mercredi 1 octobre 2008

Mais où est donc la Main invisible ?

Les récents événements aux États-Unis ont fait la preuve de l'incapacité des marchés de s'autoréglementer (et s'autodiscipliner). Pire encore, c'est la loi du marché elle-même qui vient de démontrer sa perversion lorsqu'elle est laissée sans cadre législatif et réglementaire adéquat. Alors qu'on nous dit depuis des décennies que si seulement les gouvernements (notamment de pays en émergence) cessaient de réglementer les industries, comme par magie nous pourrions régler tous les problèmes économiques (voire sociaux). Un pays s'écrase-t-il sous le poids de ses dettes ou d'une crise quelconque ? L'Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international et une flopée de pays riches s'empressent de "voler à son secours", à condition que ce pays s'ouvre au libre-marché et entame une déréglementation systématique de plusieurs de ses industries. Le processus est décrit dans un livre de Naomi Klein, The Shock Doctrine. The Rise of Disaster Capitalism (traduit en français par La stratégie du choc. La montée d'un capitalisme du désastre). On peut aussi le comprendre si on a lu un journal au cours des 10 dernières années (ce qui n'enlève rien à la qualité de l'analyse incisive de Madame Klein). On encourage ainsi les États à se départir d'une partie de leur souveraineté pour faire confiance en la fameuse "Main invisible" et bénéfique. Et, non, ce n'est pas la main de Dieu.

Plusieurs membres de l'entourage de George W. Bush (notamment les Cheney et Rumsfeld) ont été des ténors de cette idéologie avant de se joindre à son administration. Il est assez ironique que la Maison-Blanche tente maintenant "d'interférer" dans un processus qui, selon la logique de la loi du marché, conduirait tout simplement à la fermeture de concurrents ineptes en faveur de compagnies financières plus performantes qui ne se sont pas enlisées dans des montages financiers ridicules. Évidemment, les milliers de petits (et gros) investisseurs seraient alors floués, de nombreux ménages perdraient leur maison et l'économie étatsunienne (et mondiale ?) connaîtrait une dépression, mais la loi du marché se chargerait de tout arranger (éventuellement) ! Assisterons-nous plutôt à la création d'une sorte de "New deal", version Bush ? Ce serait d'une ironie qui désopilerait les historiens pour des siècles à venir.

Je suis le premier à considérer que l'industrie est plus efficace que le gouvernement pour innover ou trouver des solutions à des problèmes complexes. Mais voilà : l'industrie a besoin d'un cadre législatif pour fixer les règles du jeu et pousser les capitalistes à faire entrer d'autres facteurs dans leurs calculs que les profits, par exemple la sécurité des employés ou des consommateurs, les impacts environnementaux, ou l'atteinte d'objectifs jugés socialement utiles. En l'absence de réglementation, les compagnies les plus responsables aux plans social et environnemental doivent faire concurrence à des compagnies qui se contentent de suivre les lois en vigueur et qui peuvent donc vendre leur papier hygiénique 10 sous moins cher, ce qui suffit pour perdre une bonne partie de la clientèle walmartisée. Mais si toutes les compagnies sont forcées par législation à inclure de tels objectifs non pécuniaires dans leur planification stratégique, il en résulte une innovation souvent bien supérieure à ce qu'un programme gouvernemental (ou une taxe !) peut atteindre, et ce, à moindre coût. Les néo-libéraux ont raison : la concurrence est souvent la meilleure façon de régler des problèmes vites et à coûts raisonnables. Encore faut-il que les gouvernements n'abdiquent pas leur responsabilité de légiférer et de réglementer !

Assisterons-nous aux États-Unis à un de ces partenariats public-privé où le rôle du public sera (encore !) de ramasser la facture et celui du privé d'engranger les profits ? Demandez aux PDGs des institutions financières maintenant dans la dèche qui étaient payés des dizaines de millions de dollars (ou plus) par année.

jeudi 28 août 2008

La foi qui réfléchit

Blaise Pascal a écrit que "c'est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce qu'est la foi, Dieu sensible au cœur, non à la raison".

Nombreux sont les évangéliques qui aiment ce genre de citation. Après tout, une des vérités fondamentales soulignées par les évangéliques (et par les Anabaptistes avant eux) est que la foi n'est pas simplement une liste de croyances ou une décision intellectuelle et rationnelle mais aussi une attitude intérieure, notamment une disposition à l'obéissance envers Dieu.

Pascal est un allié naturel pour les évangéliques. D'autres penseurs (comme Dietrich Bonhoeffer) sont également utilisés pour la démonstration de la "thèse" soulignant la primordialité des choses du cœur, voire l'inutilité d'une réflexion en profondeur au profit d'une "foi du cœur" ou d'une "foi vécue". En réalité, ce que plusieurs de ces penseurs affirment, c'est la nécessité de faire le pont entre la réflexion et la foi pratiquée et non le mépris pour la réflexion au profit d'une foi uniquement "sentie", une foi purement expérientielle et dont la raison (donc le cerveau ?) est l'ennemi principal.

L'utilisation de ces penseurs ne peut se faire que par une sélection de leurs propos. Ainsi, on mentionne moins spontanément le travail de Pascal en philosophie, en mathématiques et en théologie pour retenir davantage les citations ou éléments de sa pensée qui peuvent être utilisés pour dévaluer la réflexion philosophique ou théologique ou la démarche scientifique. Certaines citations de Pascal sont carrément oubliées par certains, telles que :

"Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, en se soumettant où il faut. Qui ne fait pas ainsi n'entend pas la force de la raison".

