreux ou le démoniaque (Mc 5,1-20) que Jésus guérit et qui peuvent réintégrer la société qui les avait exclus.

En utilisant l’image du Jubilé en Lc 4, Jésus fait référence au salut global qu’il va apporter aux gens, incluant leurs besoins physiques et spirituels. Jésus annonce la délivrance aux pauvres, c’est-à-dire à ceux qui connaissent des difficultés, qui sont captifs, aveugles ou opprimés (entre autres), et non seulement ceux qui sont pauvres du point de vue économique.

Plus qu’un énoncé de mission

Cette description de la mission de Jésus n’est pas propre à Lc 4. En Mt 11,5, la mission de Jésus est résumée en termes similaires. Devant l’interrogation de Jean le Baptiste au sujet de la messianité de Jésus, ce dernier répond : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ». Jésus reprend ici différents textes d’Isaïe (26,19 ; 29,18-19 ; 35,5-6 ; 61,1). Il dit à Jean : voici mon œuvre. Crois-tu qu’il s’agit-là de l’œuvre du Messie ? Jean doit s’interroger sur sa conception du Messie. Peut-être avait-il, comme la plupart des Juifs de son temps, une conception trop étroite, trop nationaliste et militaire, du Messie : le Messie allait délivrer Israël de la domination païenne et instaurer le Règne de Dieu parmi son peuple. Mais Jésus inaugure le Règne de Dieu non pas en chassant les Romains mais en libérant les opprimés, en guérissant les malades et en prenant soin des gens qui sont dans le besoin, en les restaurant dans leur pleine humanité.

Et en lisant bien les Évangiles, il semble que cela ait été effectivement au centre du ministère de Jésus. Les guérisons et miracles opérés par Jésus ont bien sûr pour but de soulager la souffrance, mais aussi de démontrer non pas seulement la puissance de Jésus mais quel genre de Messie-sauveur il est : le Seigneur de la vie, qui domine sur la vie comme sur la mort, sur la santé comme sur la maladie, sur les anges comme sur les démons. Ce que Jésus affirme, c’est qu’il vient instaurer le Règne de Dieu qui remplacera le règne des hommes, et où l’oppression et l’injustice seront remplacées par la justice et la bénédiction de Dieu.

Les béatitudes (Lc 6,20-26) et le Magnificat (Lc 1,46-55), le poème de louange de Marie, soulignent à grands traits le parti pris de Dieu pour les malheureux et la puissance de Dieu pour abaisser les riches et les puissants et élever les faibles et les opprimés. Il faut reconnaître la radicalité de ces énoncés dans le contexte du 1er siècle : le Magnificat est un poème qui frise la sédition et les propos révolutionnaires dans un monde romain fortement hiérarchisé, patriarcal, et où la domination du plus fort est un mode de vie. Au moment où Marie a prononcé ces mots, César Auguste était au sommet de la pyramide qu’était l’Empire romain. Il était servi par tous et il était devenu un des hommes les plus riches de l’Antiquité. Or, Marie, pavant la voie au ministère de Jésus, affirme que Dieu « a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles ; les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides ». Quant à Jésus, né dans le dépouillement et vivant à la périphérie, à Nazareth, il dira des choses comme « qui est le plus grand, celui qui sert ou celui qui est à table ? (…) Or, moi, je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert » (Lc 22,27) ou « si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur » (Mt 20,26). Il lavera même les pieds des disciples, tâche réservée habituellement à l'esclave (Jn 13,1-17). Jésus renverse le système romain et son ordre social. Le Règne de Dieu et le salut apportés par Jésus sont englobant, ils ont donc aussi une dimension sociale et dérangent l’ordre social établi. Les disciples eux-mêmes auront beaucoup de peine à accepter ce renversement (Lc 9,46-48 ; Jn 13,6-8). Ils ne seront pas les seuls : depuis 2000 ans, les chrétiens peinent à accepter la radicalité du discours social de Jésus. Et pourtant, le renversement social que constitue l’éthique du Règne de Dieu est visiblement au centre de la mission de Jésus.

vendredi 14 août 2009

Genèse 1-3 hier et aujourd'hui

Cet article est paru dans le magazine Le Lien 26/4 Juillet-Août 2009, p. 7-9,13.

