dimanche 21 novembre 2010

À propos des jeunes qui quittent l'Église

À lire, un article sur les jeunes qui quittent l'Église en grand nombre aux États-Unis. L'article fait référence à certaines des mêmes préoccupations que j'avais soulevées dans ce blogue en deux entrées (ici et ici) sur l'importance de "discuter de la foi sans perdre la raison". Ce qui s'applique à notre discours invitant les gens à l'extérieur de l'Église s'applique aussi aux jeunes à l'intérieur de l'Église qui se posent souvent les mêmes questions quant à la foi, notamment lorsqu'ils entreprennent des études collégiales ou universitaires.

lundi 1 novembre 2010

La tentation de la pomme

Voici un article plutôt divertissant sur le "culte d'Apple" par les inconditionnels des produits Mac, iPhone, iPod, iPad, etc. (dont je suis, je le confesse). Un peu caricatural, mais parfois assez juste. Peut-être surtout un rappel à l'approche de Noël que Mammon prend des formes différentes à travers le temps (rappel qui me retient toujours d'acheter un iPad).

lundi 25 octobre 2010

Un éditorial sur la post-chrétienté

Dans des termes qui rappellent ceux de Stuart Murray, qui sera à Montréal dans quelques semaines, Frédéric Lenoir prononce un éditorial vidéo sur la post-chrétienté intitulé "La chrétienté est morte. Vive l'évangile !". Il est très intéressant que des gens d'horizons aussi différents parviennent à des constats similaires sur l'échec de la chrétienté et l'avenir du christianisme.

lundi 4 octobre 2010

Conférences sur l'Égypte ancienne

L'Association des études du Proche-Orient ancien en collaboration avec la Faculté d'études religieuses de l'Université McGill organise une série de conférences sur l'Égypte les 12, 13 et 14 octobre. Ces conférences peuvent être stimulantes pour quiconque veut mieux comprendre le contexte historique général dans lequel ont été écrits les textes de l'Ancien Testament. Les conférences ont lieu à l'Université McGill et à l'UQÀM. Vous trouverez l'horaire et les titres des conférences ici.

jeudi 23 septembre 2010

L'Antéchrist sera Roumain

Voici un article sur le dispensationalisme que j'ai écrit avec Steve Robitaille et qui est paru dans Scriptura 6/1 (2004): 101-117.

lundi 20 septembre 2010

Conférences de Stuart Murray au Centre anabaptiste

Le Centre d'études anabaptistes de Montréal a l'honneur d'accueillir le prestigieux auteur Stuart Murray qui donnera des conférences à Montréal les 12 et 13 novembre. Pour plus d'information, consultez la publicité ou remplissez le formulaire d'inscription (pour le formulaire en anglais, cliquez plutôt ici). À ne pas manquer si l'on s'intéresse à l'avenir du mouvement évangélique en contexte post-chrétien, aux églises émergentes ou à l'anabaptisme.

lundi 13 septembre 2010

Lancement et vernissage

C'est avec grand plaisir que je vous invite au lancement du premier roman de mon ami Sacha Queval le samedi 16 octobre à l'École de théologie évangélique de Montréal. Pour en savoir davantage, consultez le site suivant. Le lancement s'accompagne d'un vernissage de toiles de Magalie Queval, l'artiste qui a aussi produit la couverture du livre.

mercredi 1 septembre 2010

Jésus ou le politique

À lire, cet article sur des événements plutôt surréalistes illustrant comment le combat politique est devenu central pour plusieurs évangéliques, au point qu'il semble plus important que les points de foi. Parmi les perles : "These men and women here don't agree on fundamentals. They don't agree on everything that every church teaches. What they do agree on is God is the answer." On peut se demander si, une fois que l'on accepte que Dieu est la réponse, on peut préciser de quelle réponse il s'agit si on ne s'entend sur rien en parlant de Dieu. Cela me fait penser à la déclaration du Président Eisenhower : « Our government makes no sense, unless it is founded in a deeply felt religious faith – and I don’t care what it is ».

lundi 23 août 2010

Conférence de Neal Blough au Centre anabaptiste

Neal Blough, Directeur du Centre mennonite de Paris et Professeur à Vaux-sur-Seine (Paris) est l'un des évangéliques les plus influents en France. Il donnera deux conférences gratuites au Centre d'études anabaptistes de Montréal le mercredi 8 septembre.

Les conférences sont les suivantes :

"Récit, communauté ecclésiale, et interprétation biblique" (13h00-16h00)
Dans cette conférence, Monsieur Blough parlera notamment de la question délicate de l'utilisation des récits en foi chrétienne. Comment les récits, qui constituent une part importante de la Bible, doivent-ils être interprétés et comment peuvent-ils faire autorité dans la communauté de foi ?

"L'apport anabaptiste à l'héritage évangélique" (19h00-21h00)
Dans cette conférence, Monsieur Blough apportera des réflexions essentielles sur l'identité évangélique. Il abordera principalement le cas français, qui s'avère toutefois remarquablement éclairant pour comprendre la réalité évangélique en contexte québécois. L'analyse de Monsieur Blough trace une voie pour l'avenir du mouvement évangélique au Québec.

Les conférences ont lieu dans les locaux de l'École de théologie évangélique de Montréal au 4824 Côte-des-neiges, suite 301. On peut s'inscrire au 514-331-0878 poste 221.

Les conférences seront suivies d'une discussion. On peut assister à une seule conférence ou aux deux. Tous sont bienvenus.

Parler de foi sans perdre la raison (II)

Voici la deuxième partie de l'entrée du 7 mai sur ce blogue. Il s'agit d'un article paru dans Le Lien 27/3 (2010). Ces deux articles ont été publiés sous une forme modifiée et en un seul article sous le titre "Discussing our Faith without Losing our Minds" dans le Mennonite Brethren Herald 49/3 (Mars 2010) puis sur Christianity.ca.

Dans le numéro précédent du Lien, nous avons vu que la tâche apologétique devait tenir compte de la raison et de la science pour être efficace, vu que notre monde a adopté des épistémologies (théories de la connaissance et du savoir) où la raison et la méthode scientifique occupent une place fondamentale. On ne saurait donc se satisfaire d’arguments du type « l’athéisme conduit à croire qu’il n’y a pas de sens à la vie, ce qui prouve que Dieu existe ». En effet, ce type d’argument offense la raison et revient à dire « si ça marche, c’est que c’est vrai », ou plutôt « si ça ne marche pas, c’est que c’est faux », une variante de l’Évangile de la prospérité ("si tu as du succès, c’est que Dieu te bénit") que la Bible elle-même contredit, avec pour contre-exemple ultime la crucifixion de Jésus.

Il n’y a pas que la raison

Est-ce que cette dimension rationnelle de l’apologétique veut dire que l’évangélisation est une affaire purement « philosophique » ? Certainement pas ! La présentation de la foi comprend aussi une dimension « expérientielle ». Nous sommes d’abord et avant tout témoins d’une expérience et d’une personne. La tâche apologétique et kérygmatique (proclamation essentielle sur le Christ) du chrétien est d’abord et avant tout de rendre témoignage au Christ, à sa relation avec lui et au sens que prend sa vie grâce à lui. Cette dimension est centrale à l’apologétique, sans toutefois éliminer le besoin d’une dimension rationnelle.

Évidemment (et heureusement ?), nous n’avons pas à en appeler uniquement à la raison des gens. On peut d’ailleurs très bien convaincre quelqu’un rationnellement sans pour autant le pousser à changer d’avis ou de comportement. Ceci est dû au fait que les questions de sens et d’absolu, incluant les questions de moralité et de foi, peuvent difficilement être résolues seulement par la raison, ce qui explique en partie la multiplicité des opinions tenues par des gens intelligents et rationnels.

Toute croyance a forcément des « préengagements » philosophiques, existentiels et moraux chez celui qui la porte. On ne peut être scientifiquement, empiriquement et rationnellement certain de rien dans ce monde. Nous avons tous des axiomes, des présupposés non démontrés (et souvent invérifiables) qui constituent le fondement de nos croyances, valeurs et comportements. Ce qui ne nous empêche pas de nous lever le matin et de vivre « comme si » nous savions que le monde (et notre propre personne) existe et qu’il correspond à peu près à l’idée que l’on s’en fait. Nous devons chaque jour faire des choix, comme ne pas quitter notre conjoint, même si nous ne pouvons théoriquement être certain qu’il ou elle nous est fidèle et qu’il ou elle est bien la personne que nous avons mariée plutôt qu’une réplique parfaite envoyée par les habitants de la planète Omicron 4 pour nous observer. Nous ne pouvons même pas être certain que notre conjoint existe vraiment, puisque nous ne pouvons déterminer cette existence que par l’entremise de nos sens, que nous savons parfois trompeurs.

De même, lorsque nous conduisons une voiture, nous évaluons qu’il est très probable que les véhicules autour de nous offriraient une résistance nous mettant en danger advenant une collision, plutôt que de vérifier s’il nous est possible de passer à travers, bien que la mécanique quantique admette cette possibilité. Autrement dit, n’étant pas Vulcains, la raison n’est pas le seul facteur dirigeant notre vie. Chaque jour, nous faisons des sauts de foi qui relèvent d’une posture existentielle plutôt que purement rationnelle.

La vraie raison d’être de l’apologétique

L’apologétique peut ainsi être vue non pas comme l’art de trouver l’argument massue qui convaincra tout le monde sauf les insensés, mais comme l’art de proposer des solutions raisonnables aux obstacles rationnels ou existentiels à la foi. Comme un amoureux qui a encore des doutes avant de s’engager pleinement dans une relation et qui doit atteindre un certain niveau de satisfaction (et non de certitude) face à ces doutes, l’incroyant qui contemple la possibilité de dire « oui » à Dieu doit recevoir une réponse, ne serait-ce que partielle, aux questions et aux doutes qui l’empêchent de s’engager.

Dans certains cas, ces obstacles peuvent être de mauvaises expériences vécues « aux mains » de chrétiens ou de l’Église : « Comment peut-il y avoir un (bon) Dieu si mon voisin qui dit lui obéir est aussi désagréable ? » Rappelons ici que le Québec a connu un traumatisme collectif face à certaines pratiques de l’Église catholique d’une autre époque, ce qui l’a en quelque sorte « immunisé » contre le christianisme. C. S. Lewis, en faisant référence aux traumatismes similaires de sociétés que nous appellerions aujourd’hui « postchrétiennes » a écrit qu’on ne courtise pas une divorcée comme on courtise une vierge.

Dans d’autres cas, les obstacles à la foi peuvent être des « blocages » rationnels ou existentiels du genre : « si Dieu existe, pourquoi y a-t-il tant de souffrance dans le monde ? » Qu’on le veuille ou non, ce besoin de confirmer ses choix existentiels en répondant aux doutes et questionnements qu’ils suscitent est une nécessité de l’existence humaine. C’est même une tâche qui ne sera jamais terminée, que l’on opte pour la croyance ou l’incroyance. Il y a, en effet, de bonnes raisons et arguments pour croire et ne pas croire.

La question est : quelle option nous semble être la meilleure ? Comme l’époux aura toujours des raisons de demeurer dans la relation ou d’en sortir, la foi du croyant et de l’athée sera parfois « testée ». Vivre, c’est toujours choisir entre différentes options, sans jamais être sûr de la validité de ses choix, mais sans jamais non plus pouvoir se permettre d’attendre d’avoir atteint la certitude avant de choisir.

Cette question du choix placé devant nous est centrale à la présentation biblique de la condition humaine. Elle traverse la Bible de l’Ancien Testament, où Israël doit choisir de demeurer dans l’Alliance ou d’en sortir (voir par exemple Dt 30,15-20), jusqu’au Nouveau Testament, où Jésus appelle d’éventuels disciples à aller à sa suite, laissant derrière leur vie ancienne, ce que certains acceptent et d’autres non (Mc 1,16-20 ; 10,17-31 ; Lc 9,57-62).

La tâche apologétique consiste donc non pas tant à démontrer (au sens scientifique), mais à ouvrir des possibilités de croire, incluant des possibilités de sens et d’expérience de Dieu à ceux qui hésitent à leur « donner une chance ». Et sans conclure que « si ça a du sens » ou « si ça me parle » ou « si ça marche, c’est vrai », il faut bien souligner l’importance de l’autre sens de l’équation : « si c’est vrai, cela devrait normalement marcher ». Autrement dit, si notre croyance ne « marche pas dans la vraie vie », par exemple si notre façon de vivre le christianisme ne correspond pas au discours que nous utilisons pour le présenter, on donne de bonnes raisons aux gens de rejeter ce discours. Après tout, si Dieu existe vraiment et qu’il correspond en gros à ce que le christianisme en dit (bien qu’il soit certain que, si Dieu correspond à ce que le christianisme en dit, il est infiniment plus que ce que nous pouvons saisir de lui), l’existence humaine prend un sens extraordinaire et l’agir moral de celui qui est en communion avec Dieu en est forcément affecté.