Ou encore : "Si on soumet tout à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux, et de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule".

La première partie de cet énoncé semble presque avoir été écrit pour les rationalistes et les intellectuels et la seconde pour les évangéliques et les piétistes.

La posture anti-intellectuelle revient périodiquement sous différentes formes dans le mouvement évangélique, surtout depuis un siècle. Le célèbre Darby (ou était-ce Scofield, je ne me souviens plus), qui a tant fait pour populariser le dispensationnalisme, affirmait qu'il avait pu correctement comprendre la Bible précisément parce qu'il n'avait pas de formation en théologie.

Cette attitude perdure jusqu'à ce jour dans bien des milieux. Or, Jésus a enseigné que le premier commandement était : "Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence" (Mt 22,37). Peut-on négliger l'intelligence lorsqu'on a le cœur et l'âme ?

lundi 2 juin 2008

Nouveau blogue

Je vous annonce la création d'un nouveau blogue de réflexion théologique et sociale, celui de mon collègue Éric Wingender, Professeur et Doyen à l'École de théologie évangélique de Montréal. La première entrée traite du sujet des écarts entre les riches et les pauvres, un complément donc aux entrées récentes sur Amos dans mon blog. Bonne lecture !

jeudi 1 mai 2008

Amos III

Le mensuel mennonite français Christ seul publie au cours des prochains mois une série d'articles sur le prophète Amos, dont le message est toujours d'actualité. On m'a demandé d'y contribuer en écrivant les trois premiers articles de la série. J'ai déjà repris les deux premiers articles dans ce blog (voir les entrées du 25 mars et du 17 avril). Voici le troisième et dernier, publié dans le numéro avril 2008 de la revue.

Amos et « l’évangile de la prospérité »

Amos et la justice sociale
L’essentiel du message d’Amos concerne la justice sociale, en particulier la dénonciation de l’exploitation des pauvres par les riches. À l’époque d’Amos (vers 760 av. J.-C.), le Royaume d’Israël vit une courte période de stabilité et de prospérité. Il s’agit en fait de l’œil du cyclone : les éprouvantes Guerres araméennes du 9e siècle sont passées et le puissant Empire assyrien doit s’occuper des royaumes araméens avant d’assurer son hégémonie sur Israël et les royaumes avoisinants. Mais entre le ministère d’Amos et la destruction d’Israël aux mains des Assyriens, moins de 40 ans se seront écoulés.

La brève accalmie au temps d’Amos permet notamment l’expansion du commerce international en Israël et la création d’une classe marchande qui fait l’acquisition de grands domaines agricoles. Le problème est que la prospérité se fait sur le dos des pauvres. Notamment, les marchands prêtent aux paysans à des taux usuriers (souvent à des taux de 100%, 200% ou 300%) et lorsque ceux-ci n’arrivent pas à payer leurs dettes, les marchands saisissent leurs terres et prennent leur famille en esclavage. Ce crime est d’autant plus grave que, selon la loi, la terre est un patrimoine familial qui doit assurer la subsistance des générations futures. C’est principalement contre de telles pratiques d’oppression des pauvres que le prophète Amos s’insurge.

Amos et le culte
On peut se demander pourquoi un prophète biblique consacre son ministère à se mêler des affaires économiques du pays. Ce message peut ne pas nous sembler très spirituel. N’est-ce pas notre dévotion envers Dieu et nos croyances qui comptent, plutôt que nos vues économiques et politiques ? Pas pour Amos, qui affirme que le culte sans justice ne vaut rien et est même néfaste (Am 4,4-5 ; 5,21-24, cf Mt 5,23-24).

En fait, déjà à l’époque d’Amos, son message ne semble pas très spirituel à ses contemporains. Après tout, les Israélites ne négligent pas le culte. De quoi se plaint donc le prophète (et Yahvé) ? L’attitude des Israélites s’explique par le fait que les dieux du Proche-Orient ancien ne se préoccupent pas vraiment de ce qui se passe entre les humains. L’important pour eux est le culte, notamment l’entretien des dieux et de leurs demeures (les sanctuaires). La religion est donc d’abord une religion de riches puisque les pauvres ne peuvent se permettre d’adorer les dieux « convenablement » en leur offrant des sacrifices. Les Israélites du temps d’Amos adoptent cette vision proche-orientale dans l’adoration de Yahvé. Ils affirment leur dépendance envers Yahvé et attribuent aux bénédictions divines leur réussite financière. Ils s’imaginent que Yahvé, après avoir reçu tous ces sacrifices, doit être repu et content. En fait, il doit même être prêt à oublier quelques écarts de conduite, d’autant plus que ceux-ci sont commis envers les pauvres qui, eux, n’ont rien à offrir à Yahvé.

Amos et l’Évangile de la prospérité
L’horreur que nous ressentons devant ce culte infâme tend à se transformer en complaisance devant ses équivalents modernes. Après tout, aujourd’hui encore on espère souvent manipuler Dieu avec nos « sacrifices » ou notre culte et réduire notre adoration à une dimension « verticale ». L’Évangile de la prospérité est un exemple de mutation récente du culte pratiqué par les proche-orientaux et les Israélites du temps d’Amos. Dans cette nouvelle mouture, on estime que l’essentiel de la vie chrétienne consiste à être béni matériellement par Dieu, négligeant les exigences éthiques de l’Évangile et réduisant la responsabilité du chrétien au don d’une partie de ses biens à l’Église (ou à un télé-évangéliste).