Comme mon collègue Éric Wingender l’a expliqué dans un article de ce numéro du Lien, pour comprendre la profondeur du message de Gn 1-3, il est nécessaire de faire appel au contexte historique et culturel dans lequel ces textes ont été écrits. La préoccupation motivant la rédaction de ces textes, c’est justement de corriger des éléments problématiques des récits de création des dieux (théogonies), du monde (cosmogonies), et de l’humain (anthropogonies) répandues au Proche-Orient ancien et qui constituaient des éléments centraux de la vision du monde des voisins d’Israël et des Israélites eux-mêmes. En effet, non seulement les voisins d’Israël, mais les Israélites eux-mêmes se représentaient le monde, le(s) dieu(x) et les humains de façons qui posaient problème pour les auteurs de la Bible. On le voit souvent dans l’Ancien Testament : l’Israélite moyen n’était pas très différent du Cananéen païen polythéiste, idolâtre et superstitieux. Il fallait corriger la vision du monde des Israélites, ce qui est le but de Gn 1-3. Heureusement pour nous, la correction de la vision du monde de l’époque constitue aussi un message puissant et vital pour nous aujourd’hui. Mais avant de pouvoir l’actualiser, encore faut-il comprendre son sens à l’origine. Nous verrons donc en premier lieu une explication sommaire de la portée originelle de Gn 1-3 à la lumière de son contexte et en second lieu une piste d’actualisation de ce message. Nous nous concentrerons sur ce que le texte dit concernant l’être humain, tout en reconnaissant l’importance de ce qu’il affirme concernant le monde et Dieu.

À l’origine


Il suffira ici de résumer les éléments centraux des récits mésopotamiens pour se faire une idée du contexte de Gn 1-3. En effet, bien que l’Égypte était une grande civilisation géographiquement plus proche d’Israël, la vision du monde de l’Israélite (ou du Cananéen) moyen comportait davantage d’affinités ave celle des habitants de la Mésopotamie (grosso modo l’Irak actuel) qu’avec celle des Égyptiens(1). Alors, quelle est-elle donc, cette vision mésopotamienne de l’être humain ?

Raison d’être de l’humain

Dans les récits anthropogoniques mésopotamiens, l’être humain est créé pour être l’esclave des dieux, qui ont besoin de quelqu’un pour les loger et les nourrir, ce que l’humain peut accomplir par le culte. Lorsque les gens entretenaient les temples des dieux et leur offraient des sacrifices (nourriture et boisson), ils leur offraient en fait le gîte et le couvert. L’être humain existait donc pour des raisons purement utilitaires. La relation avec les dieux était minimale, telle la relation qu’un esclave doit avoir avec son maître pour pouvoir comprendre ses ordres.

Explications des problèmes des humains

On peut deviner que, vu la fonction strictement utilitaire des humains, les problèmes que pouvaient subir ces derniers n’étaient pas vraiment une préoccupation pour les dieux. En fait, de tous les problèmes que pouvaient connaître les humains, seule leur disparition complète pouvait être réellement préoccupante pour les dieux mésopotamiens (qui donc pourrait alors les servir ?). C’est d’ailleurs pour cette raison que dans un récit de déluge mésopotamien les dieux regrettent avoir exterminé les humains (heureusement que l’équivalent d’un Noé mésopotamien survit pour pouvoir les nourrir !). Qu’un être humain souffre, soit malade ou qu’il meure n’était donc habituellement sans intérêt pour les dieux mésopotamiens, en autant que d’autres humains soient en mesure d’assurer le service des dieux.

Divers éléments négatifs de la condition humaine sont ainsi expliqués par l’indifférence des dieux à l’égard de la condition des humains ou par les erreurs commises dans le processus de création. Par exemple, dans le mythe d’ENKI et NINMAH, ces dieux célèbrent la création du premier homme (une sorte d’Adam mésopotamien) et en forment d’autres à partir du « prototype » mais, s’étant enivrés, ils se mettent à faire des erreurs. Ils créent notamment des eunuques et des femmes stériles. Les infirmités des humains sont ainsi attribuées à un défaut de création(2).