L’apologétique peut ainsi montrer que le christianisme (ou le théisme) est une option « valable » d’un point de vue existentiel et rationnel, comme certains philosophes ont montré que l’athéisme est une position rationnelle. Autrement dit, si on ne peut pas prouver que Dieu existe, on ne peut pas non plus prétendre que seuls les idiots croient en Dieu, n’en déplaise aux « nouveaux athées » agressifs à la Richard Dawkins.

mardi 29 juin 2010

Postquoi ?

Le postmodernisme a remis en question de nombreux excès de la modernité. Il est clair qu'il était nécessaire de rectifier le tir sur certains aspects. En même temps, le retour du pendule ne devrait pas tarder, la réaction à la modernité ayant engendré quelques excès qui lui sont propres et qui, déjà, semblent en voie d'être corrigés ou du moins reconnus. Steve Robitaille, un ami et collègue dont vous pouvez lire le blogue ici, a d'ailleurs rappelé dans un article à paraître que ce ne sont pas tous qui voient dans le postmodernisme (ou dans la postmodernité) la fin de la modernité. Nombreux sont ceux qui parlent d'une autre modernité ou d'une modernité réflexive, consciente de ses problèmes mais toujours résolument moderne. Il est d'ailleurs très difficile de définir positivement le postmodernisme (ou même la postmodernité), de dire ce que c'est plutôt que ce que ce n'est pas (ou ce que cela ne veut pas être). Cela devrait suffire pour reconnaître son caractère provisoire ou du moins inachevé.

Je crois donc qu'il ne faut pas être trop intimidé ou réfractaire au postmodernisme, qui a du bon, mais il est clair qu'il ne faut pas non plus "filtrer le moucheron et avaler le chameau", ou rejeter la modernité pour ses défauts et accepter sans critique la postmodernité, ce que certains semblent enclins à faire (par exemple certains "émergents"). Parmi les propositions postmodernistes qui doivent être questionnées se trouve à mon avis l'impératif consistant à abandonner en bloc les métarécits, ces récits qui visent à expliquer l'intégralité de l'expérience, de la connaissance ou de l'histoire humaines et qui constituent, selon de nombreux postmodernistes s'inspirant de Lyotard, des discours de légitimation, des récits totalisants, au fond des idéologies et des moyens de domination. Il faut plutôt se contenter selon eux de microrécits, des récits "vrais pour une communauté" ou " pour une situation précise".

Bien que Lyotard ne s'attaque pas au christianisme dans sa présentation/critique des métarécits, certains voient dans le christianisme cherchant à expliquer la condition humaine par un récit totalisant (par exemple, l'histoire du salut, qui est une certaine présentation de la foi chrétienne), comme dans la plupart des autres historiographies (mise en récit de l'histoire ou écriture sur l'histoire), un métarécit, une façon d'expliquer de façon totalisante et totalitaire la condition humaine. Le christianisme serait donc "menacé" (ou à tout le moins critiqué) par cette dimension de la postmodernité.

Pour tout dire, je ne suis pas sûr que le québécois (ou l'occidental) moyen, qui n'a pas lu Lyotard, soit si réfractaire aux métarécits : les "vrais postmodernes" (oxymoron?) me semblent minoritaires de ce point de vue. Le québécois moyen est (ou aime se croire) réfractaire au dogmatisme, à une pensée totalisante et totalitaire, mais tous les métarécits ne sont pas forcéments idéologiques (au sens péjoratif du terme). La prétention au sens n'est pas la même que la prétention au monopole de la vérité ou à la vérité exhaustive. Ce n'est pas nécessairement l'imposition de la vérité non plus. Ce n'est pas parce qu'un récit est "englobant" qu'il est dogmatique ou qu'on ne peut reconnaître son caractère incomplet, voire provisoire. Il me semble que la Bible propose véritablement un métarécit, mais largement sur le plan symbolique, et la symbolique, comme l'affirmait si bien récemment le bibliste Marc Girard dans une conversation personnelle, c'est "l'évocation d'un monde dont on ne comprend rien mais qui contient les solutions à tous les problèmes humains". Je ne peux penser à une meilleure façon de voir la Bible et le christianisme.

Je ne suis pas certain que les gens refusent par principe d'adopter un discours ou un récit totalisant : il existe encore de tels récits, mais les gens semblent réfractaires à faire confiance à une autorité comme l'Église pour l'articuler. Ils préfèrent adopter le récit du "troupeau", par exemple le récit du progrès social ("on est rendu là") qui devient parfois intransigeant, totalisant et totalitaire, reléguant au statut d'hommes des cavernes tous ceux qui n'adoptent pas leur récit. Il s'agit clairement d'une prétention à la Vérité et non d'un microrécit pour une communauté précise.

Sur ce, je vais aller manger ma cuisse de mammouth.

jeudi 13 mai 2010

Suggestion de lecture

Sur un sujet connexe à celui touché récemment dans ce blogue sur la culture étatsunienne, voir l'entrée du blogue du Centre mennonite de Paris sur les mennonites états-uniens et le patriotisme.

vendredi 7 mai 2010

Parler de foi sans perdre la raison (I)

Cet article a été publié dans Le Lien 27/2 (Mars-Avril 2010). La seconde partie sera publiée dans Le Lien 27/3 (Mai-Juin 2010), puis dans ce blogue. Ces deux articles ont été publiés sous une forme modifiée et en un seul article dans le Mennonite Brethren Herald 49/3 (Mars 2010) sous le titre "Discussing our Faith without Losing our Minds" puis sur Christianity.ca.

À 18 ans, j’étais à la croisée des chemins entre l’athéisme et la foi chrétienne. La faiblesse de nombreux arguments défendant le théisme (croyance en Dieu) me dirigeait tout droit vers l’athéisme ou du moins au rejet formel de la foi chrétienne. Il s’agissait d’arguments tels que « l’athéisme conduit à croire qu’il n’y a pas de sens à la vie, ce qui prouve que Dieu existe ». Ce type d’argument me posait problème puisqu’il est fondé sur une opinion, soit que la vie a (ou doit avoir) un sens, opinion qui n’est pas partagée par tous. Au fond, cet argument revient à dire « si ça marche, c’est que c’est vrai », ou plutôt « si ça ne marche pas, c’est que c’est faux ». Mais on peut se demander si l’athéisme est faux simplement parce que ses conclusions sont déprimantes.

Plus fondamentalement, ce type d’argument ne répondait pas aux vrais problèmes que j’avais avec la foi chrétienne. La raison pour laquelle j’ai finalement rejeté l’athéisme et choisi la foi chrétienne est que j’ai pu, grâce au dialogue avec un chrétien, répondre à deux types d’obstacles à la foi, soit des questions d’ordre rationnel et existentiel. En me fondant sur mon expérience, j’aimerais suggérer quelques réflexions dans le but d’encourager un meilleur dialogue avec les athées et les non-croyants. Dans ce premier article, je vais mettre l’accent sur la dimension rationnelle du témoignage chrétien, alors que dans le suivant je soulignerai sa dimension existentielle.

Foi et raison

Notre monde moderne est fondé sur des épistémologies (théories de la connaissance et du savoir) où la raison et la méthode scientifique occupent une place fondamentale. Cela implique que la présentation de la foi chrétienne ne doit pas choquer inutilement la raison ni la démarche scientifique. Ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons pas remettre en question certaines positions philosophiques ou scientifiques. Après tout, la résurrection était une folie pour les Grecs, mais les premiers chrétiens ne pouvaient faire de compromis sur ce sujet pour satisfaire la sagesse humaine.

Cependant, nous savons que plusieurs apôtres et Pères de l’Église ont cherché à présenter la foi d’une façon qui était intellectuellement admissible pour les gens de leur époque. Augustin croyait que la présentation naïve de l’univers que proposaient certains chrétiens de son époque et qui ne tenait pas compte des avancées philosophiques et « scientifiques » du temps faisait plus de tort que de bien puisqu’elle incitait les gens savants à rejeter la foi chrétienne sous prétexte qu’elle était fondée sur des connaissances et compréhensions périmées et clairement fausses.

Un des projets fondamentaux de l’histoire du christianisme, qui a notamment occupé de nombreux Pères de l’Église, a été l’articulation de la foi chrétienne en employant les moyens intellectuels de l’époque, notamment la philosophie grecque. Cette entreprise s’explique notamment par le désir des Pères de démontrer que la foi chrétienne pouvait résister même à la rigueur de la reine des philosophies et des savoirs. Plus fondamentalement, les Pères estimaient qu’il était permis (non, nécessaire) de se servir des meilleurs moyens intellectuels disponibles pour réfléchir à la foi chrétienne et à ses implications. Cela a donné naissance à des formulations aussi remarquables que la doctrine de la Trinité.

Ainsi, s’il n’est pas nécessaire de se soumettre entièrement à la science et à la raison, il est inadmissible d’en faire fi. Il n’est pas nécessaire d’éteindre son cerveau pour croire en Dieu ; au contraire, la raison peut être utile à la foi. La présentation de la foi, surtout si elle inclut des arguments de type philosophique ou scientifique, ne doit faire fi ni de la logique, ni de la raison ou de la démarche scientifique. Les questions de l’existence de Dieu et du sens de la vie sont des questions on ne peut plus légitimes, pertinentes et raisonnables, particulièrement depuis le 18e siècle. Et ces questions ne devraient pas occuper seulement les agnostiques qui ne se sont pas (encore ?) fait une opinion sur le sujet, à supposer que les agnostiques soient des « indécis » plutôt que des gens qui ont conclu qu’il (leur) est impossible de trancher la question. En effet, même les croyants et les athées peuvent pousser leur réflexion plus loin en revisitant en profondeur ces questions.

Ainsi, sans devoir (ou pouvoir) nécessairement démontrer rationnellement l’existence de Dieu, il demeure nécessaire de ne pas offenser la raison et de « rendre compte de la foi » (1 P 3,15) d’une façon intelligente, en faisant usage de la raison. Bien entendu, ce ne sont pas tous les chrétiens qui doivent devenir des philosophes ou des scientifiques, mais le discours global véhiculé par tous les chrétiens (la somme des arguments et des discussions auxquelles participent les chrétiens) devrait inclure une présentation rationnelle de la foi et contenir le minimum d’arguments fallacieux, au risque de rebuter inutilement les gens. On doit se rappeler le souci de Paul de se faire « tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns » (1 Co 9,19-23).

Il n’y en aura pas de faciles

Malheureusement, la mauvaise presse dont souffre le christianisme dans de nombreux milieux intellectuels et scientifiques est due à une présentation intellectuellement médiocre de la foi. Si on veut espérer un réel dialogue avec ceux qui n’adoptent pas la foi chrétienne, il faut notamment éviter de caricaturer la position critiquée (les athéismes, les paganismes, les sécularismes, les postmodernismes, les évolutionnismes, etc.) pour ensuite facilement (évidemment) la déconstruire. Pour être réel, le dialogue demande que l’on écoute ce que « l’autre » affirme pour s’assurer de bien comprendre plutôt que de croire que tous ceux qui n’adoptent pas nos croyances et raisonnements sont forcément idiots ou endurcis, et que leurs positions peuvent être réduites à des constructions ridicules, irrationnelles ou immorales.

Il faut donc larguer les discours simplistes qui disent par exemple que les athées sont tous malheureux et amoraux et sont donc dans l’erreur alors que tous les chrétiens sont heureux et vertueux et ont donc raison. La Bible elle-même n’endosse jamais l’équation simpliste : « si ça marche, c’est que c’est vrai » ou ses mutations, comme le soi-disant « Évangile de la prospérité » qui afflige certaines églises. Rappelons-nous des nombreux exemples bibliques contredisant ce paradigme totalitaire qui fait correspondre le succès à la véracité ou à la fidélité à Dieu. Un de ces exemples est ce que dit l’Ancien Testament à propos du peuple d’Israël du 8e siècle av. J.-C. À cette époque, Israël a connu une grande prospérité et un développement important. Les Israélites croyaient être bénis par Yahvé puisque les sanctuaires étaient pleins et les sacrifices abondaient. Dieu, repu, se devait donc de bénir son peuple en retour. Or, Amos et Osée n’attribuent pas la prospérité d’Israël à sa fidélité ou aux bénédictions divines et annoncent la destruction d’Israël.