Malheureusement pour les Israélites et leurs semblables de toutes époques, Amos affirme que Dieu n’a rien à faire de ce genre d’adoration. Toute adoration et tout sacrifice, lorsqu’ils ne sont pas accompagnés d’un comportement moral et juste envers les autres, sont en fait une abomination aux yeux de Dieu (relire Am 4,4-5 et 5,21-24). Le fait même de se présenter au sanctuaire pour adorer Dieu après avoir exploité le pauvre est considéré un péché. Louer Dieu devient un péché ! Le message d’Amos revient à dire qu’on ne peut rendre un culte à Dieu sans d’abord changer radicalement nos actions et attitudes envers les autres. En fait, notre comportement envers les autres, s’il est juste, est en lui-même une forme d’adoration envers Dieu (voir Am 5,14-15.24). Faire du bien aux autres, c’est adorer Dieu, et leur faire du mal c’est rendre nul tout acte d’adoration.

À une époque où les écarts entre les riches et les pauvres continuent à augmenter et où les leviers de la prospérité sont entre les mains de quelques-uns, le message d’Amos est plus actuel que jamais. Si on prend ce message au sérieux, soit que Dieu se préoccupe des pauvres et de notre attitude à leur égard, aider ceux qui sont dans le besoin devient un geste d’adoration central dans la foi chrétienne (voir Mt 25,31ss).

jeudi 17 avril 2008

Amos II

Le mensuel mennonite français Christ seul publie au cours des prochains mois une série d'articles sur le prophète Amos, dont le message est toujours d'actualité. On m'a demandé d'y contribuer en écrivant les trois premiers articles de la série. J'ai déjà repris le premier article dans ce blog (voir l'entrée du 25 mars). Voici le deuxième, publié dans le numéro mars 2008 de la revue. Le dernier article suivra sous peu.

Amos et les nations (Am 1,3-2,16)

Les oracles contre les nations

Après une brève introduction, le livre d’Amos énumère une série d’oracles que les biblistes appellent des « oracles contre les nations ». Ces oracles concernent les voisins (souvent ennemis) d’Israël, dont Juda, la patrie d’Amos. Ce type d’oracles n’est pas unique à Amos. On les retrouve par exemple dans Is 9-23 ; 37,21-35 ; Jr 46-51 (voir Jr 25 et remarquer que plusieurs des nations sont les mêmes que dans Am 1-2) ; Ez 25-32 et l’essentiel de Nahum et d’Abdias (voir aussi Nb 24,15-24).

Fonction des oracles

Il n’est pas simple d’expliquer le rôle de tels oracles. Ce n’est vraisemblablement pas pour le bénéfice des nations, qui ne font pas partie de l’auditoire du prophète (mais voir Jr 1,4-5 et Jr 27,2-11). Beaucoup a donc été écrit pour tenter d’expliquer leur raison d’être dans la prédication prophétique.

Les oracles contre les ennemis d’Israël sont souvent vus comme des oracles de salut ou de délivrance pour Israël. Selon certains biblistes, les oracles contre les nations s’expliquent par l’association que certains font entre l’institution prophétique et la guerre. Cette association est particulièrement claire au Proche-Orient ancien, mais elle pourrait aussi avoir existé en Israël (voir 1 R 22 ; 2 R 3,4-19 ; 6,8-7,2). Il faudrait alors voir les oracles contre les nations comme une partie intégrale des rituels associés à la guerre, rituels où le prophète devait proférer des oracles annonçant l’appui de la divinité envers son camp et la destruction de l’ennemi.

La difficulté que crée cette hypothèse est que dans Amos, Juda et Israël comptent au rang de ceux que Dieu châtiera. Les oracles contre les nations ne sont pas suivis d’un oracle de salut pour Israël (et Juda) et ne servent donc visiblement pas à bénir Israël. La forme des oracles contre Juda et Israël est similaire à celle des oracles contre les nations et le reste du livre d’Amos a très peu de bien à annoncer à Israël. En fait, les prophètes « nationalistes » qui condamnent les ennemis d’Israël tout en annonçant le salut du peuple de Dieu sont souvent considérés avec suspicion par les auteurs et prophètes bibliques (voir Jr 23,16-22 ; 27,12-18 ; 28,6-9). Il faut donc chercher ailleurs une explication aux oracles contre les nations dans Amos.

Un dieu inter-national ?

Une autre hypothèse consiste à voir en ces oracles l’indication d’une vision plus large de Yahvé que celle d’un dieu national. Les oracles contre les nations souligneraient alors la souveraineté de Yahvé sur toutes les nations. C’est possible, mais il faut reconnaître que cela est plus clair chez d’autres prophètes que chez Amos (mais voir Am 9,7). En effet, les nations d’Am 1-2 sont toutes des nations qui faisaient anciennement partie de l’Empire de David et Salomon (ou de sa sphère d’influence) et qui étaient donc en principe sous la souveraineté de Yahvé. Il est donc possible qu’Amos voie ces nations comme étant soumises aux exigences de Yahvé à cause de leur association à l’Empire davidique avec lequel Yahvé était en alliance.

Ce qui est sûr, c’est que les oracles contre les nations dans Amos visent en premier lieu à mettre en contexte l’oracle contre Israël, beaucoup plus étendu et placé à la pointe de la série, visiblement pour créer un effet rhétorique. On peut imaginer le peuple comme étant très heureux d’entendre les malédictions contre les autres nations et donc captivé par les mots du prophète, jusqu’à ce qu’Amos annonce que le sort réservé par Dieu à ces nations pour leurs fautes s’appliquera aussi à Israël pour les siennes. La justice de Dieu, qu’on aime bien voir appliquée aux autres, s’applique aussi à nous ! Amos userait en quelque sorte de la même stratégie que Nathan avec David, qui se fait prendre à prononcer lui-même la sentence contre son crime (2 S 12,1-12).