Il est intéressant de noter que les problèmes de l’humanité selon Gn 1-3 ne sont justement pas dus à un défaut de fabrication mais à la rébellion des humains contre le plan de Dieu. En fait, en comparant bien l’enseignement théologique (plutôt que les détails « techniques » comme le matériau utilisé pour faire l’humain, etc.) de Gn 1-3 et des textes mésopotamiens, il apparaît de plus en plus clairement que c’est tout Gn 1-3 qui semble avoir pour but de contrecarrer divers éléments problématiques des récits mésopotamiens quant à leur conception de l’être humain, de sa fonction, de sa relation au monde divin (sans parler de la nature même de(s) Dieu(x)).

Ainsi, le dur labeur de Gn 3 fait écho au labeur imposé aux humains pour soulager les dieux mésopotamiens. Nous l’avons déjà souligné, selon les Mésopotamiens l’être humain est créé comme esclave des dieux pour assurer leur subsistance (notamment par les sacrifices). Dans Genèse, l’intention divine n’est pas de faire des esclaves travaillant dans des conditions pénibles. Les conditions de travail difficiles connues par les gens vivant aux temps bibliques sont expliquées non pas comme étant dues à la condition servile de l’humain mais à son refus de Dieu (Gn 3,17-19). De même, la mort est décrite dans Genèse comme une conséquence d’une rupture avec Dieu alors que dans les récits mésopotamiens elle est simplement le dessein des dieux pour les humains : « Lorsque les dieux créèrent l’humanité, c’est la mort qu’ils ont donnée à l’humanité ; la vie, dans leurs mains ils l’ont gardée ! »(3).

D’ailleurs, on peut même se demander si la mort dans Gn 3,19 fait partie du châtiment pour la faute de l’humain ou s’il en constitue la fin en mettant un terme à son labeur : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain (ou de la nourriture), jusqu’à ton retour à la terre, car tu as été pris d’elle ; car tu es poussière, et à la poussière tu retourneras ». Il est intéressant de noter la présence de la préposition ‘ad (= « jusqu’à »), indiquant en hébreu le terme ou la limite d’une action, ce qui suggère un terme au châtiment de Gn 3,17-19. Ce châtiment semble donc porter surtout sur le travail de l’humain qui est devenu pénible par sa faute et non sur sa mort, qui constitue une délivrance du labeur. La mort est toutefois en quelque sorte un châtiment puisque l’humain est expulsé du jardin, ce qui fait qu’il n’a plus accès à l’arbre de vie (Gn 2,17 ; 3,22-24)(4). Que la mort fasse partie du châtiment ou en constitue le terme, il est clair que le fait que le travail soit rendu pénible par le châtiment indique qu’il n’était pas prévu originellement par Dieu qu’il en soit ainsi. De même, la mort n’est attribuée aux humains dans Genèse que suite à leur faute et non dès leur création comme en Mésopotamie.

La clé pour comprendre le message de Gn 1-3 est donc d’essayer de comprendre comment les Israélites, à qui le texte est adressé, comprenaient le monde, Dieu et l’être humain. Que devaient-ils apprendre par ces textes ? Il ne faut pas s’imaginer que Gn 1-3 a été écrit pour le bénéfice d’Adam et Ève, pour leur remettre le nez dans leur erreur. Ces textes s’adressent bien aux Israélites qui ont, eux aussi, à faire un choix. Ils peuvent vivre dans la Terre promise que Dieu leur a donnée, ou ils peuvent en être expulsés, comme Adam et Ève ont été expulsés du Jardin (Dt 30,15-20). Cela dépend d’eux uniquement. Ils ont donc une influence réelle sur leur destinée. C’est tout le contraire de ce que les Israélites (et les Cananéens et les Mésopotamiens) croyaient. En effet, ceux-ci se percevaient comme des esclaves, seuls dans un monde hostile plein de dangers surnaturels qui les dépassaient, sans apparent contrôle sur leur destinée et sans le soutien des dieux qui étaient indifférents à leur sort. Notez à quel point la phrase précédente demeure vraie pour beaucoup de nos contemporains si on remplace les mots « esclaves » par « produits du hasard » et « surnaturels » par « naturels ». À cela, Gn 1-3 répond aux Israélites anciens et aux humains de tout temps que Dieu veut les bénir et qu’ils peuvent entrer dans la bonté et les bénédictions de Dieu avec confiance.