Et ils ne sont pas les seuls prophètes dont le message ou la vie et le ministère contredisent la formule « le succès est conséquence de la véracité et de la fidélité ». En fait, la plupart des prophètes, incluant Jésus, ont eu de grandes difficultés personnelles et un ministère dont le succès a été pour le moins mitigé. Disons-le franchement, le ministère et la prédication de la plupart des prophètes (incluant Jésus) ont été un échec cuisant, du moins de leur vivant, surtout si on évalue le succès de la prédication prophétique en fonction de la repentance des masses. Rappelons-nous comment les Évangiles présentent même les disciples comme étant souvent incapables de comprendre ou d’accepter l’enseignement de Jésus (sans parler de la trahison de Judas). Mais le succès mitigé des prophètes et leurs échecs ne sont-ils pas dus précisément au fait qu’ils communiquaient fidèlement la Parole de Dieu à un peuple qui n’en avait strictement rien à cirer (voir Ez 2,7 ; 3,7) ?

On peut se demander pourquoi les choses devraient nécessairement être différentes aujourd’hui. « Si ça marche, c’est que c’est vrai ». Ah oui ? Dites-cela à Jean-Baptiste ou à Jérémie ! Il semble que l’incapacité à suivre Dieu et l’utilisation d’un substitut plus pratique comme un code bien défini ou des recettes à la mode (qui ont du succès ! qui marchent !) soient une caractéristique de l’humanité et même du peuple de Dieu qui perdure de génération en génération. Les Pharisiens n’avaient pas de problème de recrutement au temps de Jésus. Était-ce parce qu’ils avaient raison ?

Lors du prochain numéro du Lien, nous verrons que, bien que la tâche apologétique doive tenir compte de la raison, elle dépasse cette seule dimension et doit prendre en compte également la dimension existentielle de l’être humain.

Bible et culture aux États-Unis

Cet article est paru dans Theoforum 37 (2006) : 197-222.

Lorsqu’on vit au Québec et même au Canada français, on peut se demander si la Bible a une réelle influence sur la culture. Notre société est caractérisée par la marginalisation du christianisme et l’absence de connaissances bibliques minimales chez la plupart des gens, en particulier chez les jeunes[1].

Certains se permettent de généraliser et d’affirmer que l’Occident en général se trouve dans une situation similaire, ce qui n’est pas tout à fait vrai. Il faut reconnaître qu’il y a au moins une exception (certains parleront d’une aberration) : les États-Unis. Les États-Unis sont une énigme pour la plupart des Québécois comme d’ailleurs pour la plupart des Européens francophones, en particulier du point de vue de la place privilégiée de la religion dans la sphère publique, malgré la séparation formelle entre l’Église et l’État.

Alors que l’Occident semble devenir post-chrétien, la population et les dirigeants politiques états-uniens semblent devenir plus chrétiens et même plus fondamentalistes que jamais. Les États-Unis ne semblent pas pressés de nous rejoindre dans la marche vers la sécularisation et le rejet massif de l’héritage chrétien. Bien que ce ne soit pas tous les États-uniens qui soient influencés par une conception religieuse du monde, la religion et les valeurs qu’elle véhicule ont un impact important sur le pays et sur ses politiques intérieure et extérieure[2].

Or, « l’anomalie états-unienne » nous semble importante à analyser non seulement pour comprendre les États-Unis, qui est tout de même le pays le plus puissant et influent de la planète[3], mais peut-être aussi pour mieux comprendre l’Occident en général puisque le cas états-unien remet en question la thèse annonçant la fin du christianisme en Occident. En effet, les États-Unis, bien que particuliers, ne sont pas à notre avis complètement différents du reste de l’Occident[4].

Le cas états-unien pourrait-il démontrer que, malgré la fin de l’hégémonie de l’Église catholique dans la société québécoise et son déclin démographique, la mort imminente du christianisme en Occident annoncée par certains n’aura pas nécessairement lieu ? Est-il possible que le christianisme soit simplement dans une période de mutation en Occident ? Malgré tout le mal qu’on en pense parfois, la vitalité du christianisme aux États-Unis et dans certains pays anglo-saxons comme la Grande-Bretagne, le Canada (anglais) et l’Australie[5], démontre que l’Église pourrait bien survivre encore longtemps en Occident, mais que la forme qu’elle prendra risque d’être différente[6].

Le Pape Benoît XVI, qui semble avoir fait de l’Occident une priorité, a par ailleurs récemment identifié les États-Unis (avec l’Italie) comme une île religieuse en Occident qui pourrait indiquer la voie à suivre pour le catholicisme dans les années à venir dans un Occident post-chrétien[7]. Il serait donc utile, en particulier pour les biblistes et théologiens, de mieux comprendre le christianisme aux États-Unis et ses interactions avec le pluralisme, le sécularisme et la sphère publique, en fait avec la culture états-unienne au sens large[8].

Bush, un innovateur ?

On s’est beaucoup étonné ces dernières années de l’usage fréquent de métaphores ou d’allusions bibliques par George W. Bush. Lors du premier anniversaire des attaques du 11 septembre 2001 par exemple, Bush a dit : « Cet idéal de l’Amérique est l’espoir de toute l’humanité (…) Cet espoir continue à illuminer notre voie. Et la lumière brille dans l’obscurité. Et l’obscurité ne l’a pas conquise »[9].

Pendant la campagne présidentielle de 2004, Bush évoquait constamment sa foi et les « questions morales » conservatrices (comme l’opposition à l’avortement et aux mariages gais). On a moins remarqué que pendant cette même campagne le candidat démocrate John Kerry (surtout vers la fin) a lui aussi fait allusion à sa foi et à la Bible, notamment en évoquant la parabole du Bon samaritain. John Kerry a également souligné l’importance d’aimer son prochain et il a cité L’Épître de Jacques en disant : « il ne suffit pas, mon frère, de dire que tu as la foi lorsqu’il n’y a pas d’œuvres (…) La foi sans les œuvres est morte »[10].

Plus significatif encore, les références religieuses et bibliques de George W. Bush durant sa présidence et ses campagnes électorales n’ont pas causé d’émoi chez la plupart des États-uniens. En 2003, 62% des États-uniens pensent que Bush a « réussi à trouver l’équilibre souhaitable entre religion et politique et 59% jugent que son recours à la religion, lors de sa prise de décisions, est opportun »[11].

Alors qu’on décrit parfois George W. Bush comme étant en rupture avec le passé, nous pensons au contraire que Bush est pour l’essentiel en continuité avec l’histoire états-unienne dans l’utilisation qu’il fait de la Bible pour modeler (ou du moins justifier) sa pensée et son action politique.

Limites de la démarche

Le but de cette conférence est justement de montrer que l’importance de la Bible dans la culture états-unienne n’est pas un phénomène nouveau aux États-Unis. La Bible a été fréquemment utilisée aux États-Unis non seulement dans l’Église (et la synagogue), mais aussi en politique[12] et dans les arts et les lettres. Comme le note Mitri,

les images et métaphores bibliques ont été largement utilisées à travers l’histoire des États-Unis, non seulement par les prédicateurs et autres religieux mais aussi par les hommes politiques, depuis le temps de ceux qu’on appelle communément les Pères fondateurs[13].

Plutôt que d’examiner l’utilisation de la Bible par George W. Bush, nous nous pencherons surtout sur le contexte historique plus large pour donner une épaisseur historique à la situation présente. Nous mettrons également l’accent sur l’influence générale de la Bible dans la sphère publique plutôt que dans les arts et la littérature[14]. Nous ne parlerons pas de l’influence de la religion en général ou de l’influence de la Bible dans les religions et confessions, cette dernière étant évidente, mais bien de celle de la Bible en particulier dans la culture ou la société états-unienne[15].

La myopie historique

La couverture médiatique du phénomène religieux états-unien depuis 2000 a été tellement mauvaise, simpliste et myope du point de vue historique qu’elle a introduit une confusion dans la population mais aussi chez les intellectuels, en particulier au Québec et en France[16]. Par exemple, les journalistes et intellectuels décrivent parfois l’élection de Bush comme l’élection du premier Président évangélique aux États-Unis, ce qui est faux, et comme l’indice d’une rupture avec le passé, ce qui est également faux.

En fait, pour comprendre la situation religieuse et socio-politique actuelle aux États-Unis, dont l’utilisation de la Bible dans la sphère publique (ce qui nous intéresse ici), y compris l’utilisation (voire l’instrumentalisation) de la Bible et de la religion par les politiciens, il faut remonter loin derrière. En effet, et contrairement à ce que semblent croire certains journalistes et intellectuels québécois et franco-européens, la religion et la droite religieuse ont commencé à avoir une influence culturelle et politique aux États-Unis bien avant l’arrivée au pouvoir de George W. Bush. On se souviendra au moins de l’élection de Ronald Reagan en 1980[17] où certains avaient attribué la victoire de Reagan en partie à l’influence de la droite religieuse[18], avec entre autres l’appui de la Moral Majority de Jerry Falwell, un groupe composé surtout de fondamentalistes mais aussi d’évangéliques[19].

En réalité, il faut remonter bien avant 1980[20]. L’élection de Reagan, si on l’attribue en partie au vote « religieux », est le résultat non pas de la naissance d’un phénomène nouveau mais d’un retour des fondamentalistes et des évangéliques à la vie publique active et de leur alignement graduel vers la droite et le parti républicain. En effet, les fondamentalistes et les évangéliques avaient connu aux États-Unis quelques décennies de repli de la vie politique et publique depuis le milieu des années 1920. Ils sont revenus en force dans les années 1970 et 1980. Dans un pays où le taux de participation aux élections est très faible, le vote de la droite religieuse compte maintenant pour davantage que son poids démographique réel puisque la droite religieuse est fortement politisée et mobilisée. Elle a donc une importance disproportionnelle à sa taille.

Mais cette récente montée de la droite religieuse ne doit pas cacher le fait qu’en réalité la religion et la Bible jouissent aux États-Unis d’une influence considérable sur la vie publique et politique depuis les temps coloniaux, donc avant même la création du pays.

Présence de la Bible

La désignation d’une partie des États-Unis comme la « Bible Belt » illustre l’importance qu’occupe la Bible dans de nombreux états du sud, mais l’influence de la Bible est beaucoup plus étendue dans l’espace et dans le temps que dans cette Bible Belt des 20e et 21e siècles. Ce sont pratiquement tous les états depuis leur fondation qui ont été fortement influencés par la religion (en particulier protestante) et par la Bible. Jusque dans les années 1950, certains états exigeaient qu’on lise des extraits de la Bible et qu’on récite le Notre père au début de la journée[21].

Aujourd’hui encore, la majorité des États-uniens vivants ont été influencés par la Bible directement ou indirectement au cours de leur existence. Par exemple, la moitié des États-uniens dans les années 1980 considéraient que « la Bible est la Parole de Dieu et [que] tout ce qu’elle dit est vrai »[22].

En même temps, l’influence de la Bible est plutôt sélective. En effet, alors même que 6 États-uniens sur 7 estimaient que la Bible était la Parole inspirée de Dieu dans les années 1950, plus de la moitié des adultes étaient incapables de nommer un seul des 4 Évangiles ![23] De même, alors que 6 États-uniens sur 7 estimaient dans les années 1980 que les 10 commandements étaient applicables aujourd’hui, seulement 3 de ces 6 arrivaient à en nommer au moins quatre ![24].

Malgré la superficialité de la connaissance de la Bible des États-uniens, les chiffres révèlent l’importance de la Bible à leurs yeux et l’aura qu’on lui attribue encore. Les États-Unis se distinguent en cela de tous les autres grands pays industrialisés au moins depuis plusieurs décennies[25]. Les illustrations de ce caractère « distinct » incluent les récentes décisions de la Cour suprême concernant la présence de monuments ou de reproductions des 10 commandements dans les palais de justice et d’autres bâtiments publics aux États-Unis. Rappelons que certaines de ces décisions ont été positives en permettant de tels monuments ou reproductions, quoique la tendance est à encadrer l’utilisation de tels monuments.