Amos se servirait donc des autres nations pour éveiller le sens de la justice des Israélites avant de retourner cette justice contre eux. D’ailleurs, il y a probablement certains parallèles entre les fautes des Israélites et celles de leurs voisins. Par exemple, une façon de comprendre la faute de Moab est d’avoir brisé l’alliance avec l’Empire davidique en s’en prenant à Edom, un autre vassal d’Israël. Or, l’agression envers un autre vassal était prohibée par les traités d’alliance proche-orientaux. En Israël, l’oppression que des Israélites font subir à leurs concitoyens, autrement dit, à d’autres vassaux de Yahvé, peut être vu comme étant une faute du même type que celle de Moab(1).

Une relecture des oracles contre les nations d’Amos à la lumière de prophètes qui lui ont succédé et de l’enseignement du Nouveau Testament incite certains à y voir une déclaration de la souveraineté de Dieu sur toutes les nations et son juste jugement envers elles. Cependant, la portée théologique de ces oracles était certainement plus limitée à l’origine. On peut néanmoins voir dans ces oracles un correctif utile même pour nous chrétiens pour qui l’accent sur la grâce peut mener à considérer les exigences de Dieu à notre égard comme étant moindres que celles que nous imposons aux autres. Amos nous rappelle que faire partie du peuple de Dieu n’est pas une raison pour être indulgents envers nous-mêmes !

(1) M. BARRÉ, « Amos » dans R. E. BROWN, J. A. FITZMYER, R. E. MURPHY, New Jerome Biblical Commentary, Londres, Geoffrey Chapman, p. 212.

jeudi 3 avril 2008

Suggestion de lecture (encore !)

Je vous invite à lire le dialogue entre un évangélique et un juif concernant l'évangélisation des juifs par des chrétiens.

Un des extraits que j'ai particulièrement aimés est le reproche suivant que fait le juif à l'évangélique : "You want me to trust your love. That is a problem. You are not stapled to your words or your love. Origen, Chrysostom, Eusebius, Augustine, and Aquinas are people who would have never plucked a white hair off the head of an old Jew. They are people who would have walked into the gas chambers with us. But their words did not remain within the province of spiritual and intellectual elites". Cela fait écho au théologien chrétien allemand Dietrich Bonhoeffer qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, a affirmé (je paraphrase de mémoire) "être chrétien aujourd'hui, c'est affirmer que Jésus était un juif". Cela fait aussi un peu écho à une réflexion que j'avais publiée sur ce blog il y a quelques mois sur les premiers chrétiens, plus précisément sur leur irréprochabilité morale aux yeux de la plupart des Romains et le contraste que cela représente avec la perception actuelle qu'ont des chrétiens (particulièrement évangéliques) la plupart de nos contemporains. Comme quoi l'évangélisation doit commencer par incarner le message du Christ dans sa propre vie, ce qui n'est pas une mince affaire.

Suspension de Peter Enns (suite)

Voici un autre article, un peu plus complet, sur la suspension de Peter Enns. L'article contient aussi des liens intéressants, dont une recension du livre par un professeur de l'Evangelical Theological Society, la société savante dont je parlais dans la première entrée sur Peter Enns, société savante où la controverse a éclaté il y a environ deux ans concernant le livre d'Enns. Je tiens à préciser toutefois que la recension du livre ne remplace évidemment en rien la lecture du livre, que je vous recommande à nouveau de lire vous-mêmes pour vous en faire une opinion.

lundi 31 mars 2008

Suspension de Peter Enns

Un professeur d'Ancien Testament de Westminster Theological Seminary, Peter Enns, vient d'être suspendu suite à la controverse autour de son livre Inspiration and Incarnation. Evangelicals and the Problem of the Old Testament. Cliquez ici pour l'annonce officielle. Pour des réactions à cette annonce et à la controverse, voir ce lien et ce lien. Merci à Steve Robitaille de m'avoir relayé l'information.

Le livre de Peter Enns avait créé la controverse il y a deux ans lors du congrès annuel de l'Evangelical Theological Society, la société savante nord-américaine.

J'ai lu le livre d'Enns et je dois avouer qu'il ne propose pas grand chose de radicalement nouveau, bon ou mauvais. Le mérite du livre tient surtout à l'identification de problèmes liés à l'étude scientifique de l'Ancien Testament, problèmes par ailleurs bien connus des biblistes vétéro-testamentaires. Enns propose que l'étude scientifique informe une doctrine évangélique de la Bible, et non seulement l'inverse. Je vous invite à lire le livre pour vous faire une idée.

Suggestion de lecture

Je vous invite à lire un bref article sur l'historien Jean Séguy qui a écrit (entre autres) un excellent livre sur l'histoire des assemblées mennonites (anabaptistes) de France. L'article est écrit par l'historien (et ami) Claude Baecher, professeur au Centre de formation et de rencontre Bienenberg.

Merci au blog du Centre mennonite de Paris pour le lien à cette adresse. On peut consulter le blog du CMP pour des nouvelles et commentaires intéressants.

mardi 25 mars 2008

Amos I

Le mensuel mennonite français Christ seul publie au cours des prochains mois une série d'articles sur le prophète Amos, dont le message est toujours d'actualité. On m'a demandé de contribuer en écrivant les trois premiers articles de la série. Voici le premier, publié en février 2008. Les autres suivront sous peu.

