jeudi 1 mai 2008

Amos III

Le mensuel mennonite français Christ seul publie au cours des prochains mois une série d'articles sur le prophète Amos, dont le message est toujours d'actualité. On m'a demandé d'y contribuer en écrivant les trois premiers articles de la série. J'ai déjà repris les deux premiers articles dans ce blog (voir les entrées du 25 mars et du 17 avril). Voici le troisième et dernier, publié dans le numéro avril 2008 de la revue.

Amos et « l’évangile de la prospérité »

Amos et la justice sociale
L’essentiel du message d’Amos concerne la justice sociale, en particulier la dénonciation de l’exploitation des pauvres par les riches. À l’époque d’Amos (vers 760 av. J.-C.), le Royaume d’Israël vit une courte période de stabilité et de prospérité. Il s’agit en fait de l’œil du cyclone : les éprouvantes Guerres araméennes du 9e siècle sont passées et le puissant Empire assyrien doit s’occuper des royaumes araméens avant d’assurer son hégémonie sur Israël et les royaumes avoisinants. Mais entre le ministère d’Amos et la destruction d’Israël aux mains des Assyriens, moins de 40 ans se seront écoulés.

La brève accalmie au temps d’Amos permet notamment l’expansion du commerce international en Israël et la création d’une classe marchande qui fait l’acquisition de grands domaines agricoles. Le problème est que la prospérité se fait sur le dos des pauvres. Notamment, les marchands prêtent aux paysans à des taux usuriers (souvent à des taux de 100%, 200% ou 300%) et lorsque ceux-ci n’arrivent pas à payer leurs dettes, les marchands saisissent leurs terres et prennent leur famille en esclavage. Ce crime est d’autant plus grave que, selon la loi, la terre est un patrimoine familial qui doit assurer la subsistance des générations futures. C’est principalement contre de telles pratiques d’oppression des pauvres que le prophète Amos s’insurge.

Amos et le culte
On peut se demander pourquoi un prophète biblique consacre son ministère à se mêler des affaires économiques du pays. Ce message peut ne pas nous sembler très spirituel. N’est-ce pas notre dévotion envers Dieu et nos croyances qui comptent, plutôt que nos vues économiques et politiques ? Pas pour Amos, qui affirme que le culte sans justice ne vaut rien et est même néfaste (Am 4,4-5 ; 5,21-24, cf Mt 5,23-24).

En fait, déjà à l’époque d’Amos, son message ne semble pas très spirituel à ses contemporains. Après tout, les Israélites ne négligent pas le culte. De quoi se plaint donc le prophète (et Yahvé) ? L’attitude des Israélites s’explique par le fait que les dieux du Proche-Orient ancien ne se préoccupent pas vraiment de ce qui se passe entre les humains. L’important pour eux est le culte, notamment l’entretien des dieux et de leurs demeures (les sanctuaires). La religion est donc d’abord une religion de riches puisque les pauvres ne peuvent se permettre d’adorer les dieux « convenablement » en leur offrant des sacrifices. Les Israélites du temps d’Amos adoptent cette vision proche-orientale dans l’adoration de Yahvé. Ils affirment leur dépendance envers Yahvé et attribuent aux bénédictions divines leur réussite financière. Ils s’imaginent que Yahvé, après avoir reçu tous ces sacrifices, doit être repu et content. En fait, il doit même être prêt à oublier quelques écarts de conduite, d’autant plus que ceux-ci sont commis envers les pauvres qui, eux, n’ont rien à offrir à Yahvé.

Amos et l’Évangile de la prospérité
L’horreur que nous ressentons devant ce culte infâme tend à se transformer en complaisance devant ses équivalents modernes. Après tout, aujourd’hui encore on espère souvent manipuler Dieu avec nos « sacrifices » ou notre culte et réduire notre adoration à une dimension « verticale ». L’Évangile de la prospérité est un exemple de mutation récente du culte pratiqué par les proche-orientaux et les Israélites du temps d’Amos. Dans cette nouvelle mouture, on estime que l’essentiel de la vie chrétienne consiste à être béni matériellement par Dieu, négligeant les exigences éthiques de l’Évangile et réduisant la responsabilité du chrétien au don d’une partie de ses biens à l’Église (ou à un télé-évangéliste).

Malheureusement pour les Israélites et leurs semblables de toutes époques, Amos affirme que Dieu n’a rien à faire de ce genre d’adoration. Toute adoration et tout sacrifice, lorsqu’ils ne sont pas accompagnés d’un comportement moral et juste envers les autres, sont en fait une abomination aux yeux de Dieu (relire Am 4,4-5 et 5,21-24). Le fait même de se présenter au sanctuaire pour adorer Dieu après avoir exploité le pauvre est considéré un péché. Louer Dieu devient un péché ! Le message d’Amos revient à dire qu’on ne peut rendre un culte à Dieu sans d’abord changer radicalement nos actions et attitudes envers les autres. En fait, notre comportement envers les autres, s’il est juste, est en lui-même une forme d’adoration envers Dieu (voir Am 5,14-15.24). Faire du bien aux autres, c’est adorer Dieu, et leur faire du mal c’est rendre nul tout acte d’adoration.

À une époque où les écarts entre les riches et les pauvres continuent à augmenter et où les leviers de la prospérité sont entre les mains de quelques-uns, le message d’Amos est plus actuel que jamais. Si on prend ce message au sérieux, soit que Dieu se préoccupe des pauvres et de notre attitude à leur égard, aider ceux qui sont dans le besoin devient un geste d’adoration central dans la foi chrétienne (voir Mt 25,31ss).