Et aujourd’hui

La conception de l’être humain, notamment de sa dignité, de sa responsabilité, et de son statut de créature à l’image de Dieu, est aussi importante aujourd’hui qu’aux temps bibliques. Cette conception aura une influence directe sur le sens que nous donnerons à notre vie et sur notre comportement, notamment à l’égard des autres. Nous devons reconnaître dans Gn 1-3 (notamment en 1,27-29) un mandat donné par Dieu aux humains pour déployer les possibilités latentes dans la création (comme l’énonce le théologien J. K. A. Smith). Que l’homme soit à l’image de Dieu veut dire rien de moins que nous sommes ses « sous-créateurs », partenaires à part entière de sa création. Cela inclut toutes les sphères de la vie, comme le développement des arts, de la culture et de la science, le développement de la civilisation et la gestion de l’environnement et des écosystèmes. Dieu est le Dieu à la fois de la rédemption et de la création. Cela veut dire que l’œuvre de rédemption et le salut de Dieu en Christ doivent s’opérer dans toutes les sphères de l’activité humaine, dans les institutions sociales, la culture, la civilisation et l’environnement. Et nous pouvons, par notre action ou notre inaction, contribuer à créer ce monde ou à le détruire(5).

Notes
1. Ceci étant dit, il n’est pas vérifié de façon certaine que les auteurs bibliques connaissaient précisément les textes mésopotamiens que nous avons retrouvés. Cependant, ceux-ci ont suffisamment de points communs et proviennent de localités suffisamment distantes les unes des autres pour nous permettre de croire que la vision du monde que nous pouvons dégager de ces textes correspond en gros à celle qui circulait et qui a été adoptée par la majorité des peuples de la Mésopotamie à Israël et ses environs. Il est clair que de nombreux autres récits du genre ont été transmis oralement ou par écrit sans laisser de traces.
2. G. Couturier, « La mort en Mésopotamie et en Israël. Phénomène naturel ou salaire du péché ? », dans Coll., Essais sur la mort, Héritage et Projet 29, Montréal, Fides, 1985, repris dans « En commençant par Moïse et les prophètes... », Études vétérotestamentaires, Montréal, Fides, 2008, p. 95-135, p. 111.
3. Extrait de l’Épopée de Guilgamesh cité dans G. COUTURIER, « La mort en Mésopotamie… », p. 112.
4. G. Couturier, « La mort en Mésopotamie… », p. 133-135.
5. Pour une discussion plus étendue de la théologie de Gn 1-3 et des conséquences fondamentales qu’il faut en tirer pour aujourd’hui, on peut lire P. Gilbert, Demons, Lies and Shadows. A Plea for a Return to Text and Reason, Winnipeg/Hillsboro, Kindred, 2008, notamment le chapitre deux.

mercredi 4 mars 2009

À propos de la campagne sur l'athéisme

Vous avez sûrement entendu parler de la campagne internationale de publicité faisant en quelque sorte la promotion de l'athéisme avec des slogans du genre "Dieu n'existe probablement pas. Alors cessez de vous inquiéter et profitez de la vie". Certains y ont vu une campagne iconoclaste et certaines villes au Canada et ailleurs ont même refusé de l'autoriser. Toutefois, il faut reconnaître que la publicité est plutôt respectueuse (du moins au Canada) et n'attaque pas directement les religions ou même les croyances. Le slogan cité plus haut implique que l’athéisme est proposé seulement comme une hypothèse, ce qui, avouons-le, est une approche très respectueuse à cette question complexe.

Au-delà du ton, cette campagne a aussi le mérite de poser la question de l’existence de Dieu, probablement la question la plus fondamentale qu’un être humain puisse se poser. Or, cette question et ses implications sur le sens de la vie et sur de nombreuses questions éthiques sont souvent repoussées dans la sphère privée, en partie comme moyen d’évitement. La plupart de nos contemporains préfèrent ne pas se poser la question ou se contenter d’une réponse inoffensive, du genre : « Dieu existe, mais n’a rien à cirer de mon comportement au quotidien » ou « Dieu existe, mais il n’est qu’une force qui sourit béatement sur l’humanité ». Les implications de l’existence de Dieu ou les demandes qu’un tel Dieu pourrait faire à l’humanité sont ainsi évacuées au profit d’une conception de Dieu qui est à notre portée, accessible et utilitariste, ce qui correspond très bien à la définition d’une idole.