Amos, un prophète de son temps… et du nôtre

L’homme
Amos, qui exerce son ministère autour de 760 av. J.-C., est le premier prophète dit « écrivain », c’est-à-dire dont les oracles et visions ont été recueillis dans un livre biblique. Il diffère en cela de prophètes comme Nathan, Élie et Élisée dont les actes, visions et oracles sont rapportés dans des livres historiques comme Samuel et Rois. Le titre du livre (Am 1,1-2) se distingue de celui des autres livres prophétiques en donnant le métier du prophète avant son appel. En mettant ce titre en lien avec 7,14-15, les exégètes se sont demandé si Amos n’avait pas accompli une mission prophétique ponctuelle. Après avoir livré son message en Israël, Amos serait retourné en Juda reprendre son métier d’éleveur, possiblement après avoir été expulsé de Béthel (7,12-13). Ce qui est certain c’est qu’Amos n’était pas un « prophète de métier » contrairement à d’autres prophètes de son temps. Peut-être que son appel à prophétiser fut un « changement de carrière » permanent comme ce fut le cas pour Élisée (voir 1 R 19,19-21). Mais il est aussi possible que Yahvé ait suscité quelqu’un qui n’était pas un prophète professionnel ou officiel afin de mieux critiquer l’élite d’Israël, qui incluait non seulement les prêtres, le roi et sa cour, mais aussi des prophètes associés aux sanctuaires religieux ou au palais du roi (voir 1 R 18,19 ; 22).

Amos dit (7,14-15) qu’il n’est pas un prophète mais qu’il a été chargé de prophétiser. Il est possible qu’il entende par là qu’il n’est pas un prophète de profession, mais qu’il a reçu un message à transmettre. Il existe des parallèles à ce prophétisme non professionnel dans l’AT même (par exemple 1 S 10,9-12) et surtout à Mari (tell Hariri), l’ancien royaume sur l’Euphrate, où des prophètes professionnels co-existaient avec des gens sans statut prophétique mais qui ponctuellement proféraient un oracle d’un dieu.

Amos est donc prophète parce qu’il reçoit un message à transmettre de la part de Yahvé (3,3-8). Que sa vocation ait été ponctuelle ou permanente, il est clair que son rôle était d’abord d’annoncer à Israël le jugement de Yahvé pour ses fautes. On entrevoit ici une différence majeure avec la conception qu’on se fait souvent du prophète, soit un personnage fasciné par les prédictions. Amos s’intéresse plutôt au présent et voit là où le présent mène le peuple, soit au jugement et à la ruine.

Le message

Les prophéties bibliques doivent être comprises comme des sentences plutôt que des prédictions. Il s’agit de l’évaluation par Yahvé de la conduite du peuple et l’annonce des conséquences que cette conduite aura dans un avenir rapproché. En fait, l’avenir prédit peut même être changé par la repentance ou la prière/l’intercession (Am 5,14-15 ; 7,1-6 ; Is 38,1-5 ; Ez 3,16-21 ; Jr 36,1-3.7 ; Jon 3,1-5.10-4,2). Les oracles ont donc un rôle didactique (ou rhétorique) plutôt que prédictif.

Un des principaux reproches d’Amos envers Israël est l’injustice flagrante qui y règne, de même que l’exploitation des pauvres et des faibles. Nous y reviendrons dans le numéro d’avril de CHRIST SEUL. Il suffira pour l’instant de noter qu’au temps d’Amos, Israël était prospère et en paix avec ses voisins. Malheureusement, la prospérité se faisait en partie sur le dos des faibles. Les Israélites s’imaginaient que Yahvé était content du culte qu’on lui rendait puisqu’il y avait abondance de sacrifices en cette période faste. N’était-ce pas là l’essentiel ? Pas selon Amos, pour qui le culte devait être accompagné du respect de l’Alliance et de ses dispositions éthiques. Les sacrifices sans la justice ne valent rien (4,4-5 ; 5,21-24). C’est une mise en garde que reprendra Jésus (Mt 5,23-24).

Le message d’Amos peut ne pas sembler spirituel, puisqu’il est centré sur la justice sociale et l’économie. Les contemporains d’Amos arrivaient probablement à la même évaluation puisqu’au Proche-Orient ancien, les dieux ne se souciaient essentiellement que du culte et des sacrifices qui les nourrissaient. Amos nous révèle un Dieu fort différent : adorer Yahvé, c’est aussi se comporter de façon juste envers son prochain. Sans cela, notre adoration ne vaut rien. Ce rappel, de même que le discours d’Amos sur la justice sociale et les inégalités entre les riches et les pauvres, semblent avoir été écrits pour nous. Comme quoi l’humanité a bien peu changé en près de 3000 ans !


Pour une autre hypothèse intéressante sur le statut d'Amos, je vous conseille de lire l'article de Pierre Gilbert intitulé "A New Look at Amos' Prophetic Status" (que vous trouverez à l'adresse www.cmu.ca/faculty/pgilbert/articles/amos.shtml ou en fouillant dans le site de Pierre Gilbert (voir dans Mes liens)). Sur le rôle didactique des prophéties, consulter un autre article de Pierre Gilbert, "L'appel à la conversion chez les prophètes de l'Ancien Testament" (que vous trouverez à l'adresse http://www.cmu.ca/faculty/pgilbert/articles/conversion_art.shtml). Ce dernier article démontre bien que le rôle du prophète de l'Ancien Testament dépasse très largement le cadre qu'on lui impose souvent.

mardi 18 mars 2008

Il est vivant !