Mark Noll estime d’ailleurs que sans la Bible, il est impossible de rendre compte de l’histoire des États-Unis ou de ses idéaux[26]. Alexis de Tocqueville dans sa Démocratie en Amérique affirmait déjà en 1835 qu’il n’y avait pas de pays dans le monde où la religion chrétienne avait autant d’influence sur les âmes des hommes qu’en Amérique[27]. En réalité, Tocqueville est à son époque le témoin d’un trait culturel qui est déjà plus que centenaire.

Les puritains

Au début du 17e siècle les puritains fuyant la Grande-Bretagne des Stuarts ont fondé en Amérique des colonies dont Plymouth (1620) et la Massachusetts Bay Colony. Le gouverneur de cette dernière, John Winthrop, a déclaré en 1630 que cette société serait une « ville sur une colline » (a city upon a hill), « le phare de la liberté pour les autres peuples », un modèle d’État chrétien pour le monde entier faisant de la Bible le guide suprême pour la construction d’une nouvelle société[28]. Il s’agit bien sûr d’une expression tirée du Sermon sur la montagne (Mt 5,13-16). L’Ancien Testament était particulièrement important pour les puritains puisqu’il y était question de la société créée par Dieu, Israël[29], le modèle pour l’utopie puritaine.

Les puritains appliquaient à leur situation la théologie deutéronomiste, la théologie de l’alliance faisant de la relation à Dieu le facteur principal du succès ou de l’échec du peuple de Dieu. Comme Israël dans l’Ancien Testament, si les puritains obéissaient à la loi et à la moralité de Dieu et conservaient l’alliance avec Dieu, ils seraient bénis dans cette nouvelle terre promise ; s’ils n’étaient pas fidèles à l’appel de Dieu ils seraient punis et rejetés par lui[30]. Les autres colonies ont rapidement repris cette compréhension puritaine de leur identité et de leur destinée pour se percevoir à leur tour comme un nouvel Israël qui avait une alliance avec Dieu et un rôle particulier à jouer dans le monde[31]. Cette notion se développera en particulier avec la création du pays pour en arriver à la conception des États-Unis encore en vogue aujourd’hui faisant de la nation « le phare du monde », une nation qui a une « destinée manifeste » et particulière[32], le concept de l’exceptionalisme états-unien auquel nous reviendrons plus loin. L’exceptionnalisme ira de pair avec l’idée d’universalité des valeurs (et institutions) états-uniennes, qui sont pleinement exportables. La plupart des sociétés qui sont privées de ces valeurs et institutions (la liberté, la démocratie, et éventuellement la libre entreprise) désirent (et pourraient) y accéder[33].

Il ne faut pas négliger l’impact permanent du puritanisme et de l’utilisation qu’il fait de la Bible dans l’histoire états-unienne[34]. On ne se contentera pas toujours de chercher à inspirer les nations par l’exemple d’une société démocratique utopique, libre et pieuse. Le concept de destinée manifeste en particulier, dérivé de l’héritage puritain, aura souvent une fonction politique servant à légitimer l’expansion états-unienne, voire son impérialisme[35].

Elle permettra aux États-uniens de prendre les terres autochtones sur la base de leur supériorité morale et en utilisant le précédant biblique d’Israël conquérant Canaan des mains des méchants païens[36]. La naissance même du concept de « destinée manifeste » est d’ailleurs liée historiquement à la guerre contre le Mexique en 1848, guerre au cours de laquelle ce dernier a perdu la moitié de son territoire. La découverte d’or en Californie l’année suivant la victoire états-unienne (et la conquête du territoire) était une confirmation de la faveur divine. Cette perception d’une nation qui a une alliance spéciale avec Dieu (et qui est donc bénie de Dieu), qui est le « phare du monde » et est le « leader du monde libre »[37] est demeurée présente tout au long de l’histoire états-unienne[38].

En fait, cette appropriation de l’Ancien Testament et de notions comme l’alliance d’un peuple avec Dieu et la théologie deutéronomiste sont des éléments fondamentaux dans la construction de l’identité états-unienne. On voit cette appropriation manifestée très tôt avec les puritains, mais aussi tout au long de l’histoire des États-Unis, jusqu’à aujourd’hui, quoique sous une forme un peu différente comme nous le soulignerons plus loin.

En fait, cette façon pour les États-uniens de se comprendre et de se définir est présente un peu partout dans leur imaginaire et dans leur perception d’eux-mêmes. Sans réduire toute l’histoire états-unienne à la Bible et la religion, il est clair que les éléments religieux et bibliques ont joué un rôle indéniable à de nombreux moments clés de l’histoire des États-Unis, constituant une partie des facteurs en cause dans les changements dans la société états-unienne.

La Guerre de sécession

En fait, la Bible a été utilisée dans pratiquement tous les enjeux de société au cours de l’histoire états-unienne, incluant les réformes sociales, dont les longues luttes pour la prohibition de l’alcool et pour l’abolition de l’esclavage. Le débat sur l’abolition de l’esclavage est particulièrement intéressant puisque les partis des deux côtés ont utilisé la Bible pour justifier leur point de vue.

Les abolitionnistes estimaient que l’esprit de l’enseignement biblique interdisait l’esclavage d’une race par une autre et même (la théologie deutéronomiste aidant) que l’esclavage était responsable de l’état pitoyable de la nation[39]. De leur côté, les esclavagistes estimaient que la Bible ne condamnait pas l’esclavage et en plus elle le réglementait (Pentateuque)[40]. Paul demandait aux esclaves d’obéir à leur maître (par exemple dans Eph 6) et l’épître à Philémon faisait carrément de l’esclavage une institution chrétienne[41]. En fait, les esclavagistes utilisaient la Bible pour soutenir l’ordre social créé par Dieu, ordre qu’on ne devait pas remettre en question entre autres en abolissant l’esclavage[42]. On justifiait aussi l’esclavage d’une race par la Malédiction de Canaan par Noé dans Gn 9,25 : « Maudit soit Canaan ! Qu’il soit pour ses frères le dernier des esclaves ! ».

Cette utilisation de la Bible s’est poursuivie durant la Guerre de sécession, les nordistes comme les sudistes estimant que Dieu était de leur côté et utilisant des concepts bibliques dans leur propagande guerrière. On estimait au Nord, comme on peut le voir dans « The Battle Hymn of the Republic », le chant militaire des troupes unionistes, que la victoire imminente du Nord inaugurerait rien de moins que le Règne du Christ sur la terre, le millénium dont parle l’Apocalypse[43], pris ici au sens d’un règne terrestre littéral de mille ans (nous y reviendrons plus loin). Le paradoxe est bien résumé par Abraham Lincoln lors de son second discours d’installation où il affirme « Les deux lisent la même Bible et prient le même Dieu et chacun demande son aide contre l’autre »[44].

C’est sans parler des esclaves noirs eux-mêmes, qui s’identifiaient aux Israélites en esclavage en Égypte et attendaient un nouveau Moïse pour les délivrer ou un Josué pour les mener en terre promise[45]. Les chants traditionnels des Afro-états-uniens, qui sont davantage que des cantiques religieux (ayant grandement contribué à souder l’identité afro-états-unienne), débordent de telles métaphores bibliques. Les esclaves noirs étaient familiers avec la Bible en particulier parce que les propriétaires d’esclaves dans le Sud donnaient une Bible à leurs esclaves pour qu’ils pensent au ciel plutôt qu’au triste sort qui leur était réservé sur terre[46].

Cette division autour de l’abolitionnisme aux États-Unis est d’ailleurs perçue à l’époque par de nombreux catholiques européens comme Augustin Cochin ou les rédacteurs du journal jésuite italien La Civiltà cattolica, comme une conséquence directe de l’absence du Magistère dans l’interprétation de la Bible chez les protestants états-uniens[47]. À la même époque les Québécois catholiques n’étaient pas plus impressionnés par l’utilisation de la Bible par les États-Uniens et ont proposé leur propre utilisation de la Bible, par exemple en identifiant à leur tour les Canadiens français comme un nouvel Israël en partie pour décourager l’émigration des Canadiens français vers les États-Unis. Louis-François Laflèche, l’évêque de Trois-Rivières en est un bon exemple[48].

Revivalisme

Les différences dans le rapport à la Bible entre le catholicisme et le protestantisme états-unien, en particulier du 17e au 19e siècles, vont faire en sorte que la Bible jouera un rôle culturel beaucoup plus important aux États-Unis qu’à peu près partout ailleurs. Les Réformateurs avaient évidemment parti le bal en accordant à la Bible plutôt qu’à l’Église l’autorité sur le croyant. Cependant, le sola scriptura protestant ne sera mené au bout de sa logique qu’avec les puritains et les premiers évangéliques, les piétistes du 17e siècle, deux groupes qui joueront un rôle important aux États-Unis du 17e au 19e siècle. Le piétisme, né au sein du luthéranisme européen et développé en particulier dans le revivalisme anglo-états-unien des 18e et 19e siècles, a d’abord insisté pour que le croyant développe une expérience spirituelle personnelle plutôt que de se contenter d’adhérer à un crédo, ce qui correspondait à la définition du chrétien dans le protestantisme du 17e siècle. Le piétisme insistait aussi pour que le croyant lise la Bible seul et en communauté comme l’avaient suggéré les réformateurs, qui n’étaient jamais pour autant arrivés au succès du piétisme à cet égard.

Puis, durant le 18e et surtout le 19e siècle, le revivalisme, une variante du piétisme, a mis l’accent sur la notion voulant que le chrétien ordinaire avec sa Bible était un meilleur guide et prédicateur que la personne qui avait une formation formelle en théologie[49]. Dans un sens le revivalisme, une des premières formes du mouvement évangélique, a poussé à l’extrême le désir des Réformateurs de replacer le croyant seul face au texte, sans l’intermédiaire des théologiens et du clergé. Il ne s’agissait pas d’une attitude anti-intellectuelle en soi. Le revivalisme était un produit des Lumières (dans la forme écossaise), plaçant la raison au centre et estimant que le revivalisme était la science de la conversion dans la tradition du « common sense » à la sauce baconienne[50]. Par l’étude, la raison et l’observation, on pouvait trouver les mécanismes conduisant à la conversion puisque le même Créateur avait instauré les lois régissant le monde physique et spirituel, et donc que ces domaines obéissaient à des lois qu’il suffisait à l’homme doué de raison de découvrir. Il suffisait de produire les bonnes conditions pour obtenir les effets désirés, soit la conversion des individus et des masses.

Bible et Lumières

Les revivalistes estimaient que la théologie qu’on pouvait tirer de la raison et de l’observation scientifique du monde et la théologie qu’on pouvait tirer de la Bible étaient en harmonie complète, et qu’en fait la science et la raison pouvaient prouver les vérités du christianisme, le Créateur de l’univers étant aussi l’auteur de la Bible[51]. Aussi étrange que cela puisse paraître, il s’agit bien d’une forme de la modernité naissante. La Bible était pour ainsi dire une autre banque de données dans laquelle on pouvait puiser et à laquelle on pouvait appliquer la raison.

La Bible était perçue comme l’autorité ou une source de données sur tous les sujets, pas seulement la théologie et la moralité mais aussi l’histoire et les sciences[52]. Cette attitude sera d’ailleurs reprise plus tard avec la notion d’inerrance, doctrine qui prétend que la Bible est sans erreur et constitue l’autorité suprême sur tout sujet sur lequel elle se prononce, incluant des questions historiques, géologiques, archéologiques, paléontologiques, biologiques et cosmologiques[53].

Il faut préciser que l’inerrance est encore largement acceptée par les fondamentalistes et les évangéliques conservateurs aux États-Unis, avec par exemple la question du créationnisme qu’on oppose à la théorie de l’évolution. Pour les créationnistes, les biologistes doivent se tromper sur la question de l’évolution puisqu’ils contredisent les récits de création de Gn 1-2 interprétés littéralement qui affirment que l’être humain a été créé directement par Dieu. De même, les géologues doivent mal calculer l’âge de la terre et les astrophysiciens doivent mal calculer l’âge de l’univers puisque Gn 1-2 parlent de 7 jours, pas de milliards d’années[54].

Il ne faut pas oublier qu’on ne parle pas ici de la croyance de quelques hurluberlus confinés à leur église mais bien de luttes dans la société civile, en particulier dans les commissions scolaires, où on a récemment encore tenté d’exiger l’enseignement dans les écoles du créationnisme ou du dessein intelligent, qui en est une mutation récente, à côté de la théorie de l’évolution, qui est perçue comme déficiente (par exemple à Dover en Pennsylvanie l’an dernier). Ces controverses s’expliquent en partie par le fait que la majorité des États-uniens rejettent la théorie de l’évolution[55].