Il y a donc un grand mérite à poser publiquement une telle question. D’ailleurs, l’Alliance Évangélique Suisse soutient l’organisation en Suisse d’une telle campagne précisément parce qu’elle aurait pour effet de pousser les Suisses à réfléchir à la question de Dieu. De même, l’Église Unie du Canada a utilisé la campagne pour tenter de lancer une discussion sur le sujet. Son slogan, paru récemment, reprend le slogan plus haut, mais y ajoute une case à cocher (comme lorsqu'on vote), de même qu'un slogan alternatif : "Dieu existe probablement. Alors cessez de vous inquiéter et profitez de la vie". Le lecteur est invité à cocher le slogan de son choix et surtout à prendre part à une discussion sur le sujet.

En plus des mérites liés à l'ouverture d'une discussion respectueuse, une autre considération doit nous pousser à respecter cette campagne publicitaire, soit le principe de la liberté d’expression. En effet, celle-ci existe précisément pour permettre à des voix dissidentes de s’exprimer. Si l'histoire nous a appris quelque chose, c'est bien qu'on ne peut imposer la foi chrétienne à la société. De toute façon, même l'enseignement du Nouveau Testament nous conduit à cette conclusion. Suivre le Christ doit être une décision personnelle, vu les conséquences impliquées par cette décision. Plus encore, c’est ce choix personnel que Dieu désire : que nous choisissions de le suivre librement. Il pourrait mieux que quiconque nous obliger à le suivre mais ne le fait pas. Il serait donc absurde de chercher nous-mêmes à obliger les gens à se confier en lui.

La charité devrait nous pousser au respect des décisions d’autrui concernant la foi et l’obéissance au Christ, mais un autre souci moins altruiste devrait conduire les chrétiens à cette attitude, soit le souci de préserver l’intégrité de l’Église. On le sait, quand à la fin de l’Antiquité il valait mieux être chrétien que païen pour éviter la discrimination, de nombreux convertis ont été ajoutés à l’Église pour des raisons strictement sociales et politiques plutôt que par piété personnelle. Cela a paganisé l’Église, qui ne s’en est jamais remis, jusqu’à ce jour (et je ne parle pas que de l’Église catholique romaine ici). La liberté de croire, c'est aussi la possibilité pour l'Église d'être une communauté de gens unis par leur appartenance réelle au Christ par une adhésion pleine et libre.

lundi 16 février 2009

Dulce et decorum est pro patria vorare

Vous aurez probablement reconnu l'expression Dulce et decorum est pro patria mori (Il est doux et beau de mourir pour la patrie, vers d'Horace pour les jeunes Romains qui sont sur le point d'avoir l'opportunité d'exercer cette "vertu"). Si vous ne connaissiez pas l'expression, il faut lire plus de BDs (c'est ici mon seul mérite, puisque je ne connais malheureusement pas encore le latin). Elle se retrouve en effet dans des albums d'Astérix et des Schtroumpfs (dans Le schtroumpfissime, évidemment sous la forme "Dulce et decorum est pro patria schtroumpfi"). Ah oui ! Il y a aussi un merveilleux poème de Wilfred Owen, intitulé Dulce Et Decorum Est. À lire absolument, notamment si on est pacifiste.

Si vous vous êtes rendu jusqu'au bout du titre de cette entrée, vous aurez remarqué que j'ai trafiqué l'expression en remplaçant le verbe "mourir" par "manger". Je veux en effet vous entretenir d'un de mes passe-temps préférés -- je ne suis pas catholique en partie parce que les protestants ne considèrent pas la gourmandise comme un des péchés capitaux. C'est-à-dire que je ne veux pas parler du manger et du boire comme d'un passe-temps mais plutôt dans certaines de leurs dimensions sociales, éthiques et, oui, théologiques. En effet, manger est (devenu ?) un acte politique, on pourrait même dire "théologique" si par ce mot on entend aussi une "compréhension de Dieu qui mène à l'action".

Vous connaissez peut-être la maxime "Acheter, c'est voter", c'est-à-dire que par ce que nous achetons et n'achetons pas, nous indiquons nos préférences et contribuons à déterminer (en partie) le monde dans lequel nous vivons, notamment les pratiques commerciales, environnementales et autres des fournisseurs de produits et services. Cette maxime inclut déjà par définition la nourriture que l'on achète. Cependant, dans le cas de la nourriture le lien est encore plus immédiat parce que plus personnel. En effet, en matière alimentaire ce que nous consommons devient littéralement une partie de nous-mêmes, et les enjeux liés à l'agriculture, à l'élevage et à l'industrie agroalimentaire déterminent notre milieu de vie plus immédiatement que dans le cas d'autres biens et services. Quel genre de campagnes voulons-nous ? Les produits alimentaires que nous achetons (ou n'achetons pas) contribueront très directement à les créer.