Le Christ est ressuscité !

La résurrection du Christ est sa victoire sur la mort et le péché. Sans la résurrection du Christ, par exemple si la croix (pourtant si centrale pour les évangéliques) n'est pas suivie de la résurrection, le chrétien ne peut espérer en sa propre résurrection. Et comme ce que nous croyons concernant l'après-vie a évidemment un impact sur notre vie sur Terre, la résurrection du Christ est la clé de voûte de la religion chrétienne. Le problème est que l'on comprend (ou du moins je comprends) si peu ce qu'est, au juste, la résurrection, même la seule qui a eu lieu (c'est du moins ce que nous croyons), soit celle du Christ. Aussitôt que nous tentons de dire autre chose que "il est vivant", nous sommes confrontés au mystère, à l'insondable. La résurrection du Christ n'est évidemment pas une simple réanimation physique. Elle n'est pas non plus une simple métaphore, une résurrection "spirituelle". La résurrection doit être corporelle pour avoir un réel sens (et pour être source d'espérance pour le chrétien, voir 1 Co 15), mais de quel corps s'agit-il ? De quel étrange phénomène est-il question ? Ceux qui comprennent la résurrection comme une réanimation purement physique objectent évidemment : "comment peut-il y avoir résurrection si nos molécules sont détruites après notre mort pour devenir une partie des arbres ou de l'oeil du beau-frère qui a mangé les choux qui ont poussé dans la terre nourrie par nos cadavres?"

Mais justement, la résurrection du Christ dans la compréhension chrétienne n'est CERTAINEMENT PAS une simple réanimation physique (ou reconstitution des molécules originelles). Les Évangiles évoquent le changement radical dans la nature du corps du Christ ressuscité, anomalie de la nature, et pourtant accomplissement parfait de la nature et de la vie. Le Ressuscité est plus vivant que tout être (corporel) vivant avant lui. Les Évangiles n'osent pas tenter d'expliquer le processus. Ils constatent que le Galiléen est de nouveau vivant. Confrontés aux apparitions déconcertantes du Ressuscité, le constat est donné, sans qu'on prétende comprendre la mécanique de la chose. Pour paraphraser Galilée : "Et pourtant, il est vivant !" Affirmer que le Christ est vivant, ce n'est pas pour autant savoir exactement comment une telle chose est possible.

Donc, l'altérité du corps du Ressuscité est radicale, mais sa corporalité n'en est pas moins évidente. De quel corps s'agit-il donc ? Et quel est le lien entre ce corps ressuscité et l'Église ? L'Église est, après tout, aussi décrite comme le corps du Christ. Quel est donc le lien, au juste, entre ce corps ressuscité et l'Église ? Une solution à ce mystère consiste à adopter une conception sacramentelle de la résurrection, qui ne nie nullement l'aspect corporel de celle-ci, mais insiste sur l'idée qu'on accède au Ressuscité par l'entremise de son corps, l'Église. C'est ce que plusieurs spécialistes de Jean perçoivent dans cet Évangile, dont Sandra M. Schneiders, que j'ai eu la joie d'entendre lors d'un passage à Montréal l'an dernier (elle a écrit abondamment sur Jean, si ces quelques lignes inspirées en partie par elle vous titillent). L'accès au Ressuscité pour le croyant se fait dans Jean notamment par l'entremise de la communauté de foi et par la participation à la célébration de la Cène. L'accès au Ressuscité ET l'espérance en la résurrection sont en effet liés en Jean à la célébration de la Cène, dont le récit est absent à la fin de Jean et est transposé aux côtés du miracle des 5000 hommes nourris par Jésus (Jn 6). Comme cela arrive souvent dans Jean, le sens du récit en est par conséquent transformé et approfondi. Plus je lis Jn 6 (et plus je lis Jean), plus j'ai l'impression de faire face à un océan dont la profondeur me donne le vertige et me réconforte à la fois.

Avez-vous compris quelque chose à mes élucubrations ? Je ne suis pas sûr d'avoir compris moi-même (je ne suis, après tout, qu'un bibliste de l'Ancien Testament). Mais je sais une chose... "Il est vivant !"

lundi 11 février 2008

Le carême

Nous sommes récemment entrés, mine de rien, dans la période du carême. C'était mercredi dernier, qu'on appelle techniquement le mercredi des Cendres. Le mercredi des Cendres marque l'entrée dans la période du carême et suit le mardi gras, qui lui est le dernier jour faste avant le jeûne et la prière. Pourquoi les cendres ? C'est qu'elles sont le symbole de plusieurs choses dans la tradition chrétienne. Il y a l’idée que notre existence sur terre est éphémère : nous sommes poussière/cendres/argile et nous retournerons à la poussière (Gn 3,19 ; 18,27 ; Jb 30,19 ; Ez 28,18). Il y a aussi le symbole de repentance, comme en Israël ancien où les gens se mettaient des cendres et/ou de la poussière sur la tête ou le corps en période de repentance, de deuil, de calamité ou d'appel pressant à Dieu (voir par exemple Est 4,1 ; Jr 6,26 ; Ez 27,30 ; Jon 3,6). Habituellement dans le christianisme on y va de façon plus modérée en recevant un peu de cendres sur le front lors du premier jour du carême pour marquer l'entrée dans une période de jeûne et de repentance.

