vendredi 7 mai 2010

Parler de foi sans perdre la raison (I)

Cet article a été publié dans Le Lien 27/2 (Mars-Avril 2010). La seconde partie sera publiée dans Le Lien 27/3 (Mai-Juin 2010), puis dans ce blogue. Ces deux articles ont été publiés sous une forme modifiée et en un seul article dans le Mennonite Brethren Herald 49/3 (Mars 2010) sous le titre "Discussing our Faith without Losing our Minds" puis sur Christianity.ca.

À 18 ans, j’étais à la croisée des chemins entre l’athéisme et la foi chrétienne. La faiblesse de nombreux arguments défendant le théisme (croyance en Dieu) me dirigeait tout droit vers l’athéisme ou du moins au rejet formel de la foi chrétienne. Il s’agissait d’arguments tels que « l’athéisme conduit à croire qu’il n’y a pas de sens à la vie, ce qui prouve que Dieu existe ». Ce type d’argument me posait problème puisqu’il est fondé sur une opinion, soit que la vie a (ou doit avoir) un sens, opinion qui n’est pas partagée par tous. Au fond, cet argument revient à dire « si ça marche, c’est que c’est vrai », ou plutôt « si ça ne marche pas, c’est que c’est faux ». Mais on peut se demander si l’athéisme est faux simplement parce que ses conclusions sont déprimantes.

Plus fondamentalement, ce type d’argument ne répondait pas aux vrais problèmes que j’avais avec la foi chrétienne. La raison pour laquelle j’ai finalement rejeté l’athéisme et choisi la foi chrétienne est que j’ai pu, grâce au dialogue avec un chrétien, répondre à deux types d’obstacles à la foi, soit des questions d’ordre rationnel et existentiel. En me fondant sur mon expérience, j’aimerais suggérer quelques réflexions dans le but d’encourager un meilleur dialogue avec les athées et les non-croyants. Dans ce premier article, je vais mettre l’accent sur la dimension rationnelle du témoignage chrétien, alors que dans le suivant je soulignerai sa dimension existentielle.

Foi et raison

Notre monde moderne est fondé sur des épistémologies (théories de la connaissance et du savoir) où la raison et la méthode scientifique occupent une place fondamentale. Cela implique que la présentation de la foi chrétienne ne doit pas choquer inutilement la raison ni la démarche scientifique. Ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons pas remettre en question certaines positions philosophiques ou scientifiques. Après tout, la résurrection était une folie pour les Grecs, mais les premiers chrétiens ne pouvaient faire de compromis sur ce sujet pour satisfaire la sagesse humaine.

Cependant, nous savons que plusieurs apôtres et Pères de l’Église ont cherché à présenter la foi d’une façon qui était intellectuellement admissible pour les gens de leur époque. Augustin croyait que la présentation naïve de l’univers que proposaient certains chrétiens de son époque et qui ne tenait pas compte des avancées philosophiques et « scientifiques » du temps faisait plus de tort que de bien puisqu’elle incitait les gens savants à rejeter la foi chrétienne sous prétexte qu’elle était fondée sur des connaissances et compréhensions périmées et clairement fausses.

Un des projets fondamentaux de l’histoire du christianisme, qui a notamment occupé de nombreux Pères de l’Église, a été l’articulation de la foi chrétienne en employant les moyens intellectuels de l’époque, notamment la philosophie grecque. Cette entreprise s’explique notamment par le désir des Pères de démontrer que la foi chrétienne pouvait résister même à la rigueur de la reine des philosophies et des savoirs. Plus fondamentalement, les Pères estimaient qu’il était permis (non, nécessaire) de se servir des meilleurs moyens intellectuels disponibles pour réfléchir à la foi chrétienne et à ses implications. Cela a donné naissance à des formulations aussi remarquables que la doctrine de la Trinité.

