jeudi 12 novembre 2009

Plaidoyer pour une certaine diversité théologique

Cet éditorial est paru dans le magazine Le Lien 26/6 novembre-décembre 2009, p.3.

Nous gagnerions à encourager une certaine diversité d’opinion à l’intérieur du mouvement évangélique. Évidemment, il ne s’agit pas de laisser place au relativisme (« les idées se valent toutes ») ou aux hérésies, ni d’abandonner nos convictions. Simplement, il faut reconnaître que ce n’est pas parce qu’un frère est en désaccord avec nous qu’il est automatiquement un mauvais chrétien. Sur plusieurs points, différentes opinions peuvent être vues comme étant non pas toutes aussi bonnes, mais acceptables pour un chrétien. Paul affirme cela dans Rm 14 ; 1 Co 8 ; 10,23-33 et met l’accent sur l’accueil et l’amour qu’il faut manifester envers nos frères et sœurs qui pensent différemment. N’oublions pas que nous avons tous été bénéficiaires de cet accueil à certains moments de notre vie chrétienne. Nous avons tous défendu des idées que nous avons ensuite abandonnées. Nous avons tous eu cette foi immature dont Paul parle, et c’est grâce à l’accueil des autres que nous avons pu grandir en maturité.

La diversité d’opinions s’explique par l’immaturité de certains, mais aussi par la complexité de certaines questions théologiques. Dès les premières années de la Réforme, des différences parfois importantes se sont manifestées entre les réformateurs. Malgré ces différences, Calvin considérait Luther comme un précieux instrument de Dieu. La situation actuelle n’est pas plus simple qu’à la Réforme et par conséquent les différences d’aujourd’hui ne sont pas surprenantes, surtout si nous reconnaissons nos limites personnelles (et communautaires) à décrire avec exactitude et exhaustivité toutes les grandeurs des desseins et des mystères de Dieu.

On peut se rapprocher de la vérité (et donc de Dieu) seulement si on est prêt à apprendre, donc à confronter dans le respect nos idées à celles des autres. Parfois, même si elles restent les mêmes, nos idées peuvent se préciser grâce au dialogue. Si on ne s’explique jamais à ceux qui pensent autrement, on devient paresseux intellectuellement, prenant pour acquis que tous les (bons) chrétiens pensent comme nous. Rappelons-nous que la diversité théologique à l’époque des Pères de l’Église et de la Réforme a donné lieu à une ébullition d’idées et à une productivité théologique qui nous stimule encore aujourd’hui. La diversité des membres n’empêche pas l’unité du Corps du Christ : elle le nourrit (1 Co 12-13).

mercredi 4 novembre 2009

Le filtre du carbone

Il fallait s'y attendre : certains ont encore trouvé moyen de détourner une bonne chose pour verser dans l'excès, pour ne pas dire dans le ridicule. En effet, un débat pointe son nez : selon certains, les gouvernements devraient accorder des crédits de carbone aux femmes qui se font stériliser puisque les enfants, futurs (méchants) consommateurs, produiront de grandes quantités de gaz à effet de serre. Il faut préciser tout de suite que nous ne parlons pas ici de fournir des moyens de contraception à des femmes qui ne peuvent s'en procurer dans les pays en développement et qui doivent se résigner à avoir huit enfants alors qu'elles préfèreraient n'en avoir que deux ou trois. Non, nous parlons plutôt d'éviter l'engendrement des pires enfants de la planète, soit les enfants des pays riches qui sont ceux qui consommeraient davantage au cours de leur vie et donc produiraient davantage de gaz à effet de serre.

Je précise tout de suite que je suis tout à fait en faveur de la mise en place de mesures importantes pour réduire la production de gaz à effet de serre et d'autres polluants. Je trouve aussi scandaleux que le gouvernement canadien se traîne les pieds dans ce dossier (et dans les autres dossiers liés à l'environnement), alors même que certaines compagnies canadiennes ont pris des mesures volontaires plus contraignantes que celles exigées par le gouvernement fédéral. Ce que je trouve surréaliste, c'est que pendant que l'on culpabilise les gens pour le fait de se reproduire ou même de vivre (après tout, même en n'achetant rien, notre respiration produit déjà du CO2 : quand va-t-on nous le reprocher ?), on permet aux gouvernements de laisser les transports en commun dans leur piètre état actuel et de ne pas légiférer pour contraindre les entreprises à apporter davantage de changements qui auraient des impacts beaucoup plus significatifs (on parle de milliards de tonnes de carbone !) que ceux que peuvent avoir les choix individuels, aussi bien intentionnés soient-ils. Bien que tous les choix soient importants, ceux qui sauveront (ou pas) la planète ne sont pas les choix individuels des citoyens comme le remplacement d'ampoules à incandescence par des fluocompactes, geste presque universellement reconnu aujourd'hui comme le strict minimum que tous ceux qui ne détestent pas l'environnement doivent poser (rassurez-vous : j'ai moi-même pris le virage fluocompacte). On aura beau bannir complètement l'ampoule à incandescence du Globe, tant que les industries ne seront pas contraintes à produire de façon moins polluante des produits eux-mêmes moins nocifs pour l'environnement, et tant que nos infrastructures ne nous permettront (voire obligeront) pas de vivre collectivement de façon plus respectueuse de l'environnement, on ne fera que filtrer le moucheron pour mieux avaler le chameau. Devons-nous vraiment choisir la stérilisation pour contrer le réchauffement de la planète alors que le remplacement relativement facile de l'exploitation des sables bitumineux, des centrales thermiques au charbon et des voitures à essence par des alternatives aurait un impact bien supérieur ? Autant ou plus d'êtres humains pourraient vivre sur cette planète tout en ayant moins d'impact sur l'environnement. Les États-Unis produisent près du quart des émissions de gaz à effet de serre tout en ne constituant pas 5% de la population mondiale. La différence ne s'explique pas seulement par le niveau de vie des Étatsuniens, incluant l'ampleur de la production manufacturière dans ce pays, mais plutôt par leurs modes de production et de consommation (et de gaspillage). La question est : sommes-nous prêts à encadrer la production pour assurer un développement durable ? Posée autrement, la question est : y a-t-il des (vrais) politiciens dans la salle ?

Pourquoi voulons-nous protéger l'environnement ? N'est-ce pas en partie, justement, pour assurer un monde meilleur (ou du moins éviter un monde pire) à nos ENFANTS ? S'il faut éliminer les enfants pour laisser un monde meilleur à la prochaine génération, il faut qu'on m'explique la logique adoptée. S'agit-il de laisser les pollueurs produire des biens de la même façon irresponsable jusqu'à ce qu'il n'y ait plus personne sur Terre pour les acheter ? Il se pourrait bien que le plus grand fléau mondial actuel ne soit pas l'emballement du climat mais, pour reprendre un calque de l'anglais, l'échec de notre imagination.