Le mot « carême » veut simplement dire 40e (jour avant Pâques). C’est une période importante dans l’Église depuis plus de 1500 ans. Le carême est la période de 40 jours d’abstinence, de privation et de préparation qui précède Pâques. La durée symbolique des 40 jours est basée sur les 40 jours de la tentation de Jésus au désert (où justement Jésus jeûne, voir Mt 4,1-11 et parallèles) et les 40 ans au désert des Israélites sortis d’Égypte (40 est un nombre symbolique important dans la Bible). Comme le dimanche est exempté (on peut briser les privations du carême le dimanche), la période commence 46 jours avant Pâques. Le ramadan musulman est à peu près l'équivalent du carême chrétien, bien que son sens soit évidemment différent.

Les gens modernes et éclairés n'ont pas toujours beaucoup de respect pour ce genre de pratique. N'est-ce pas un peu barbare et arriéré ? Prier ou lire la Bible passent pour des activités au moins "normales", mais le jeûne et la privation ? N'est-ce pas là un ritualisme dépassé et moyenâgeux ? Le film Chocolat (qui est par ailleurs très bon) illustre l'attitude que plusieurs entretiennent envers le carême : il s'agit d'une sorte de vestige de temps obscurs où les gens qui se privent sont le plus souvent des débauchés qui s'ignorent (je caricature à peine).

Or, le carême n’est pas tant l’occasion de se faire violence à soi-même pour « faire pitié » aux yeux de Dieu que de se recentrer sur le sens ultime de son existence, fondé sur la résurrection du Christ. Pâques est la fête la plus importante du calendrier chrétien, plus encore que Noël. Sans Pâques et la résurrection du Christ, le christianisme n’a pas de sens. Pendant le carême, on est appelé pas tant à se priver pour le plaisir masochiste de se priver mais pour se consacrer à autre chose. C'est d'ailleurs là le sens du sacré dans la Bible, que ce soit l'objet, la personne ou le temps : séparé du profane, du quotidien, et consacré à Dieu. Le carême, temps sacré (et donc consacré) est basé sur une longue tradition dans le christianisme et avant ça dans le judaïsme qui valorise le sacré, de même que le jeûne et le dévouement ou la consécration à Dieu. Par exemple, Paul (qui ne parle évidemment pas du carême) dit aux Corinthiens mariés qu'ils peuvent pour un temps s'abstenir de relations sexuelles pour se consacrer à la prière et non pour se faire souffrir ou parce que Paul dévalorise la sexualité (1 Co 7,1-5).

Les évangéliques ne sont habituellement pas très intéressés par l’idée de pratiquer les privations du carême, mais nous devrions à tout le moins considérer cette période comme une période de préparation intérieure à Pâques, une période de méditation et de réflexion. Si en plus certains veulent s'engager à se priver de certaines choses et s'obliger à faire davantage de bonnes choses, l'expérience du carême n'en sera que plus riche.

dimanche 20 janvier 2008

Des lectures anabaptistes

Que ce soit à cause de votre intelligence fulgurante ou simplement parce que vous avez lu le titre ou quelques entrées ou liens de mon blog, vous savez que je m'inscris dans la tradition anabaptiste. Si vous voulez lire davantage sur différents sujets touchant à cette tradition, je vous suggère de consulter la liste de publications (en français) à l'adresse suivante (que vous trouverez aussi grâce au lien Publications anabaptistes dans la liste Mes liens).

www.centre-mennonite.fr/catalogue/publications.php

Évidemment, de nombreux ouvrages ont été publiés sur l'anabaptisme ou sur différents sujets traités dans une perspective anabaptiste, surtout en anglais, mais ces livres récents en français sont un excellent point de départ. Je vous les recommande tous, et plus particulièrement Eschatologie et vie quotidienne, Agir, travailler, militer, Miroir des martyrs et Michaël Sattler. Les deux derniers sont davantage des ouvrages touchant à l'histoire anabaptiste, les deux premiers à une théologie anabaptiste contemporaine.

Exigez-les (gentiment) de votre libraire.

mardi 15 janvier 2008

Une illustration de l'importance de l'herméneutique

Je vous invite à lire l'article suivant qui illustre de façon très concrète les dangers d'une lecture fondamentaliste de la Bible qui ne tient aucunement compte de l'intention des auteurs bibliques ou de leur contexte historique. C'est aussi une compréhension erronée du phénomène prophétique (j'y reviendrai dans un avenir rapproché). Comme quoi faire de l'herméneutique (réfléchir à la façon d'interpréter, notamment les textes bibliques), contrairement à ce que certains pensent, n'est pas une entreprise purement abstraite sans conséquence sur la "vraie" vie (comme s'il y avait une fausse vie).

http://www.motherjones.com/news/feature/2008/01/let-there-be-light-crude.html

Merci à Éric Wingender d'avoir attiré mon attention sur cet article.

mercredi 9 janvier 2008

La patience comme vertu

Je suis de retour après quelques semaines de silence. J'espère que cela vous a donné le temps de lire les entrées archivées :).

Le temps des fêtes passé, période où nous avons été encouragés à dépenser et à offrir à nous-mêmes et aux autres ce que notre âme désire, j'aimerais aborder le sujet de la patience. On le sait, nous vivons à une époque de gratification immédiate, où la patience n'est pas souvent cultivée. Malheureusement, la patience, bien que hautement valorisée par les chrétiens depuis les origines (Ga 5,22), n'est plus très souvent cultivée dans l'Église.