Ainsi, s’il n’est pas nécessaire de se soumettre entièrement à la science et à la raison, il est inadmissible d’en faire fi. Il n’est pas nécessaire d’éteindre son cerveau pour croire en Dieu ; au contraire, la raison peut être utile à la foi. La présentation de la foi, surtout si elle inclut des arguments de type philosophique ou scientifique, ne doit faire fi ni de la logique, ni de la raison ou de la démarche scientifique. Les questions de l’existence de Dieu et du sens de la vie sont des questions on ne peut plus légitimes, pertinentes et raisonnables, particulièrement depuis le 18e siècle. Et ces questions ne devraient pas occuper seulement les agnostiques qui ne se sont pas (encore ?) fait une opinion sur le sujet, à supposer que les agnostiques soient des « indécis » plutôt que des gens qui ont conclu qu’il (leur) est impossible de trancher la question. En effet, même les croyants et les athées peuvent pousser leur réflexion plus loin en revisitant en profondeur ces questions.

Ainsi, sans devoir (ou pouvoir) nécessairement démontrer rationnellement l’existence de Dieu, il demeure nécessaire de ne pas offenser la raison et de « rendre compte de la foi » (1 P 3,15) d’une façon intelligente, en faisant usage de la raison. Bien entendu, ce ne sont pas tous les chrétiens qui doivent devenir des philosophes ou des scientifiques, mais le discours global véhiculé par tous les chrétiens (la somme des arguments et des discussions auxquelles participent les chrétiens) devrait inclure une présentation rationnelle de la foi et contenir le minimum d’arguments fallacieux, au risque de rebuter inutilement les gens. On doit se rappeler le souci de Paul de se faire « tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns » (1 Co 9,19-23).

Il n’y en aura pas de faciles

Malheureusement, la mauvaise presse dont souffre le christianisme dans de nombreux milieux intellectuels et scientifiques est due à une présentation intellectuellement médiocre de la foi. Si on veut espérer un réel dialogue avec ceux qui n’adoptent pas la foi chrétienne, il faut notamment éviter de caricaturer la position critiquée (les athéismes, les paganismes, les sécularismes, les postmodernismes, les évolutionnismes, etc.) pour ensuite facilement (évidemment) la déconstruire. Pour être réel, le dialogue demande que l’on écoute ce que « l’autre » affirme pour s’assurer de bien comprendre plutôt que de croire que tous ceux qui n’adoptent pas nos croyances et raisonnements sont forcément idiots ou endurcis, et que leurs positions peuvent être réduites à des constructions ridicules, irrationnelles ou immorales.

Il faut donc larguer les discours simplistes qui disent par exemple que les athées sont tous malheureux et amoraux et sont donc dans l’erreur alors que tous les chrétiens sont heureux et vertueux et ont donc raison. La Bible elle-même n’endosse jamais l’équation simpliste : « si ça marche, c’est que c’est vrai » ou ses mutations, comme le soi-disant « Évangile de la prospérité » qui afflige certaines églises. Rappelons-nous des nombreux exemples bibliques contredisant ce paradigme totalitaire qui fait correspondre le succès à la véracité ou à la fidélité à Dieu. Un de ces exemples est ce que dit l’Ancien Testament à propos du peuple d’Israël du 8e siècle av. J.-C. À cette époque, Israël a connu une grande prospérité et un développement important. Les Israélites croyaient être bénis par Yahvé puisque les sanctuaires étaient pleins et les sacrifices abondaient. Dieu, repu, se devait donc de bénir son peuple en retour. Or, Amos et Osée n’attribuent pas la prospérité d’Israël à sa fidélité ou aux bénédictions divines et annoncent la destruction d’Israël.

Et ils ne sont pas les seuls prophètes dont le message ou la vie et le ministère contredisent la formule « le succès est conséquence de la véracité et de la fidélité ». En fait, la plupart des prophètes, incluant Jésus, ont eu de grandes difficultés personnelles et un ministère dont le succès a été pour le moins mitigé. Disons-le franchement, le ministère et la prédication de la plupart des prophètes (incluant Jésus) ont été un échec cuisant, du moins de leur vivant, surtout si on évalue le succès de la prédication prophétique en fonction de la repentance des masses. Rappelons-nous comment les Évangiles présentent même les disciples comme étant souvent incapables de comprendre ou d’accepter l’enseignement de Jésus (sans parler de la trahison de Judas). Mais le succès mitigé des prophètes et leurs échecs ne sont-ils pas dus précisément au fait qu’ils communiquaient fidèlement la Parole de Dieu à un peuple qui n’en avait strictement rien à cirer (voir Ez 2,7 ; 3,7) ?

