lundi 20 août 2012

Le dispensationalisme

Voici un article que j'ai écrit avec Steve Robitaille et que nous avons publié dans la revue Scriptura Nouvelle série 6/1, 2004, p. 101-117. L'article s'intitule " 'L'Antéchrist sera Roumain' ou comment les dispensationalistes estiment connaître la fin des temps". Nous nous penchons notamment sur certains problèmes théologiques et herméneutiques liés au dispensationalisme.

Bien que le dispensationalisme ne soit plus vraiment en vogue pour beaucoup d'évangéliques québécois, son influence sur l'herméneutique évangélique demeure préoccupante.

mardi 7 août 2012

La toison de Gédéon (Jg 6-8)

Cet article est paru dans Le Lien 29/2 (2012) : 18-20.

De tout temps, l’humain a cherché à recevoir des signes de la part de Dieu, des dieux ou d’une force cosmique quelconque. Le désir d’être guidé par l’au-delà est fort, comme en fait foi le recours aux cartomanciennes, médiums et autres « spécialistes » du genre, même dans une société comme la nôtre, si réfractaire au fait religieux. Pendant l’Antiquité, on avait recours à une panoplie de techniques divinatoires[i], comme l’hépatoscopie (l’examen du foie d’un animal sacrifié), l’ornithomancie (l’examen du vol des oiseaux) ou l’astrologie.

La Bible a été écrite dans un tel contexte, et il n’est pas surprenant que Dieu ait pris soin à plusieurs endroits dans la Bible d’encadrer ce genre d’activité pour protéger son peuple de l’égarement ou des abus des profiteurs. Certains des moyens utilisés pour consulter Dieu sont encouragés dans la Bible, comme la prophétie, alors que d’autres sont condamnés, comme la divination, et d’autres encore ont un statut ambigu, comme les signes et l’interprétation des rêves.

L’ambiguïté concernant les signes et les rêves vient en partie du fait que plusieurs textes qui y font référence sont des récits, des histoires, plutôt que des textes législatifs. En effet, il n’y a pas de commandement : « tu ne chercheras pas de signes », mais il y a quelques histoires où les signes ou les rêves sont utilisés par des personnages bibliques. La question devient alors : est-ce que le texte biblique approuve le comportement rapporté ou le relate-t-il simplement, avec une attitude plus ou moins critique ?

Un exemple : Gédéon

La question se pose notamment avec le juge[ii] Gédéon, dont l’histoire est racontée dans les chapitres 6 à 8 des Juges. Rappelons d’abord quelques éléments de l’histoire, en commençant par la vocation de Gédéon. Fait intéressant, celle-ci ressemble à l’appel de Moïse en certains points. Dans les deux cas, l’Ange de Yahvé apparaît à la personne, qui craint de voir Dieu. Dieu donne pour mission de délivrer son peuple de l’oppression et la personne mandatée doute de sa capacité à accomplir la mission. Un signe rassurant est ensuite donné à la personne.

Gédéon, tout comme Moïse, n’est pas très brave au début, mais il se fait rassurer par Dieu, par ses paroles et par les signes qu’il donne. Dieu appelle Gédéon un « vaillant guerrier » alors qu’il est loin de l’être : le texte dit qu’il « battait le blé dans le pressoir pour le soustraire à Madiân ». On battait habituellement le blé à l’air pour séparer la paille du grain. Gédéon se cache dans le pressoir pour que les Madianites ne le voient pas. Pourtant, Dieu a vu dans cet homme le potentiel d’un vaillant guerrier. Et pour le rassurer, Dieu lui dit que c’est lui-même qui l’envoie et il lui promet d’être avec lui.

Mais Gédéon n’a pas immédiatement confiance en cette promesse et il remet en doute la parole de Dieu. En 6,13, on voit que Gédéon doute des prodiges d’autrefois : « Pardon mon seigneur, mais si le Seigneur est avec nous, pourquoi tout cela nous est-il arrivé ? Où sont tous ses actes étonnants que nos pères nous racontent, quand ils disent : “Le Seigneur ne nous a-t-il pas fait monter d’Égypte ?” Maintenant, le Seigneur nous a délaissés, il nous a livrés à Madiân ! » (comparer avec Jg 6,8-9). Puis Gédéon demande un premier signe en 6,17-18. Gédéon a besoin d’un signe pour s’assurer que c’est bien Yahvé qui lui parle. Le feu qui sort alors du rocher et consume le sacrifice de Gédéon constitue déjà une confirmation miraculeuse de ce qu’a dit l’ange, un plus grand signe que ce qu’aucun de nous ne peut espérer recevoir au cours de sa vie.

Pourtant, on dit en 6,36 que Gédéon demande un autre signe à Dieu. Il lui dit : « si vraiment tu veux délivrer Israël par ma main, comme tu l’as dit… » et il demande à Dieu de lui donner un deuxième signe, soit de faire en sorte qu’il y ait de la rosée seulement sur une toison qu’il étend sur le sol. Si au matin il y a de la rosée sur la toison et non sur le sol, Gédéon saura « que tu délivreras Israël par ma main, comme tu l’as dit ». Gédéon reçoit ce signe, mais il ne s’en contente pas. Il décide d’en demander un troisième. Bien que le deuxième signe devait servir à confirmer la volonté de Dieu, Gédéon demande un troisième signe qui est l’inverse du deuxième : il faut maintenant que le sol soit trempé et que la toison soit sèche. Or, Gédéon se doute que son attitude ne plaît pas à Dieu puisqu’avant de demander ce troisième signe, il dit « Ne t’irrite pas contre moi si je parle encore une fois. Permets que je fasse une dernière fois l’épreuve de la toison ».