La construction de l'Église, notamment en territoire postchrétien (ou préchrétien), est un travail à long terme. Or, l'identité évangélique s'est construite en partie à travers le revivalisme, avec les réveils des 18e et 19e siècles, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Bien qu'à l'origine le revivalisme n'était pas opposé à la patience et au travail de longue haleine (notamment la réflexion et la formation académique et théologique), à la longue le revivalisme s'est appauvri et n'a souvent conservé que ses dimensions émotives, instantanées, passives (où "remettre cela entre les mains de Dieu" veut dire "attendre sans rien faire"). Cela n'a pas disposé les évangéliques au travail long et ardu accompli dans la patience. Or, il semble bien que dans la vie, la plupart des choses les plus importantes demandent des efforts. L'histoire d'Israël puis de l'Église illustre également les efforts considérables qui ont dûs être déployés par des générations de prophètes, prêtres, pasteurs, missionnaires, évangélistes et autres ouvriers et laïcs pour arriver à des résultats un tant soit peu signifiants. Il y a pourtant un décalage entre ce constat, que l'on peut tirer de l'histoire, et le discours de nombreux évangéliques. Combien de fois avons-nous entendu des conférenciers ou prédicateurs annoncer un réveil imminent qui allait, une fois pour toutes, permettre la conversion des masses et transformer la nation ? "Oubliez tout ce que vous avez accompli en 30 ans d'efforts : c'est dans les 2-3 années de réveil (qu'on dit imminent) que tout se jouera !" Une invitation à s'asseoir pour voir ce qui va se passer (Jon 4,5).

Je vois immédiatement au moins 3 problèmes majeurs avec cette attitude :

1) en affirmant cela, nous imposons à Dieu un mode d'action particulier (Dieu agit seulement dans les réveils) sans reconnaître ce que Dieu fait déjà au milieu de nous (Dieu n'a-t-il rien fait ces 30 dernières années ?). C'est sans compter les 3000 ans d'action de Dieu dans l'histoire d'Israël et de l'Église qui semblent aussi illustrer un autre mode d'action de Dieu.
2) la réalité ne réussit jamais à "rattraper" nos prédictions : on nous annonce un réveil au Québec depuis 30 ans. Où est-il donc ?
3) en adoptant cette attitude passive d'attente, nous ne travaillons pas sur ce qui est le plus important, soit aider les nouveaux croyants (et être prêt à aider les futurs croyants d'éventuels réveils) à devenir des disciples de Christ Jésus, notamment en développant notre théologie, notre pensée (soit la pensée chrétienne sur le monde et ses problèmes, sur les sciences, la littérature, la culture, les arts, l'organisation sociale, la civilisation, etc.), notre éthique, notre vie d'église. N'ayant pas fait le travail de réflexion, on ne peut évidemment communiquer de telles réflexions aux croyants qui se joignent à nous. Pire encore, nous ne préparons pas la génération qui monte dans nos églises pour qu'elle puisse diriger l'Église et avoir un impact dans les milieux dans lesquels elle est et sera appelée à servir Dieu.

La négligence des jeunes, notamment en les laissant à eux-mêmes quand vient le temps d'acquérir une formation et de faire le pont entre cette formation et leur foi, conduit à d'horribles résultats. La première tragédie est que certains abandonnent la foi ou du moins l'Église, incapables d'y voir une réalité compatible avec la raison ou la science qu'ils apprennent à apprécier. La seconde est que ceux qui persévèrent dans la foi sont souvent appelés à vivre une forme de schizophrénie entre leur vie intellectuelle, nourrie par leurs études et leurs lectures, et leur vie spirituelle, nourrie uniquement par les expériences et sentiments vécus à l'Église. Cela résulte dans le fait que la plupart des idées que ces chrétiens ont au sujet de l'environnement, de la société, de la justice sociale ou de l'univers dérivent uniquement de ce qu'ils lisent ou apprennent à l'extérieur de l'Église. Les évangéliques qui recyclent et compostent le font-ils parce qu'ils ont été sensibilisés à l'église ? Je n'en connais pas un seul pour qui c'est le cas. Les évangéliques prennent (parfois) soin de l'environnement parce que les médias en parlent. Or, il y aurait bien une ou deux choses à dire d'un point de vue chrétien sur l'environnement qui aurait à voir par exemple à l'importance de respecter et de prendre soin de la création de Dieu.

Préparer une génération à suivre Dieu et à être transformée dans sa pensée et sa pratique demande un investissement majeur de temps et d'efforts. Ce sont malheureusement des efforts que peu de gens sont prêts à investir. Évidemment, on ne peut pas donner ce qu'on n'a pas. Il faut commencer par faire la réflexion soi-même si on veut espérer guider les autres dans leur propre réflexion.

À ceux qui attendent le réveil, je terminerais simplement en suggérant que le Québec a déjà connu un réveil. Le problème est que nous avons laissé les nouveaux croyants largement sans direction et sans formation, avec les résultats que l'on connaît : certains ont quitté, mais surtout, le réveil s'est essoufflé puisqu'il n'avait pas de profondeur. On pourrait faire le parallèle avec la Parabole du semeur (Mt 13 // Mc 4 // Lc 8), où la semence tombée dans les endroits pierreux sans beaucoup de terre lève vite mais sèche, n'ayant pas de racines. Faudrait y mettre un peu de compost.

Je vous laisse avec de la lecture fort intéressante si vous voulez lire des anecdotes historiques sur le mouvement anabaptiste. Merci à Neal Blough, directeur du Centre mennonite de Paris, qui m'a dirigé vers ce site.
http://rubensaillens.over-blog.org/article-14895925.html