Aussi difficile à comprendre que ce puisse l’être pour un Canadien français, l’affrontement entre le créationnisme et l’évolutionnisme constitue un réel débat de société aux États-Unis qui a des conséquences parfois inattendues. Par exemple, les cinémas IMAX dans le sud états-unien (la Bible Belt) ont dû à quelques reprises ces dernières années renoncer à présenter certains films qui prenaient pour acquis la théorie de l’évolution parce qu’ils risquaient le boycott[56].

Le prestige accordé à la Bible s’est poursuivi au 19e siècle malgré l’abandon graduel des Lumières écossaises. En fait, la Bible constituait encore au 19e siècle la première référence en rhétorique (comme l’attestent les discours des présidents états-uniens), en histoire et en littérature[57]. Elle était la source principale des idéaux et valeurs de la société états-unienne[58]. La Bible était vraiment LE livre des États-uniens, souvent leur seule littérature et le seul livre possédé par une famille[59]. L’influence de la Bible se faisait sentir de haut en bas dans la société.

En fait, malgré des changements profonds dans la société états-unienne, le 18e siècle avait laissé une empreinte qui non seulement constituera la synthèse que les fondamentalistes chercheront à préserver à la fin du 19e siècle et au début du 20e (et jusqu’à ce jour, au fond), mais qui aura des échos beaucoup plus vastes dans la société, même si celle-ci deviendra de plus en plus pluraliste et sécularisée.

L’application à la Bible des Lumières écossaises a renforcé le principe protestant du sola scriptura déjà magnifié par les puritains, en affirmant que l’Église devait retourner aux pratiques de l’Église primitive telles que rapportées dans le Nouveau Testament. C’était afin de s’assurer que les méthodes et principes, dans le fond les « lois » spirituelles, soient suivies pour créer une communauté chrétienne biblique, donc conforme à l’ordre établi par Dieu, comme on s’assure de suivre les lois de la nature établies par Dieu pour rendre notre agriculture plus productive[60].

Ceci entraînait immanquablement la remise en question des églises établies qui faisaient appel à la tradition, y compris évidemment les églises protestantes établies[61]. N’importe quel quidam avec une Bible entre les mains pouvait remettre en question l’ordre établi ou les pratiques et croyances d’une église et même à la limite fonder la sienne, d’où la fragmentation perpétuelle des églises protestantes et en particulier des églises évangéliques ou fondamentalistes à partir à la fin du 19e et surtout au début du 20e siècle.

Au fond, on peut dire que le fondamentalisme est une simple mutation jusqu’au-boutiste du sola scriptura protestant. Après tout, si l’on prend cet énoncé au sérieux[62], on appauvrit rapidement la théologie en faisant d’elle une sorte de biblicisme, où la théologie se résume à redire ce que la Bible dit, au mieux en l’actualisant dans un nouveau contexte. Il n’y a plus de place à la théologie spéculative, ni à la théologie expérientielle (qui part de l’expérience de Dieu par le croyant). Dans les faits, le fondamentalisme a été influencé par des courants qui conservaient une dimension très expérientielle, comme le pentecôtisme et le Mouvement de sainteté (Holiness movement), ce qui a contribué à neutraliser en partie le biblicisme strict, mais seulement dans la dimension expérientielle et non pour la théologie spéculative[63].

Bible et hustling[64]

Cependant, ce rapport personnel à la Bible, toujours prêt à remettre en question la tradition, l’autorité et le statu quo a eu des conséquences plus larges sur l’ensemble de la société aux États-Unis. Ce rapport à la Bible est en fait un des facteurs convergents qui ont contribué à créer un ethos états-unien. Ainsi, on peut dire que les États-Unis font partie du Nouveau monde non seulement en ce qu’il s’agit d’un monde redécouvert il n’y a pas longtemps, mais surtout en ce qu’il s’agit d’un monde qui se réinvente constamment, un monde où l’individualisme permet la contestation et la remise en question non seulement en matière religieuse, mais dans presque tout. Il faut toujours aller en avant, sans égard pour la tradition (mais pas toujours sans égard pour le passé), sans égard pour la préservation des acquis ou pour la survie des villes ou des quartiers ou du patrimoine architecturel[65]. Souvent, lorsqu’un quartier d’une ville états-unienne est envahi par la pauvreté et le crime, on se met simplement à construire de nouveaux quartiers quelques kilomètres plus loin. Quand des bâtiments commencent à être vieux, on les rase et on en reconstruit de nouveaux. Les villes états-uniennes sont ainsi souvent des villes qui demeurent perpétuellement jeunes ou alors qui sont remplacées par de jeunes voisines, plus dynamiques, moins établies. Ce phénomène est particulièrement présent dans l’Ouest, la Côte Est étant plus sensible à l’histoire et à la tradition.

On connaît bien le « rêve américain », selon lequel chaque personne peut partir de rien et construire un empire grandiose, avec la mobilité sociale que cela implique. On connaît aussi l’indifférence, voire parfois le mépris de ceux qui sont laissés derrière, ceux qui ne peuvent s’adapter ou obtenir pareils succès, ce qui explique en partie la fragilité du filet social aux États-Unis[66]. On ne voudrait surtout pas que les pauvres se mettent à dépendre du gouvernement.

Les riches sont typiquement des « self-made men », des gens qui sont partis de rien et qui ont « mangé de la croûte » pendant des années avant de réussir à construire un empire et devenir millionnaires ou milliardaires (« from rags to riches »).

L’expression « Pick up your boots » est une illustration de cette mentalité : si ça va mal, il faut avancer, il faut s’en sortir soi-même. Le succès dépend de l’individu et non du gouvernement. La responsabilité personnelle est fondamentale, au point où la solidarité collective est souvent minimale[67]. Les groupes religieux ont contribué à la création de cette mentalité, en particulier avec la mutation économique à la fin du 19e siècle où le corporatisme s’est développé au détriment des travailleurs avec l’appui tacite des églises[68].

Il s’agit en fait d’une application assez crue de la théologie deutéronomiste qui, jumelée à l’éthique protestante du travail, attribue une importance suprême aux choix personnels pour le succès ou l’échec de l’individu comme de la nation[69]. Ce concept atteindra son « apogée » dans les années 1980 pour créer, en le jumelant à la « pensée positive » (positive thinking), « l’Évangile de la prospérité » (prosperity gospel) de Jim et Tammy Faye Bakker (et de tous leurs émules), promettant l’abondance et la santé… à ceux qui soutiennent leur œuvre !

Ce genre d’appropriation de la théologie deutéronomiste pose évidemment problème pour ceux qui ne sont pas États-uniens et qui ne font pas toujours les mêmes liens entre le succès des États-Unis/États-uniens et leur mérite. Comme le fait remarquer Reinhold Niebuhr dans Irony of American History publié en 1952, alors que les États-uniens estiment que leur prospérité économique est une conséquence de leur vertu, le reste du monde estime que c’est la conséquence de leur vice[70].

En contraste à la perspective états-unienne, on a souvent souligné le rapport négatif des Québécois au succès, en particulier financier, en partie dû à l’influence du catholicisme[71]. Encore aujourd’hui, bien après le déclin de l’influence de l’Église catholique au Québec, on décrit la gauche québécoise comme étant plutôt réfractaire à l’enrichissement des uns, estimant souvent que cela implique l’appauvrissement des autres ou que cela a quelque chose d’immoral.

On a aussi remarqué que les États-Unis protestants n’avaient pas du tout une telle aversion à l’enrichissement individuel. Il est vrai que c’est en partie dû à une différence entre le protestantisme et le catholicisme dans la conception du travail lui-même qui s’exprime dès les premières années de la Réforme, les réformateurs estimant que le travail est une façon de servir Dieu, alors que les catholiques à l’époque voient plutôt le travail comme une nécessité sans fonction spirituelle en soi. Cette attitude protestante se développera d’ailleurs en la fameuse éthique protestante du travail, qui a influencé d’autres pays que les États-Unis. On se rappellera également des thèses de Max Weber (1864-1920), qui lie l’éthique protestante et l’esprit capitaliste en prenant en exemple les États-Unis en particulier.

Cependant, l’influence protestante n’explique pas entièrement l’attitude états-unienne. La théologie deutéronomiste y est aussi pour quelque chose. Cette théologie est exprimée souvent en termes carrément religieux, estimant que Dieu est la source de la récompense ou du jugement des États-uniens, qui doivent se conformer aux conditions de l’alliance qu’ils ont avec Dieu. Toutefois, avec la sécularisation et le pluralisme, présent depuis le 19e siècle et qui s’est accentué ces dernières décennies, il y a parfois une dépersonnalisation du processus qui fait que ce n’est plus nécessairement Dieu qui récompense ou punit suite à l’obéissance ou la désobéissance à l’alliance, mais une sorte de force impersonnelle qui récompense les vertus états-uniennes et leur assure le succès.

Dans ce sens, et sans vouloir réduire cette mentalité états-unienne au sola scriptura protestant puisque d’autres facteurs sont aussi en cause, on peut dire que l’opposition à l’autorité, à l’establishment et à la tradition typiques aux États-Unis va de pair avec l’appel à la seule autorité de la Bible et au rationalisme individuel (moi et ma raison, moi et ma Bible). Lorsqu’on ajoute à cela les deux influences bibliques fondamentales que sont la théologie deutéronomiste et le millénarisme[72] vers lesquels nous allons maintenant nous tourner, on obtient une combinaison qui explique en partie certaines particularités de la culture états-unienne, la culture religieuse bien sûr, mais également la culture plus large.

La théologie deutéronomiste

Nous allons maintenant décrire brièvement deux influences bibliques particulièrement importantes dans la culture états-unienne, la théologie deutéronomiste et le millénarisme.

Comme nous l’avons déjà souligné, les puritains avaient fait leur la théologie deutéronomiste, estimant qu’ils avaient une alliance particulière avec Dieu, qu’ils constituaient un nouvel Israël et que leur bonheur (ou malheur) dépendait de leur obéissance à l’alliance. Or, cette façon de se percevoir a très rapidement été reprise par la plupart des États-uniens après l’accession à l’indépendance et même déjà à l’époque coloniale. Cette théologie s’exprimera de diverses façons. Depuis les années 1670 par exemple, on a pris l’habitude d’annoncer la catastrophe imminente menaçant la nation (bien avant le code de couleurs d’alerte au terrorisme de George W. Bush !), catastrophe qui serait due à la perte des valeurs. On a appelé ces annonces du malheur les « jérémiades », allusion aux prédictions funestes de Jérémie devant le sort réservé à Juda pour son infidélité à Dieu.

Plus tard, et autrement, dans son second discours d’installation vers la fin de la Guerre de sécession, Abraham Lincoln reprendra implicitement des éléments de la théologie deutéronomiste, mais au moyen d’une citation de Mt 18,7, et sans faire référence à l’alliance : « Malheur au monde à cause des scandales ! Il est fatal, certes, qu’il arrive des scandales, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! » (BJ)[73].

Lincoln se demande si l’esclavage aux États-Unis n’est pas une de ces offenses (ou scandales) qui doivent avoir lieu mais que Dieu veut maintenant éliminer. Et surtout, il dit que Dieu donne au Nord et au Sud cette guerre terrible comme jugement (malheur) dû à ceux par qui l’offense (scandale) arrive. L’esclavage est donc le scandale et la Guerre de sécession est le malheur pour les États-uniens par qui le scandale est arrivé. Lincoln affirme ensuite que si la guerre entre le Nord et le Sud doit se poursuivre jusqu’à la destruction de tout ce que les États-uniens ont construit au fil des siècles et jusqu’à ce que « le sang versé par le fouet soit payé par du sang versé par l’épée, nous devons tout de même dire (et il cite Ps 19,9) ‘Les jugements du Seigneur sont vrais et justes’ »[74].

La Guerre de Sécession est donc due selon Lincoln à un jugement de Dieu sur l’esclavage. Lincoln, sans faire référence à l’alliance avec Dieu, se situe tout de même pleinement dans la lignée de la tradition deutéronomiste qui interprète les événements les plus dramatiques de l’histoire d’Israël et de Juda, soit la destruction de ces royaumes et la déportation de leurs populations, comme des jugements de Dieu contre les fautes commises par son peuple.

Cette corrélation entre des événements précis aux États-Unis et la main divine corrigeant ou bénissant le peuple élu a été postulée tout au long de l’histoire États-unienne, jusqu’à ce jour[75].

