mercredi 1 octobre 2008

Mais où est donc la Main invisible ?

Les récents événements aux États-Unis ont fait la preuve de l'incapacité des marchés de s'autoréglementer (et s'autodiscipliner). Pire encore, c'est la loi du marché elle-même qui vient de démontrer sa perversion lorsqu'elle est laissée sans cadre législatif et réglementaire adéquat. Alors qu'on nous dit depuis des décennies que si seulement les gouvernements (notamment de pays en émergence) cessaient de réglementer les industries, comme par magie nous pourrions régler tous les problèmes économiques (voire sociaux). Un pays s'écrase-t-il sous le poids de ses dettes ou d'une crise quelconque ? L'Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international et une flopée de pays riches s'empressent de "voler à son secours", à condition que ce pays s'ouvre au libre-marché et entame une déréglementation systématique de plusieurs de ses industries. Le processus est décrit dans un livre de Naomi Klein, The Shock Doctrine. The Rise of Disaster Capitalism (traduit en français par La stratégie du choc. La montée d'un capitalisme du désastre). On peut aussi le comprendre si on a lu un journal au cours des 10 dernières années (ce qui n'enlève rien à la qualité de l'analyse incisive de Madame Klein). On encourage ainsi les États à se départir d'une partie de leur souveraineté pour faire confiance en la fameuse "Main invisible" et bénéfique. Et, non, ce n'est pas la main de Dieu.

Plusieurs membres de l'entourage de George W. Bush (notamment les Cheney et Rumsfeld) ont été des ténors de cette idéologie avant de se joindre à son administration. Il est assez ironique que la Maison-Blanche tente maintenant "d'interférer" dans un processus qui, selon la logique de la loi du marché, conduirait tout simplement à la fermeture de concurrents ineptes en faveur de compagnies financières plus performantes qui ne se sont pas enlisées dans des montages financiers ridicules. Évidemment, les milliers de petits (et gros) investisseurs seraient alors floués, de nombreux ménages perdraient leur maison et l'économie étatsunienne (et mondiale ?) connaîtrait une dépression, mais la loi du marché se chargerait de tout arranger (éventuellement) ! Assisterons-nous plutôt à la création d'une sorte de "New deal", version Bush ? Ce serait d'une ironie qui désopilerait les historiens pour des siècles à venir.

Je suis le premier à considérer que l'industrie est plus efficace que le gouvernement pour innover ou trouver des solutions à des problèmes complexes. Mais voilà : l'industrie a besoin d'un cadre législatif pour fixer les règles du jeu et pousser les capitalistes à faire entrer d'autres facteurs dans leurs calculs que les profits, par exemple la sécurité des employés ou des consommateurs, les impacts environnementaux, ou l'atteinte d'objectifs jugés socialement utiles. En l'absence de réglementation, les compagnies les plus responsables aux plans social et environnemental doivent faire concurrence à des compagnies qui se contentent de suivre les lois en vigueur et qui peuvent donc vendre leur papier hygiénique 10 sous moins cher, ce qui suffit pour perdre une bonne partie de la clientèle walmartisée. Mais si toutes les compagnies sont forcées par législation à inclure de tels objectifs non pécuniaires dans leur planification stratégique, il en résulte une innovation souvent bien supérieure à ce qu'un programme gouvernemental (ou une taxe !) peut atteindre, et ce, à moindre coût. Les néo-libéraux ont raison : la concurrence est souvent la meilleure façon de régler des problèmes vites et à coûts raisonnables. Encore faut-il que les gouvernements n'abdiquent pas leur responsabilité de légiférer et de réglementer !

Assisterons-nous aux États-Unis à un de ces partenariats public-privé où le rôle du public sera (encore !) de ramasser la facture et celui du privé d'engranger les profits ? Demandez aux PDGs des institutions financières maintenant dans la dèche qui étaient payés des dizaines de millions de dollars (ou plus) par année.