On peut se demander pourquoi les choses devraient nécessairement être différentes aujourd’hui. « Si ça marche, c’est que c’est vrai ». Ah oui ? Dites-cela à Jean-Baptiste ou à Jérémie ! Il semble que l’incapacité à suivre Dieu et l’utilisation d’un substitut plus pratique comme un code bien défini ou des recettes à la mode (qui ont du succès ! qui marchent !) soient une caractéristique de l’humanité et même du peuple de Dieu qui perdure de génération en génération. Les Pharisiens n’avaient pas de problème de recrutement au temps de Jésus. Était-ce parce qu’ils avaient raison ?

Lors du prochain numéro du Lien, nous verrons que, bien que la tâche apologétique doive tenir compte de la raison, elle dépasse cette seule dimension et doit prendre en compte également la dimension existentielle de l’être humain.

2 commentaires:

Benoit Hébert a dit...

"Cependant, nous savons que plusieurs apôtres et Pères de l’Église ont cherché à présenter la foi d’une façon qui était intellectuellement admissible pour les gens de leur époque. "

Tout à fait d'accord avec vous. C'est pour cela que j'ai créé le site www.scienceetfoi et le blog création et évolution associé, en collaboration avec la fondation BioLogos fondée par Francis Collins. Votre article me plais beaucoup, m'autorisez vous à le mettre en lien?

BRUNO SYNNOTT a dit...

Salut Marc, tes écrits sont très intéressants! Continus!
On ne peut, en effet, ôter tout aspect rationnel - ou du moins intelligible - à la foi. Je veux dire, nos convictions de foi ne peuvent pas être réduite à sauts dans l'irrationnel. Sinon, comment en discuter ? Il est certain que dans le milieu académique, "l'expérience seule" ne suffit pas pour témoigner (ou rendre compte) de notre foi. Bien que déterminante, comme nous le croyons, elle ne peut être suffisante. D'abord parceque nous sommes tous imparfaits et que nos péchés n'invalident pas notre foi. Deuxièmement parce que notre attitude "de foi" prend justement sa source dans une révélation qui est d'abord générale, puis historique, et enfin communautaire et finalement personnelle. Et il incombe à tout les chétiens de méditer sur cela pour le rendre intelligible aux contemporains. La foi n'est ni innée ni "naturelle" dans le sens où elle se trouverait déjà en nous ou qu'elle nous soit tombé dessus par hasard.

Pour rendre témoignage de la foi, la raison et l'expérience sont précieuse. Mais l'expérience est sous-estimé car elle ne fait pas "classe". Or, dans ma petite tentative ici de la valoriser!, je dirais qu'elle est la base de la méthodologie scientifique!  Je ne crois pas qu'on puisse se passer d'elle, car en général, dans la vie quotidienne, sur le plancher des vaches, le coté pratique prévaut. L'expérience de "ce qui marche", est importante. Il ne s'agit pas de prouver notre foi par l'expérience, mais de s'avanturer avec confiance dans le champ d'une logique de probabilité.  Il s'agit de mettre en branle une certaine méthode inductive (à partir de mon expérience et de ce que j'observe)  dont le livre des Proverbes est un exemple. Bien que "basic", cette cette approche du réel à partir de l'expérience, conduit par exemple, à concevoir que si dans notre expérience tout ce qui est complexe est planifié, il en est de même de l'univers. Autre exemple pour terminer, cette approche peut servir de tremplin pour affirmer que si qq'un met en pratique les principes éthique de la Bible il sera "béni" ou "heureux" (pas nécessairement au sens matériel, sans l'exclure) même si ce n'est pas non plus une règle absolue (cf Job).
Tout est à notre disposition dans ce monde pour révéler la grandeur de l'amour manifesté par Dieu en Jésus-Christ!