Le millénarisme

Le millénarisme chrétien des 18e et 19e siècles, cette doctrine inspirée de la Bible (voir note 71), a graduellement muté en une forme plus séculière, qu’on appelle parfois « millénarisme civil »[76]. Il s’agit d’une mythologie très similaire au millénarisme chrétien mais qui substitue au règne du Christ celui de la démocratie et de la liberté. Les notions liées au millénarisme chrétien puis civil ont imprégné la société états-unienne et les références au millénarisme sont omniprésentes, incluant le slogan sur le Billet vert, novus ordo seclorum. Il ne s’agit pas seulement de symboles ou de rhétorique mais d’une idéologie qui peut avoir une influence importante, notamment sur la politique étrangère. On n’a qu’à penser à George W. Bush et « l’axe du Mal » (et les terroristes), mais aussi à Reagan et sa lutte contre le méchant empire soviétique. C’est à cause de ce concept et de ses racines religieuses que les journalistes du Monde Alain Frachon et Daniel Vernet parlent d’une « Amérique messianique »[77].

Les néo-conservateurs notamment, si présents dans le gouvernement Bush mais qui ne sont pas tous religieux, ont conservé et adapté l’héritage millénariste, jumelé habituellement à une lutte entre le Bien et le Mal, les États-Unis étant évidemment du côté du Bien. On parle des États-Unis comme porteurs de l’étendard de la démocratie, « leader of the free world », notion profondément ancrée dans la notion plus ancienne de « destinée manifeste », les États-Unis étant aussi le « phare du monde » (voir plus haut)[78].

Martin Luther King Jr., un prédicateur baptiste, se situe en quelque sorte à un point intermédiaire entre le millénarisme chrétien et le millénarisme civil. L’abondance de références bibliques est notoire dans la prédication de Martin Luther King. On cite souvent en exemple son discours « I Have a Dream » livré au Lincoln Memorial pour la Marche sur Washington en août 1963, qui constitue un moment clé dans la mobilisation contre la ségrégation qui a mené à l’adoption du Civil Rights Act l’année suivante[79].

Ce discours, qui contient des références à Lincoln, à la Déclaration d’Indépendance et à la Constitution, contient aussi évidemment de nombreuses allusions et références bibliques. On notera toutefois en particulier la citation d’Is 40,4-5 : « I have a dream that one day every valley shall be exalted, every hill and mountain shall be made low, the rough places will be made plain, and the crooked places will be made straight, and the glory of the Lord shall be revealed, and all flesh shall see it together » .

Cette citation d’Is 40, reprise dans les quatre Évangiles, n’est pas innocente. Elle trahit une continuité avec le millénarisme protestant qui voit le destin des États-Unis comme étant lié au règne du Christ, voire même le lien entre le destin et le leadership des États-Unis avec la venue de l’ère messianique[80]. King ne va peut-être pas jusqu’à dire que les États-Unis inaugureront le règne du Christ dans le monde comme le pensaient les protestants des 18e et 19e siècles, ou que les États-Unis inaugureront le règne de la démocratie et de la liberté, comme les néo-conservateurs (entre autres) l’ont affirmé après lui, mais il s’inscrit en continuité avec le millénarisme états-unien. Il est en cela un exemple de l’adaptation graduelle, surtout au 20e siècle, de notions bibliques dans une société états-unienne de plus en plus pluraliste. La transformation de la religion civile est un autre exemple de cette adaptation.

La religion civile

La sécularisation de concepts comme le millénarisme a été une façon de préserver l’héritage biblique états-unien dans une société de plus en plus pluraliste. Une autre façon a été de promouvoir dans la sphère publique une religion « généraliste » qui pouvait rallier les citoyens de toutes religions ou croyances, la religion civile.

L’utilisation de la Bible dans la religion civile états-unienne constitue en soi un sujet digne d’une analyse détaillée. Nous ne pouvons nous permettre ici que quelques lignes à son sujet. La religion civile, théorisée par Jean-Jacques Rousseau dans le Contrat social, a été analysée à maintes reprises dans sa forme états-unienne depuis Robert N. Bellah[81]. Aux États-Unis, elle naît dès les premières décennies après la naissance du pays[82].

Malgré la séparation traditionnelle entre l’État et la religion aux États-Unis, avec entre autres le principe de ne pas permettre à l’État de promouvoir un groupe religieux ou d’enfreindre ses libertés (1er amendement à la Constitution), la politique et la religion ont régulièrement été associées. Le fait qu’un groupe religieux particulier ne soit pas favorisé par l’État n’a pas eu pour conséquence de séparer le fait religieux de la politique, ni d’interdire l’utilisation de la Bible dans la sphère politique. C’est plutôt le contraire qui s’est produit. Tocqueville écrit judicieusement que la religion aux États-Unis ne prend aucune part directe dans la gouvernance de la société mais qu’elle est la plus importante de leurs institutions politiques[83]. C’est vrai en partie à cause de la religion civile.

Ce paradoxe est dû entre autres au fait que, depuis la Révolution états-unienne, on attribue un caractère sacré à la nation, ce qui constitue le fondement de la religion civile[84]. Cette sacralisation de la nation remplaçait originellement celle du monarque et était donc profondément « républicaine » si on peut dire. Le culte à la nation s’est rapidement enrichi de symboles (notamment le drapeau[85]), de héros mythiques/saints (tels que Washington ou Lincoln, un martyr) et de rituels, tel le serment qu’on prête au drapeau (Pledge of allegiance) encore aujourd’hui chaque matin dans les écoles aux États-Unis[86].

La loyauté à la nation est rapidement devenue fondamentale pour tous les États-uniens, particulièrement en temps de conflit[87]. Aujourd’hui encore, malgré la critique de plus en plus virulente de la conduite de la guerre en Irak, on s’empresse toujours de souligner son soutien aux troupes états-uniennes en Irak et son désir de les voir revenir saines et sauves, de peur d’avoir l’air de se rebeller contre la nation ou de ne pas être patriote. L’opposition à la politique de George W. Bush est d’ailleurs due au désir de rapatrier les troupes plutôt qu’à une remise en question du droit moral ou légal des États-Unis de faire cette guerre. George W. Bush, lorsqu’il n’était pas aussi impopulaire, bénéficiait d’ailleurs de la sympathie du peuple, qui estimait qu’il n’était peut-être pas légitime d’aller en guerre mais que, puisque les États-Unis étaient en guerre, il fallait soutenir le Président, le commandant en chef de l’appareil militaire.

Or, la sacralisation de la nation est fondée dès le départ sur la notion héritée des puritains identifiant les États-Unis comme un « nouvel Israël » qui a une alliance avec Dieu, ce qui garantit la bénédiction des colonies puis de la nation par Dieu en cas de fidélité et son jugement en cas d’infidélité. On peut donc dire en quelque sorte qu’une des sources ultimes de la religion civile états-unienne est la théologie deutéronomiste.

Cependant, la religion civile ne pouvait jamais être explicitement chrétienne puisque dès les origines de la nation plusieurs de ses figures dominantes étaient déistes comme Thomas Jefferson ou Benjamin Franklin ou même anti-chrétiennes comme Thomas Paine (1737-1809)[88]. La religion civile états-unienne est ainsi dépouillée dès le départ (et davantage encore par la suite) de la plupart des références religieuses propres à la tradition judéo-chrétienne[89], mais elle contient de nombreuses références bibliques, qu’il s’agisse de symboles, de citations ou d’allusions[90].

La grand-messe de cette religion, le Discours sur l’état de l’Union (ou de la nation)[91], ainsi que les discours d’installation ou d’adieu des présidents[92], sont souvent bourrés de références et surtout d’allusions bibliques, souvent générales. On parle habituellement de Dieu et non de Jésus ou de Moïse. On a beau décrire la nation comme étant Under God, on ne mentionne pas de quel Dieu il s’agit[93].

La religion civile a pris un tournant résolument général et vague (pour ne pas dire inoffensif et nébuleux[94]) dans les années 1950 avec des Présidents comme Eisenhower qui considérait que la religion était une excellente chose pour les États-Unis et a noté : « Our government makes no sense, unless it is founded in a deeply felt religious faith – and I don’t care what it is ». Au début des années 1960, John F. Kennedy, le premier président catholique, n’a pas hésité à faire usage lui aussi des symboles de la religion civile, confirmant qu’il ne s’agissait pas d’une religion protestante[95]. Aujourd’hui encore, la religion civile n’est pas une religion correspondant à un groupe religieux particulier, bien que les évangéliques et la droite religieuse y soient associés beaucoup depuis quelques décennies, par exemple avec l’évangéliste Billy Graham, confident de nombreux présidents dans la seconde moitié du 20e siècle.

L’aspect généraliste de la religion civile fait en sorte que les références à la Bible sont elles aussi générales et servent surtout d’inspiration, de métaphores ou même de lexique pour parler de l’expérience et de la grandeur états-uniennes. C’est une façon ancienne d’utiliser la Bible dans la politique états-unienne. Jefferson (un déiste, rappelons-le), lors du discours d’installation suite à sa réélection, affirme : « Nous sommes dans les mains de Dieu, qui mena nos ancêtres, comme l’Israël d’autrefois, hors de leur pays natal et les installa dans un pays regorgeant de tout ce qui est nécessaire à la vie et qui en fait l’agrément »[96].

En fait, c’est davantage dans la Bible que dans le protestantisme ou même dans le christianisme que la religion civile états-unienne trouve ses symboles et ses références, incluant la conception des États-Unis comme un « nouvel Israël », comme un « peuple élu » ou un peuple « qui a une alliance » avec Dieu ou qui inaugurera le règne de la liberté ou de la démocratie. Ainsi, on peut dire que la société états-unienne est davantage une nation « biblique » que proprement « chrétienne ». Cela est dû dès le 18e siècle en bonne partie au pluralisme protestant (même si le catholicisme et le déisme sont déjà présents) et par la suite au pluralisme religieux tout court, en particulier à partir du début du 20e siècle[97].

Au cœur de la religion civile et même de la construction de l’identité états-unienne, on trouve les notions d’élection et de mission[98], deux notions qui dérivent au fond respectivement de la théologie deutéronomiste et du millénarisme. Le pluralisme états-unien a certainement contribué à forger des versions « sécularisées » de ces notions, ou plutôt des versions toujours religieuses, mais dépouillées d’une partie de leur forme spécifiquement chrétienne. Leur arrière-plan biblique n’en demeure pas moins évident.


[1] Sans parler de la remise en question par certains de la pertinence des études bibliques (et de la théologie en général) dans le monde universitaire.

[2] W. R. MEAD, « God’s Country? », Foreign Affairs 85/5 (2006) : 24-43, p. 24. On n’a qu’à penser au soutien pratiquement indéfectible des États-Unis à Israël, nourri en partie par la droite religieuse.

[3] Que l’on soit d’accord ou non avec la première phrase du livre Freedom Just Around the Corner. A New American History (1585-1828), New York, Perennial, 2004/2005, p. XI  de l’historien (états-unien, faut-il le préciser !) W. A. McDOUGALL : « The creation of the United States of America is the central event of the past four hundred years » (rien de moins !).

[4] En témoigne la relation « amour-haine » qu’entretiennent la plupart des Occidentaux avec les États-Unis, les admirant et les méprisant à la fois, mais consommant presque toujours largement la culture (particulièrement la culture populaire) et les autres produits états-uniens (du fast-food à Wal-Mart), et adoptant souvent les idéaux états-uniens, dont ceux de la liberté et de la démocratie, quand ce n’est pas carrément le libéralisme économique, pourtant si honni par d’autres !

[5] C’est évidemment sans compter l’incroyable dynamisme de l’Église dans les pays en voie de développement.

[6] Le pluralisme religieux aux États-Unis, qui date de l’époque coloniale (bien qu’alors sans commune mesure par rapport à la diversité actuelle), est un exemple de ce qui peut se passer quand une église ne domine pas sans partage sur la société comme ce fut le cas pendant certaines périodes de l’histoire québécoise.

[7] Nous paraphrasons un peu.