Gédéon : un exemple à suivre ?

Durant des années, j’ai vu la demande de signes par Gédéon comme un encouragement biblique à faire usage de ce genre de technique pour trouver la volonté de Dieu. On m’avait encouragé à découvrir la volonté de Dieu en « mettant une toison » comme Gédéon et en priant : « Seigneur, si tu veux que je fasse telle chose, fais ceci et je saurai quelle est ta volonté ».

La difficulté de cette approche, c’est que le texte biblique ne décrit pas Gédéon et l’épreuve de la toison comme étant un exemple à suivre pour découvrir la volonté de Dieu. En effet, on a déjà vu que Gédéon lui-même craint que son attitude ne plaise pas à Dieu et il lui demande de ne pas se fâcher. Pire encore, le texte dit que Gédéon utilise l’épreuve de la toison précisément parce qu’il ne croit pas en la parole de Dieu : Dieu lui a déjà fait connaître sa volonté ! Gédéon ne met pas une toison pour découvrir la volonté de Dieu. Gédéon dit « si tu veux vraiment faire comme tu l’as dit alors fait ceci et je saurai que tu vas faire selon ce que tu as dit ». Gédéon met en doute la parole de Dieu, il ne croit pas que Dieu va faire ce qu’il a dit qu’il fera. En cela, Gédéon n’est certainement pas un exemple à suivre.

En fait, la Bible rapporte plusieurs cas où des gens « mettent Dieu à l’épreuve » et il ne s’agit jamais d’exemples positifs. La Bible affirme même clairement à certains endroits qu’il ne faut pas mettre Dieu à l’épreuve. Les condamnations contre Israël à ce sujet ne manquent pas lors du séjour au désert (voir Ex 17 et Nb 14,22). Un texte éclairant sur le sujet est la tentation de Jésus au désert. Luc nous apprend que Jésus a été conduit au désert après son baptême au cours duquel Dieu lui avait dit : « tu es mon fils… ». Or, au désert le diable remet en doute cette parole et dit à Jésus, après l’avoir amené au sommet du Temple : « Si tu es fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas et Dieu va envoyer des anges pour te protéger ». Le diable demande à Jésus de prouver par un signe qu’il est le fils de Dieu alors que la seule parole de Dieu devrait suffire. Mais Jésus lui répond en citant Dt 6,16 : « Tu ne tenteras pas [ou tu ne mettras pas à l’épreuve] le Seigneur, ton Dieu ». Ailleurs, Jésus condamne vertement ceux qui lui demandent des signes (voir Mt 12,38).

Ainsi, la Bible en général et l’histoire de Gédéon en particulier ne nous encouragent pas à mettre Dieu à l’épreuve[iii], certainement pas pour valider sa parole, mais pas même pour connaître sa volonté par des signes. En fait, Gédéon semble plutôt être un exemple à ne pas suivre, du moins dans son manque de confiance envers Dieu. Toutefois, comme cela se passe si souvent dans l’histoire du peuple de Dieu, Dieu utilise cet homme craintif et imparfait pour accomplir de grandes choses, en l’occurrence sauver Israël de l’oppression madianite.

Cet « accommodement divin » est encourageant et m’empêche d’affirmer que Dieu ne m’a jamais envoyé de signes lorsque j’ai fait usage d’une « toison » par le passé. Vous direz peut-être que c’est par un effet psychologique que j’ai trouvé des signes là où Dieu n’en avait pas envoyé. C’est possible. Mais il est aussi possible que Dieu ait bien voulu agir en tenant compte de mes nombreuses limites, incluant ma compréhension déficiente de son mode de révélation. Ultimement, toutefois, Dieu m’a appris (et m’apprends toujours) à aller au-delà de mes limites et de mes compréhensions limitées et il m’appelle à gagner en maturité.

Dieu peut nous donner des signes. Il en a évidemment le droit : il accorde d’ailleurs volontairement un quatrième signe à Gédéon (qui ne le lui a pas demandé) juste avant la bataille pour l’aider à prendre courage (Jg 7,9-11.15). Mais il ne faudrait pas s’imaginer que l’histoire de Gédéon est une promesse que Dieu accordera des signes à qui lui en demande.

Dieu nous appelle à la maturité, ce qui veut dire entre autres choses que nous devons être capables, en ayant l’Esprit du Christ et en laissant notre intelligence être renouvelée par le Saint-Esprit et par l’étude et la méditation de la Bible, de prendre des décisions selon les principes de la Parole en réfléchissant et en méditant ces principes dans la soumission à la volonté de Dieu. Après un temps, Dieu nous appelle à dépasser le stade où nous avons besoin de signes pour comprendre sa volonté.


[i] Pour définir simplement la divination, on peut dire qu’elle consiste à découvrir ce qui n’est pas possible à l’humain de connaître par des moyens naturels, par exemple en consultant les dieux.

[ii] Le terme hébreu shophet traduit par « juge » désigne davantage dans ce livre un chef militaire qu’un juge tel que nous le comprenons en Occident.

[iii] Pour l’exception qui confirme la règle, voir Mal 3,10, qui concerne toutefois une situation particulière.