mardi 20 novembre 2007

La théologie, quossa donne ? - part II

Dans l’entrée du 8 novembre (« La théologie, quossa donne ? »), je constatais que les théologiens et l’Église se négligent mutuellement. J’offrais un très bref plaidoyer en faveur de la théologie en recadrant l’aversion de plusieurs églises et chrétiens à la théologie dans un cadre plus large, soit l’utilitarisme et la technocratie de notre société. Je devrai revenir bientôt sur l’autre partie du problème, soit la négligence de l’Église par les théologiens. Pour l’instant, je voulais revenir à un élément auquel j’ai seulement fait allusion dans cette entrée, soit le fait que la théologie est remise en question non seulement par l’Église, mais aussi par le monde universitaire. En effet, de nombreux universitaires voudraient bien voir la fin des études théologiques en contexte universitaire pour ne conserver que les sciences des religions, qui étudient (simplifions un peu ici) les religions de l’extérieur comme objet et en les mettant à égalité, sans s’inscrire dans une tradition religieuse particulière comme c’est toujours le cas en théologie. Le religiologue peut être athée sans que cela pose problème, alors que c’est beaucoup plus difficile en théologie. L’argument principal des « abolitionnistes » est (en gros) que les sciences des religions sont plus objectives et donc scientifiques et universitaires que la théologie, qui favorise toujours une tradition religieuse particulière et n’a donc pas de place dans une université pluraliste et laïque. Certains voient même les théologiens comme des « suppôts » de l’Église qui veulent diffuser sa « propagande » anti-scientifique, d’où la tendance de plusieurs théologiens universitaires de se distancer à outrance de l’Église et de la tradition chrétienne pour avoir l’air le plus « objectif » possible.

Ma réflexion sur le sujet n’est pas encore très élaborée, mais j’aimerais vous soumettre en quelques mots une alternative à l’abolition de la théologie universitaire, alternative que j’entrevois mais qui doit être testée et peaufinée. J’inviterais donc vos commentaires et critiques (respectueuses si possible) afin que je puisse raffiner ce concept encore à l’état de brouillon dans ma tête. Il ne s’agit donc pas de ma position finale sur le sujet mais d’une exploration. Il est clair que cette position s’applique au contexte québécois, les situations aux États-Unis ou en France (par exemples) étant très différentes.

Il me semble qu’il est possible de justifier la place de la théologie à l’université aux côtés des sciences religieuses, et ce même dans un contexte pluraliste et laïc. La théologie en contexte universitaire est utile d’abord à l’Église et aux divers groupes religieux, mais aussi à l’université et à la société. Tout d’abord, il est clair que l’abolition de la théologie universitaire au Québec aurait des effets négatifs sur l’Église puisque la théologie ne se ferait plus que dans les églises ou dans des écoles qui développeraient rapidement le réflexe (ou plutôt amplifieraient leur tendance) consistant à produire une théologie « prête-à-consommer », pragmatique, pour utilisation « à l’interne » et sans désir réel de dialogue avec le monde académique et la société élargie. Toute tradition religieuse se doit d’être examinée de façon critique mais aussi « sympathique », avec un regard à partir de l’intérieur, plutôt que simplement de l’extérieur, comme un objet d’étude. Les sciences religieuses ne peuvent accomplir ce service, qui est utile non seulement pour l’Église, mais aussi pour la société puisque l’Église (et les religions) sans regard critique sur elle(s)-même(s) tomberont à coup sûr dans le fondamentalisme, ce qui ne sert guère l’intérêt public. Quelqu’un qui n’a pas la foi peut étudier le « phénomène » de la foi et ses expressions, mais son discours est forcément différent du théologien et ce discours sera probablement encore moins bien reçu par le croyant que le discours du théologien. En fait, et pour le dire de façon crue, sans théologie (au sens large, pas seulement comme discipline académique) il n’y aurait même pas de sciences des religions (et en fait il n’y aurait pas de religion non plus), puisque le religiologue n’aurait plus d’objet d’étude.

Dans notre contexte pluraliste et laïc, si nous ne voulons pas favoriser une tradition religieuse particulière, il faudrait peut-être envisager élargir le mandat des facultés de théologie universitaires plutôt que les abolir ou les transformer en départements de sciences religieuses. On pourrait justifier sans problème dans une ville cosmopolite comme Montréal que les facultés de théologie incluent des études islamiques et judaïques, en plus évidemment des études catholiques et protestantes. Introduire la théologie musulmane dans certaines universités québécoises serait un symbole mal perçu par plusieurs, mais il faut rappeler que nombreux sont ceux qui estiment que les musulmans doivent travailler à se sortir du fondamentalisme en repensant l’Islam en contexte de modernité. Or, souvent ces mêmes personnes ne veulent pas que les musulmans fassent de la théologie musulmane en contexte universitaire. Comment comptons-nous alors leur permettre d’accomplir l’exploit de porter un regard critique et académique sur leur tradition si nous laissons la théologie musulmane se faire uniquement dans les mosquées et que nous laissons l’étude académique de l’Islam se faire surtout par des religiologues d’arrière-plan catholique ? Il me semble que toute la société bénéficierait d’une refonte et d’un recadrage théologique de l’Islam qui offrirait une alternative au fondamentalisme. Qui de mieux pour faire une telle refonte qu’un théologien musulman ?

La laïcité ne doit pas forcément conduire au sécularisme, où la religion est expurgée entièrement de la sphère publique. Elle doit plutôt permettre la cohabitation entre citoyens d’arrière-plans différents en favorisant des échanges, incluant des échanges théologiques, plutôt qu’en leur demandant de cacher ce qui les distinguent les uns des autres.

3 commentaires:

Dominic Perugino a dit...

Moi je crois que tu as tout à fait raison. Je suis pour que l'académie élargisse ses disciplines.
De plus, dans mon cours d'islam, cette citation a été dite par le professeur:"il faut rappeler que nombreux sont ceux qui estiment que les musulmans doivent travailler à se sortir du fondamentalisme en repensant l’Islam en contexte de modernité".
En effet, la plupart des mulusmans ne comprennent pas l'arabe, donc ne conaissent pas le ocnenue de leur liturgie. De ce fait, leur théologie n'est que du bouche à oreille, de parents et amis. Si un nombre croissant d'entre eux pouvait étudier la théologie islamique, cela pourrait être bénéfique.

À part de ça, je ne vois pas pourquoi on aurait peur de la multiplicité des religons dans l'académie (en tant que chrétien). De fait, le christianisme a émergé dans un contexte pluraliste et il n'est pas mort (on est pas fait en chocolat)

Steve Robitaille a dit...

Je suis tout à fait d'accord avec vous deux. Un théologien, Nicholas Adams, a mis de l'avant une proposition similaire dans son ouvrage Habermas and Modernity.
Merci Marc pour ton blogue. Tu y exprimes un discours très bien articulé et ô combien nécessaire dans le contexte social et ecclésial actuel.

Marc Paré a dit...

Merci à vous deux pour vos commentaires. Je suis content que vous semblez tous les deux estimer qu'il y a du bon dans cette ébauche d'une alternative au débat actuel.