[8] Comme définition de « culture », j’utiliserai celle de G. M. MARSDEN, Fundamentalism and American Culture. The Shaping of Twentieth-Century Evangelicalism (1870-1925), Oxford, Oxford University Press, 1980, p. v, soit « l’ensemble des croyances, valeurs, axiomes (assumptions), engagements (commitments), et idéaux exprimés dans une société à travers les formes littéraires et artistiques populaires et incarnés (embodied) dans ses institutions politiques, éducationnelles et autres ». Nous sommes conscient qu’il y a plusieurs cultures et sous-cultures états-uniennes, mais il est impossible ici de prendre le temps d’expliquer les différences entre ces cultures et d’examiner l’utilisation particulière de la Bible dans chacune d’elle. Les considérations ici seront donc générales et, nous le pensons, appropriées pour la plupart des cultures états-uniennes, que nous désignerons de façon simpliste par « la culture états-unienne », selon la définition plus haut. Pour une justification de cette approche, voir G. M. MARSDEN, Religion and American Culture, Orlando, Harcourt Brace Jovanovich, 1990, p. 5. Il est de toute façon clair que les cultures états-uniennes ont beaucoup en commun en ce qui concerne la religion et l’utilisation de la Bible, surtout quand on les compare aux autres cultures occidentales.

[9] J. WALLIS, God’s Politics. Why the Right Gets It Wrong and the Left Doesn’t Get It, New York, HarperCollins, 2005, p. 142. « This ideal of America is the hope of all mankind (…) That hope still lights our way. And the light shines in the darkness. And the darkness has not overcome it ». Il s’agit évidemment d’une citation d’une traduction possible de Jn 1,5.

[10] WALLIS, God’s Politics, p. 58. Il s’agit de Jc 2,14.26.

[11] Selon le sondage Religion and Politics. Contention and Consensus, publié le 23 juillet 2003 par le Pew Research Center for the People and the Press et cité dans T. MITRI, Au nom de la Bible, au nom de l’Amérique, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 146.

[12] On entend ici la politique au sens large, avec les débats de sociétés souvent menés Bible en main par des pasteurs-activistes/politiciens, tels Martin Luther King (dont nous reparlerons plus bas), ou par de simples laïcs.

[13] MITRI, Au nom de la Bible, au nom de l’Amérique, p. 15.

[14] On ne saurait même dénombrer les références bibliques précises (sans parler des allusions) dans les œuvres d’art et la littérature états-uniennes. Ce sujet a évidemment été étudié ailleurs. Pour prendre un bon exemple récent, on lira le collectif G. AICHELE, Culture, Entertainment and the Bible, JSOTSS 309, Sheffield, Sheffield Academic Press, 2000, dont un article hilarant sur l’utilisation de la Bible dans les tabloïds états-uniens (F. C. BLACK, « Lost Prophecies ! Scholars Amazed ! Weekly World News and the Bible », p. 20-43). Nous ne pouvons ici que noter l’utilisation de la Bible dans la culture populaire comme dans les Beaux-arts (du moins à une certaine époque), dans l’industrie cinématographique (des vieilles « épopées bibliques » aux films de Woody Allen !) et dans la musique de tout temps, plus récemment surtout dans le Country, mais aussi parfois dans le rock ou même dans la musique pop ou le heavy metal, où on fait parfois usage de métaphores bibliques, quoique ce soit rarement d’une façon « confessante ». Le dernier exemple en liste en ce qui concerne la musique pop est probablement Confessions, le spectacle de Madonna qui contient des références bibliques et religieuses, dont une scène où la chanteuse coiffée d’une couronne d’épines est crucifiée sur une croix de cristaux et de diamants. Lire à ce sujet A. VIGNEAULT, « Une machine à danser », La Presse, mardi 23 mai 2006, p.1 du cahier Arts & Spectacles.

[15] Bien qu’il faut reconnaître le rôle majeur que jouent les groupes religieux (et les chrétiens individuels) comme médium de diffusion de références à la Bible dans la culture et la société états-uniennes. En témoignent les best-sellers dispensationnalistes (et chrétiens) à saveur biblique The Late Great Planet Earth et There’s a New World Coming de Hal Lindsey vendus à des millions d’exemplaires dans les années 1970 (et pas seulement chez les évangéliques) et, plus récemment, la série de romans (et de films) Left Behind de Tim LaHaye, qui a surpassé en popularité les romans de Lindsey. Pour une introduction au dispensationnalisme et au millénarisme, voir M. D. PARÉ et S. ROBITAILLE, « ‘L’Antéchrist sera Roumain’ ou comment les dispensationalistes estiment connaître la fin des temps », Scriptura 6/1 (2004) : 101-117.

[16] Pour un excellent exemple du genre d’inepties qui s’écrivent sur le fondamentalisme en général, consulter l’article de J.-C. LECLERC (journaliste au Devoir), « Religions à l’extrême », Revue Notre-Dame 104/4 (2006) : 1-14.

[17] L’élection en 1976 d’un démocrate évangélique comme Président, Jimmy Carter, avait eu un impact différent. Bien que Carter était évangélique, la nation (et la planète) avait moins ressenti le poids du vote évangélique dans son élection à la présidence qu’avec Reagan. L’élection de Carter avait par contre contribué à fouetter les aspirations politiques des évangéliques qui s’étaient tenus à l’écart de la vie politique depuis un demi-siècle. Ironiquement, en 1980 les évangéliques déçus par Carter (qu’ils jugeaient trop mou sur des questions morales et religieuses) et la Moral Majority ont contribué à l’élection de Reagan, qui n’était pas évangélique, au détriment de l’évangélique Carter qui cherchait à se faire réélire.

[18] Composée de fondamentalistes et de certains évangéliques, mais aussi de juifs et de catholiques. Voir par exemple G. M. MARSDEN, « The Sword of the Lord. How ‘otherwordly’ (sic) fundamentalism became a political power », Books & Culture mars/avril 2006, p.10-11 et 44-46 qui souligne la contribution de catholiques à plusieurs moments clés de la montée de la droite religieuse au 20e siècle.

[19] Il s’agit bien de deux groupes différents, même s’il y a des liens historiques entre les deux. Pour une discussion sur le fondamentalisme et l’évangélisme, lire les nombreux ouvrages écrits sur le sujet par G. M. MARSDEN, dont Fundamentalism and American Culture et Understanding Fundamentalism and Evangelicalism, Grand Rapids, Eerdmans, 1991. Consulter aussi les non moins nombreux ouvrages de M. A. NOLL, dont Protestants in America, New York, Oxford University Press, 2000 ; A History of Christianity in the United States and Canada, Grand Rapids, Eerdmans,1992 et The Scandal of the Evangelical Mind, Grand Rapids/Leicester, Eerdmans/Inter-Varsity, 1994.

[20] En fait, on pourrait même remonter avant… la découverte de l’Amérique (!) comme le fait M.-M. LARÈS (dir.), Bible et civilisation anglaise. Naissance d’une tradition (Ancien Testament), Littératures 6/Études anglaises 54, Paris, Publications de la Sorbonne, 1974.

[21] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 221.

[22] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 1.

[23] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 213.

[24] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 1.

[25] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 213.

[26] M. A. NOLL, « The Bible in American Public Life, 1860-2005. Dilemmas at the Center, Insights from the Margins », Books & Culture sept/oct. 2005, p. 7 et 46-50, p. 7.

[27] Cité dans MARSDEN, Religion and American Culture, p. 1.

[28] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 16.

[29] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 16.

[30] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 17. Ce qu’ A. de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique. Première édition historico-critique revue et augmentée par E. Nolla (éd.), tome 1, Paris, Librairie philosophique, 1835/1990, p. 30 décrit comme la création en 1620 d’un « contrat social » entre les puritains (en reprenant l’expression de Rousseau), les puritains l’auraient compris comme une alliance conclue entre colons devant Dieu (voir Jos 24, en particulier v. 25).

[31] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 17. Une variante troublante de ce concept, l’anglo-israélisme (doctrine datant probablement du 17e siècle), prétend même que les anglo-saxons sont carrément les descendants des dix tribus « perdues » d’Israël après la destruction du Royaume du nord (en 721 av. J.-C.). Cette doctrine marginale est encore aujourd’hui adoptée par des fondamentalistes états-uniens et britanniques. Voir à ce sujet C. ROCHON, « L’anglo-israélisme et l’identité chrétienne », Scriptura 6/1 (2004) : 85-99.

[32] L’expression « ville sur une colline » sera fréquemment reprise dans un sens plus global pour parler des États-Unis, du particularisme états-unien et du leadership de ce pays dans le monde, par exemple par le Président Reagan lors de son discours d’adieu et de ses deux discours d’installation (voir MITRI, Au nom de la Bible, au nom de l’Amérique, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 16).

[33] On pense de suite à la tentative sous la présidence de Bush « d’exporter » la démocratie en Irak.

[34] TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique (p.30) note déjà en 1835 que « Le puritanisme, comme je l’ai dit plus haut, était presque autant une théorie politique qu’une doctrine religieuse ». Les puritains ne s’en tiendront d’ailleurs pas qu’à la théorie. Tocqueville note (et s’étonne) en effet à propos du code de lois adopté au Connecticut en 1650 : « Les législateurs du Connecticut s’occupent d’abord des lois pénales ; et, pour les composer, ils conçoivent l’idée étrange de puiser dans les textes sacrés : ‘Quiconque adorera un autre Dieu que le Seigneur, disent-ils en commençant, sera mis à mort.’ Suivent dix ou douze dispositions de même nature empruntées textuellement au Deutéronome, à l’Exode et au Lévitique. Le blasphème, la sorcellerie, l’adultère, le viol, sont punis de mort ; l’outrage fait par un fils à ses parents est frappé de la même peine. On transportait ainsi la législation d’un peuple rude et à demi civilisé au sein d’une société dont l’esprit était éclairé et les mœurs douces ; aussi ne vit-on jamais la peine de mort plus prodiguée dans les lois, ni appliquée à moins de coupables. » (p. 31-32).

[35] C’est en 1845 que John Sullivan, un rédacteur new-yorkais, a créé l’expression « destinée manifeste » pour désigner le don du continent par la providence divine (S. FATH, Dieu bénisse l’Amérique. La religion de la Maison-Blanche, Paris, Seuil, 2004, p. 49).

[36] Voir MARSDEN, Religion and American Culture, p. 18-19.

[37] On pourrait même dire « leader de droit divin », quoique les expressions d’inspiration monarchique n’aient pas beaucoup la cote aux États-Unis pour des raisons évidentes.

[38] George W. Bush se gargarise de telles expressions, mais Ronald Reagan s’en délectait aussi.

[39] J. B. STEWART, « Abolitionists, the Bible, and the Challenge of Slavery », dans E. R. SANDEEN (dir.), The Bible and Social Reform, Philadelphie/Chico, Fortress/Scholars, 1982, p. 31-57, p. 35.

[40] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 63-64 et S. FATH, Militants de la Bible aux États-Unis. Évangéliques et fondamentalistes du Sud, Collection Frontières, Paris, Autrement, 2004, p. 54.

[41] FATH, Militants de la Bible aux États-Unis, p. 54.

[42] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 7.

[43] P. BOYER, When Time Shall Be No More. Prophecy Belief in Modern American Culture, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 1992, p. 229 et MARSDEN, Religion and American Culture, p. 7.

[44] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 10.

[45] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 68-69.

[46] J. WALLIS, God’s Politics. Il ne s’agit évidemment pas du seul cas où la Bible a été instrumentalisée pour des desseins peu louables. On pensera aussi à l’utilisation de la Bible par le Ku Klux Klan, en particulier de la lecture de Rm 12 lors de inauguration d’une nouvelle mouture du Klan en 1915 (FATH, Militants de la Bible aux États-Unis, p. 146).

[47] NOLL, « The Bible in American Public Life », p. 47-48. Dans un sens, ils avaient raison, mais c’est là le pari protestant : placer chaque individu plus ou moins seul devant la Bible (SA Bible diraient les piétistes) est préférable à l’imposition d’une interprétation par un organe ecclésial officiel.

[48] NOLL, « The Bible in American Public Life », p. 48.

[49] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 54.

[50] Voir à ce sujet en particulier D. LECOURT, « Théologie naturelle et fondamentalisme », dans L’Amérique entre la Bible et Darwin, Paris, PUF, 1992, p. 61-96 et NOLL, « The Evangelical Mind Takes Shape – Revival, Revolution, and a Cultural Synthesis » et « The Evangelical Enlightenment », dans The Scandal of the Evangelical Mind, p. 59-82 et p. 83-108.

[51] M. D. PARÉ, « L’inerrance chez les évangéliques », Scriptura 7/2 (2005) : 47-67, reprenant MARSDEN, Religion and American Culture, p. 57-58 et MARSDEN, Fundamentalism and American Culture, p. 15.

[52] M. D. PARÉ, « L’inerrance chez les évangéliques », p. 49, reprenant MARSDEN, Religion and American Culture, p. 60.

[53] M. D. PARÉ, « L’inerrance chez les évangéliques », p. 52. Consulter cet article pour une discussion sur la question de l’inerrance et pour un survol de son histoire, de ses origines à aujourd’hui.