Vous pouvez consulter la carte suivante rapportant certaines statistiques presque impossibles à accepter tellement elles sont démesurées. Et pourtant, oui, une quantité inimaginable de variétés de plantes comestibles domestiques et de races d'élevage sont déjà disparues et la situation continue à se détériorer. Nos ancêtres ont développé ces variétés à cause de leurs propriétés diverses, incluant leur rusticité ou leur capacité d'adaptation aux conditions climatiques et autres du coin (appelons ça plutôt le "terroir"), de même que pour leur goût. Or, avec l'industrialisation de l'agriculture et la création de véritables monopoles dans le commerce des semences, de moins en moins de variétés sont cultivées à une échelle de plus en plus importante, souvent dans des monocultures favorisant la fragilisation de nos ressources alimentaires, notamment en encourageant la prolifération et la résistance des agents pathogènes et des parasites.

La perte de la biodiversité "sauvage" est évidemment une préoccupation importante. Mais notre capacité d'agir est souvent plus limitée dans ce cas. Nous pouvons bien encourager les gouvernements à agir ou nous pouvons contribuer financièrement ou par le bénévolat à des campagnes visant à sauvegarder des habitats naturels ou des espèces menacées. Cependant, au quotidien il n'est pas facile de faire beaucoup pour aider les orang-outan à survivre à l'état sauvage. Contribuer à préserver la biodiversité "domestique" est toutefois nettement plus aisé. Premièrement parce que nous mangeons tous les jours et deuxièmement parce que la solution de base au problème est en fait très simple : il suffit justement de manger pour changer le monde. Bon, disons qu'il suffit de modifier très légèrement ses habitudes pas tant alimentaires que d'achat d'aliments. On peut très bien continuer à manger la plupart des mêmes choses tout en favorisant davantage la diversité génétique en privilégiant les variétés négligées par les grandes compagnies agroalimentaires et les épiceries à grande surface. On peut manger du steak autre que de la Angus (qui n'est d'ailleurs même pas une race) avec des pommes de terre autres que la Idaho. On peut manger des raisins autres que Concord ou des tomates autres que Savoura. Évidemment, acheter des variétés ou races moins "standards" nécessitera habituellement de magasiner ailleurs en privilégiant le marché à l'épicerie. Cela excluera aussi la plupart des produits transformés (le Kraft dinner n'est pas fait avec une variété patrimoniale de blé ni avec du fromage du terroir ou d'une appellation d'origine contrôlée). Disons que l'on ne perdra pas grand-chose au change.

En fait, la seule vraie différence pour le consommateur qui privilégie les variétés négligées (mis à part une meilleure santé due à la réduction de la consommation de produits transformés) sera le goût nettement supérieur des aliments qu'il/elle se procurera ainsi. En effet, les variétés patrimoniales ont été développées par sélection génétique (et non par manipulation génétique (OGMs)) non pas pour leur rendement "surnaturel" ou leur apparence parfaite ou leur capacité à traverser un continent en conservant une apparence acceptable, mais pour leur goût (et souvent leur rusticité) ! De plus, un aliment qui n'a pas voyagé 4000 kilomètres est habituellement un aliment qui est plus frais et qui a été cueilli à maturité. C'est sans compter que l'on sait tous que les repas cuisinés à la maison sont bien meilleurs que les "repas-minute déjà préparés" de l'épicerie. Le côté "pratique" des repas et aliments tout préparés est la seule raison de leur existence, parce que côté goût ils sont toujours inférieurs aux repas faits maison (ils sont même habituellement carrément médiocres). Nous nous sommes simplement habitués à la médiocrité parce que nous arrivons du travail affamés à 18h00 et que les enfants hurlent qu'ils doivent manger dans les 5 prochaines minutes ou ils mourront (regarde, papa, mes joues rentrent dans ma bouche, mon estomac me digère de l'intérieur !). Il n'y a absolument aucune autre raison pour manger cela. Comme l'écrivait C.S. Lewis, le problème avec nous, humains, n'est pas que nous soyons trop hédonistes mais bien que nous ne le sommes pas assez : nous nous contentons de petits plaisirs médiocres alors que le Créateur a en réserve pour nous dans son monde des plaisirs tellement supérieurs !