[54] M. D. PARÉ, « L’inerrance chez les évangéliques », p. 49. Comme nous le précisons dans une note de cet article, il faut préciser qu’il existe différentes « théories » créationnistes dont la plupart tentent de réconcilier les données scientifiques avec une lecture plus ou moins littérale de Gn 1-2. Certains estiment par exemple que les « jours » désignent des périodes géologiques. De nombreux créationnistes estiment toutefois que la Terre a été créée en 7 jours de 24 heures et qu’elle est âgée de quelques millénaires seulement.

[55] MEAD, « God’s Country? », p. 34.

[56] Cette remise en question de la théorie de l’évolution n’est pas entièrement confinée aux États-Unis, comme l’atteste l’existence de politiciens créationnistes au Canada anglais, dont Stockwell Day, l’ancien chef du parti conservateur et l’actuel ministre de la sécurité publique.

[57] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 60.

[58] MARSDEN, Fundamentalism and American Culture, p. 16.

[59] A. I. KATSH, The Biblical Heritage of American Democracy, New York, KTAV, 1977, p. 139.

[60] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 59.

[61] Malgré la fuite des persécutions comme facteur d’immigration aux États-Unis dans les premiers siècles, les églises protestantes avaient eu tendance à reproduire le modèle européen de « favoritisme » d’une église sur un territoire (par exemple une colonie ou un état) donné. Les églises protestantes établies tendaient à chercher à préserver le statu quo qui les favorisait, faisant parfois de la liberté religieuse un concept plutôt abstrait puisqu’il y avait un prix à payer à la dissidence.

[62] Ce que les premiers protestants n’ont pas vraiment fait puisque les réformateurs, comme les autres humanistes (dont évidemment Érasme), désiraient non seulement un retour à la Bible seule mais aussi aux Pères de l’Église, un retour aux sources (ad fontes) du christianisme.

[63] C’est le constat que fait D. F. WELLS dans No Place for Truth or Whatever Happened to Evangelical Theology ?, Grand Rapids, Eerdmans, 1993 (voir en particulier p. 283-301).

[64] McDOUGALL dans Freedom Just Around the Corner fait du hustling une caractéristique fondamentale de l’ethos états-unien.

[65] Voir LECOURT, L’Amérique entre la Bible et Darwin, p. 128.

[66] Ce filet social, historiquement faible, s’effrite encore un peu plus avec les deux mandats de George W. Bush, sans oublier les années Reagan, quoique pour des raisons différentes. La campagne de Bush pour la présidence de 2000 où il proposait un « conservatisme compatissant » n’a pas été suivie par de réels efforts pour aider les démunis, malgré l’augmentation des dépenses (et des déficits) sous l’administration Bush. Un livre récent par D. KUO, Tempting Faith. An Inside Story of Political Seduction, New York, Free Press, 2006, fait un constat très négatif à ce sujet concernant l’administration Bush.

[67] Les efforts des organismes religieux contribuent à réduire un peu les iniquités, mais les programmes sociaux sont si peu développés pour un pays riche que les écarts entre les riches et les pauvres sont parmi les plus élevés en Occident.

[68] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 106-109.

[69] Voir à ce sujet MARSDEN, Religion and American Culture, p. 109.

[70] Cité dans MARSDEN, Religion and American Culture, p. 212.

[71] C’est un thème récurrent de plusieurs éditorialistes québécois de centre-droite, dont Alain Dubuc (voir par exemple Éloge de la richesse. Des idées pour donner au Québec les moyens de ses ambitions, Sainte-Foy, Voix parallèles, 2006).

[72] Le millénarisme n’est pas exactement une doctrine biblique mais est évidemment inspiré par la Bible puisqu’il s’agit d’une interprétation plus ou moins littérale de certains textes bibliques eschatologiques, dont Ap 20. Au sein du millénarisme, on doit distinguer (entre autres) le prémillénarisme et le postmillénarisme. Le prémillénarisme peut être défini de façon simple comme étant la croyance en un règne terrestre (littéral) du Christ pendant mille ans (le millénium) après son retour (physique) et avant le Jugement dernier. Cette doctrine a été assez largement adoptée par les évangéliques et les fondamentalistes à la fin du 19e siècle et au cours d’une bonne partie du 20e siècle. Rappelons que cette doctrine n’est pas entièrement nouvelle puisqu’elle était assez répandue (sous une forme un peu différente) chez les Pères de l’Église. Le postmillénarisme, qui était la doctrine adoptée par les évangéliques et la plupart des protestants pendant l’essentiel du 19e siècle (et même avant), considère plutôt que le retour du Christ aura lieu après le Règne terrestre spirituel du Christ (ou de l’Esprit) à travers l’Église, créant une société utopique chrétienne. Ces deux variantes du millénarisme ont contribué à leur façon au désir de voir les États-Unis (re)devenir une nation chrétienne, voire même d’inaugurer le millénium.

[73] « Woe unto the world because of offences! for it must needs be that offences come; but woe to that man by whom the offence cometh! », cité par NOLL, « The Bible in American Public Life », p. 7.

[74] Cité par NOLL, « The Bible in American Public Life », p. 46.

[75] Selon un sondage réalisé en 2002 par le Pew Research Center for the People and the Press, « Americans Struggle with Religion’s Role at Home and Abroad », cité par MITRI, Au nom de la Bible, p. 72, 48% des États-uniens croient que les États-Unis jouissent d’une protection divine spéciale. Cette protection divine est habituellement vue comme étant conditionnelle au comportement des États-uniens et liée à la notion d’une forme d’alliance avec Dieu remontant aux « Pères pèlerins » ou du moins aux « Pères fondateurs » de la nation.

[76] R. V. PIERARD et R. D. LINDER, Civil Religion and the Presidency, Grand Rapids, Academic Books, 1988, p. 54-56, cité par FATH, Dieu bénisse l’Amérique, p. 52.

[77] A. FRACHON et D. VERNET, L’Amérique messianique. Les guerres des néo-conservateurs, Paris, Seuil, 2004.

[78] Il faut préciser que certains voient deux variantes de la religion civile (voir plus bas), qui est un des piliers du millénarisme civil et qui en affecte l’articulation. La première, identifiée souvent au libéralisme, met l’accent davantage sur la bénédiction de Dieu envers les États-Unis, bénédiction qui serait accessible à tout peuple qui se soumettrait comme les États-Unis à la volonté divine. La seconde, identifiée au conservatisme, met davantage l’accent sur l’élection spéciale des États-Unis comme un second Israël (a chosen nation). Au sujet de ces distinctions et des auteurs qui les défendent, voir FATH, Dieu bénisse l’Amérique, p. 50-51.

[79] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 233, NOLL, « The Bible in American Public Life », p. 7.

[80] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 233.

[81] R. N. BELLAH, « Civil Religion in America », Daedalus, Journal of the American Academy of Arts and Sciences 96/1 (1967) : 1-21. Pour un ouvrage récent très accessible et contenant des anecdotes intéressantes, lire FATH, Dieu bénisse l’Amérique, en particulier le chapitre trois pour une présentation succincte du fonctionnement de la religion civile.

[82] MITRI, Au nom de la Bible, p. 25.

[83] Cité par MARSDEN, Religion and American Culture, p. 86.

[84] MARSDEN, Religion and American Culture, p. 42-43.

[85] Il ne faut pas oublier l’image du fameux drapeau tiré des décombres après les attentats du 11 septembre et qui a été exhibé fièrement comme symbole de la résilience états-unienne, presque comme un symbole de résurrection ou plus prosaïquement comme un immense doigt d’honneur aux terroristes.

[86] Voir MITRI, Au nom de la Bible, p. 77. Voir aussi MARSDEN, Religion and American Culture, p. 44. On notera aussi l’existence de reliques et de textes sacrés, dont la Déclaration d’Indépendance, la Constitution, la Déclaration des droits (Bill of Rights) et le discours à Gettysburg par Lincoln (Gettysburg address).

[87] Rappelons que la nation et la conscience nationale ont été fondées par un conflit avec l’Angleterre.

[88] Voir MARSDEN, Religion and American Culture, p. 43.

[89] MITRI, Au nom de la Bible, p. 74ss.

[90] S. FATH, Dieu bénisse l’Amérique, p. 47.

[91] Une autre est la fête du Jour d’action de grâce (Thanksgiving Day), où le Président (entre autres) gracie une dinde qui ainsi n’aura pas à être abattue (lors de ses deux mandats comme président, George W. Bush a probablement ainsi gracié davantage de dindes qu’il a gracié de condamnés à mort lors de ses mandats comme gouverneur du Texas). Cette fête commémore le festival de la moisson célébré par les colons de Plymouth en 1621 suite à leur première récolte. Cette fête a une dimension nettement plus familiale que le Discours sur l’état de l’Union. Elle est toutefois fondée sur le principe deutéronomiste de la rétribution divine au peuple élu, Dieu accordant l’abondance (la Terre promise) à son peuple. Malgré son caractère familial, la fête joue un rôle important dans la religion civile et l’imaginaire collectif états-uniens. La colonie de Plymouth (et ses « Pères pèlerins » puritains) est souvent perçue aux États-Unis comme le commencement symbolique de la nation, malgré les colonies et comptoirs qui avaient été établis auparavant, notamment Popham au Maine (1607) et Roanoke et Jamestown en Virginie (respectivement 1585 et 1607).

[92] Sans parler des autres jours importants que sont (par exemple) les déjeuners de prière présidentiels (national prayer breakfasts), le Jour national de prière (National Day of Prayer), le Memorial Day ou le 4 juillet (Independence Day).

[93] Cette mention a été ajoutée au Serment au drapeau (Pledge of Allegience) par le Congrès en 1954. La devise In God we Trust a quant à elle été adoptée en 1952. Ces ajouts au courant des années 1950 ne doivent pas surprendre, vu le désir de montrer la supériorité morale des États-Unis devant la menace communiste athée et anti-démocratique, représentant la vision opposée au millénarisme pieux et démocratique états-unien. La Guerre froide constitue d’ailleurs un haut point du millénarisme, une véritable confrontation eschatologique (et même « apocalyptique », appuyée par la menace nucléaire) en vue de l’instauration du millénium. Sur le caractère manichéen (par ailleurs bien attesté dans la littérature secondaire) de l’opposition religieuse états-unienne au communisme, voir par exemple MARSDEN, « The Sword of the Lord », p. 11.

[94] C’est-à-dire qui est acceptable pour à peu près toutes les croyances ou du moins qui n’en offense aucune. Par exemple, on peut prier dans les assemblées municipales ou dans d’autres rencontres officielles, mais il ne faut pas mentionner Jésus. La foi n’est pas pour autant triviale. Il faut même être religieux ou du moins croyant pour espérer devenir président aux États-Unis, mais le contenu de la foi exprimée sur la scène publique est relativement peu important. Il ne s’agit pas de relativisme religieux, les religions des États-uniens n’étant pas sans spécificités ou sans absolu. On peut plutôt considérer que les États-uniens ont une deuxième religion, théoriquement commune à tous celle-là, qui reconnaît la diversité religieuse tout en mettant l’accent sur le plus petit dénominateur commun des États-uniens en matière religieuse. Cette « foi commune » est supposément possible en partie parce que son objet principal est le mode de vie états-unien, la nation ou son patron, ce Dieu vaguement défini qui regarde avec bienveillance son peuple et lui offre sa protection. Il y a évidemment des exceptions à cette prudence puisque certains des politiciens qui sont de fervents chrétiens ne sont pas très inhibés. On notera par exemple une déclaration (parmi d’autres) du pentecôtiste John Aschcroft, alors ministre de la justice : « L’Amérique est unique parmi les nations. Nous n’avons pas d’autre roi que Jésus. Quand vous n’avez de roi que Jésus, vous libérez l’éternel, le potentiel, le plus élevé, le meilleur et la vertu » (déclaration faite en 2001 à l’Université fondamentaliste Bob Jones et citée par MITRI, Au nom de la Bible, p. 157). Il n’est toutefois pas fréquent aux 20e et 21e siècles que les références à l’héritage judéo-chrétien soient aussi explicites chez les politiciens.

[95] Voir MARSDEN, Religion and American Culture, p. 227.

[96] Cité par MITRI, Au nom de la Bible, au nom de l’Amérique, p. 77.

[97] Voir par exemple MARSDEN, Religion and American Culture, p. 168.

[98] MITRI, Au nom de la Bible, p. 79.