Manger des aliments produits localement devient de plus en plus populaire, notamment avec les efforts visant la réduction des gas à effet de serre produits lors du transport des denrées alimentaires sur des milliers de kilomètres. Cependant, les effets bénéfiques pour l'environnement et la société sont beaucoup plus larges que la réduction des gas à effet de serre. Cette façon d'acheter contribue aussi à préserver les campagnes et souvent (dépendemment de quel fermier on achète ses aliments), au maintien d'une saine biodiversité dans les campagnes, de même que de la pérennité de variétés patrimoniales. L'agriculture industrielle n'est simplement pas viable à long terme. Les problèmes des derniers mois concernant le prix des aliments viennent en partie du fait que l'on produit de plus en plus pour l'exportation et de moins en moins ce qu'achètent les gens vivant autour des agriculteurs et des éleveurs. On a notamment encouragé ces dernières décennies les pays en développement, qui connaissent souvent des conditions climatiques plus clémentes, à faire pousser les aliments que l'on mange dans les pays riches (fruits exotiques, café, etc.) en leur promettant que nous avions assez de blé, de maïs et de soya pour nourrir leur population. Les quantités sont effectivement au rendez-vous, mais comme ces populations ne peuvent plus acheter nos produits avec l'augmentation récente des coûts, la situation ridicule suivante se produit : les pays en développement exportent de la nourriture vers les pays riches (aux prises avec des problèmes d'obésité) alors que les populations de ces pays en développement ne peuvent plus manger à leur faim. Autre absurdité : la famine en Éthiopie dans les années 1980s a entraîné l'importation de nourriture des pays riches au détriment de la préservation et de la mise en valeur des semences patrimoniales éthiopiennes qui sont justement mieux adaptées au climat et aux sécheresses de cette région. Cette situation a rendu les Éthiopiens encore plus vulnérables aux sécheresses. En matière alimentaire, le nationalisme est une bonne chose. Il ne doit pas s'agir de protectionnisme économique autant que de la protection de la souveraineté alimentaire et de la diversité génétique des espèces comestibles.

Évidemment, l'idée n'est pas de faire de la consommation d'aliments locaux provenant de variétés patrimoniales une loi de vie immuable. On peut commencer par s'assurer de manger plus souvent des aliments achetés localement (et donc consommer davantage les aliments en saison) et provenant autant que possible de variétés patrimoniales. Un objectif de départ louable pourrait être de consommer ces aliments au moins un jour par semaine, un peu davantage en été. On peut se permettre de continuer à boire du café/thé et d'utiliser des épices qui ne pousseront jamais dans notre pays (à moins que les changements climatiques s'emballent au point de faire à nouveau du Canada un pays tropical !). On peut aussi se permettre davantage d'écarts durant l'hiver, puisque consommer localement en hiver demande plus de planification et de travail en été et en automne (congélation, voire conserves, etc.). Ce qui est certain, c'est que, avec un peu d'expérience et de recherche, on peut acheter une très grande partie de nos aliments localement et opter souvent pour des variétés patrimoniales. Et surtout, on peut éviter d'acheter des fraises ou des pommes qui proviennent de l'autre bout du continent alors qu'on est en pleine récolte chez soi !

Évidemment, les vrais gourmands apprennent à jardiner. Ils ont alors la possibilité de manger des aliments on ne peut plus locaux et de choisir les variétés les plus méconnues (voire menacées d'extinction) en se procurant des semences non pas dans une épicerie, une grande pépinière ou auprès d'un des membres de l'oligopole qu'est devenue l'industrie des semences, mais auprès de jardiniers et d'agriculteurs qui sont passionnés par la cause. Ils contribuent ainsi très directement, en cultivant eux-mêmes des variétés patrimoniales, à préserver la diversité génétique. Et pourquoi ne pas composter pour boucler la boucle !

Je vous laisse avec des suggestions de lecture sur le sujet, soit Animal, Vegetable, Miracle de Barbara Kingsolver et The Omnivore's Dilemma de Michael Pollan. Pour voir les livres, cliquez ici.