Voici la deuxième partie de l'entrée du 7 mai sur ce blogue. Il s'agit d'un article paru dans Le Lien 27/3 (2010). Ces deux articles ont été publiés sous une forme modifiée et en un seul article sous le titre "Discussing our Faith without Losing our Minds" dans le Mennonite Brethren Herald 49/3 (Mars 2010) puis sur Christianity.ca.
Dans le numéro précédent du Lien, nous avons vu que la tâche apologétique devait tenir compte de la raison et de la science pour être efficace, vu que notre monde a adopté des épistémologies (théories de la connaissance et du savoir) où la raison et la méthode scientifique occupent une place fondamentale. On ne saurait donc se satisfaire d’arguments du type « l’athéisme conduit à croire qu’il n’y a pas de sens à la vie, ce qui prouve que Dieu existe ». En effet, ce type d’argument offense la raison et revient à dire « si ça marche, c’est que c’est vrai », ou plutôt « si ça ne marche pas, c’est que c’est faux », une variante de l’Évangile de la prospérité ("si tu as du succès, c’est que Dieu te bénit") que la Bible elle-même contredit, avec pour contre-exemple ultime la crucifixion de Jésus.
Il n’y a pas que la raison
Est-ce que cette dimension rationnelle de l’apologétique veut dire que l’évangélisation est une affaire purement « philosophique » ? Certainement pas ! La présentation de la foi comprend aussi une dimension « expérientielle ». Nous sommes d’abord et avant tout témoins d’une expérience et d’une personne. La tâche apologétique et kérygmatique (proclamation essentielle sur le Christ) du chrétien est d’abord et avant tout de rendre témoignage au Christ, à sa relation avec lui et au sens que prend sa vie grâce à lui. Cette dimension est centrale à l’apologétique, sans toutefois éliminer le besoin d’une dimension rationnelle.
Évidemment (et heureusement ?), nous n’avons pas à en appeler uniquement à la raison des gens. On peut d’ailleurs très bien convaincre quelqu’un rationnellement sans pour autant le pousser à changer d’avis ou de comportement. Ceci est dû au fait que les questions de sens et d’absolu, incluant les questions de moralité et de foi, peuvent difficilement être résolues seulement par la raison, ce qui explique en partie la multiplicité des opinions tenues par des gens intelligents et rationnels.
Toute croyance a forcément des « préengagements » philosophiques, existentiels et moraux chez celui qui la porte. On ne peut être scientifiquement, empiriquement et rationnellement certain de rien dans ce monde. Nous avons tous des axiomes, des présupposés non démontrés (et souvent invérifiables) qui constituent le fondement de nos croyances, valeurs et comportements. Ce qui ne nous empêche pas de nous lever le matin et de vivre « comme si » nous savions que le monde (et notre propre personne) existe et qu’il correspond à peu près à l’idée que l’on s’en fait. Nous devons chaque jour faire des choix, comme ne pas quitter notre conjoint, même si nous ne pouvons théoriquement être certain qu’il ou elle nous est fidèle et qu’il ou elle est bien la personne que nous avons mariée plutôt qu’une réplique parfaite envoyée par les habitants de la planète Omicron 4 pour nous observer. Nous ne pouvons même pas être certain que notre conjoint existe vraiment, puisque nous ne pouvons déterminer cette existence que par l’entremise de nos sens, que nous savons parfois trompeurs.
De même, lorsque nous conduisons une voiture, nous évaluons qu’il est très probable que les véhicules autour de nous offriraient une résistance nous mettant en danger advenant une collision, plutôt que de vérifier s’il nous est possible de passer à travers, bien que la mécanique quantique admette cette possibilité. Autrement dit, n’étant pas Vulcains, la raison n’est pas le seul facteur dirigeant notre vie. Chaque jour, nous faisons des sauts de foi qui relèvent d’une posture existentielle plutôt que purement rationnelle.
La vraie raison d’être de l’apologétique
L’apologétique peut ainsi être vue non pas comme l’art de trouver l’argument massue qui convaincra tout le monde sauf les insensés, mais comme l’art de proposer des solutions raisonnables aux obstacles rationnels ou existentiels à la foi. Comme un amoureux qui a encore des doutes avant de s’engager pleinement dans une relation et qui doit atteindre un certain niveau de satisfaction (et non de certitude) face à ces doutes, l’incroyant qui contemple la possibilité de dire « oui » à Dieu doit recevoir une réponse, ne serait-ce que partielle, aux questions et aux doutes qui l’empêchent de s’engager.
Dans certains cas, ces obstacles peuvent être de mauvaises expériences vécues « aux mains » de chrétiens ou de l’Église : « Comment peut-il y avoir un (bon) Dieu si mon voisin qui dit lui obéir est aussi désagréable ? » Rappelons ici que le Québec a connu un traumatisme collectif face à certaines pratiques de l’Église catholique d’une autre époque, ce qui l’a en quelque sorte « immunisé » contre le christianisme. C. S. Lewis, en faisant référence aux traumatismes similaires de sociétés que nous appellerions aujourd’hui « postchrétiennes » a écrit qu’on ne courtise pas une divorcée comme on courtise une vierge.
Dans d’autres cas, les obstacles à la foi peuvent être des « blocages » rationnels ou existentiels du genre : « si Dieu existe, pourquoi y a-t-il tant de souffrance dans le monde ? » Qu’on le veuille ou non, ce besoin de confirmer ses choix existentiels en répondant aux doutes et questionnements qu’ils suscitent est une nécessité de l’existence humaine. C’est même une tâche qui ne sera jamais terminée, que l’on opte pour la croyance ou l’incroyance. Il y a, en effet, de bonnes raisons et arguments pour croire et ne pas croire.
La question est : quelle option nous semble être la meilleure ? Comme l’époux aura toujours des raisons de demeurer dans la relation ou d’en sortir, la foi du croyant et de l’athée sera parfois « testée ». Vivre, c’est toujours choisir entre différentes options, sans jamais être sûr de la validité de ses choix, mais sans jamais non plus pouvoir se permettre d’attendre d’avoir atteint la certitude avant de choisir.
Cette question du choix placé devant nous est centrale à la présentation biblique de la condition humaine. Elle traverse la Bible de l’Ancien Testament, où Israël doit choisir de demeurer dans l’Alliance ou d’en sortir (voir par exemple Dt 30,15-20), jusqu’au Nouveau Testament, où Jésus appelle d’éventuels disciples à aller à sa suite, laissant derrière leur vie ancienne, ce que certains acceptent et d’autres non (Mc 1,16-20 ; 10,17-31 ; Lc 9,57-62).
La tâche apologétique consiste donc non pas tant à démontrer (au sens scientifique), mais à ouvrir des possibilités de croire, incluant des possibilités de sens et d’expérience de Dieu à ceux qui hésitent à leur « donner une chance ». Et sans conclure que « si ça a du sens » ou « si ça me parle » ou « si ça marche, c’est vrai », il faut bien souligner l’importance de l’autre sens de l’équation : « si c’est vrai, cela devrait normalement marcher ». Autrement dit, si notre croyance ne « marche pas dans la vraie vie », par exemple si notre façon de vivre le christianisme ne correspond pas au discours que nous utilisons pour le présenter, on donne de bonnes raisons aux gens de rejeter ce discours. Après tout, si Dieu existe vraiment et qu’il correspond en gros à ce que le christianisme en dit (bien qu’il soit certain que, si Dieu correspond à ce que le christianisme en dit, il est infiniment plus que ce que nous pouvons saisir de lui), l’existence humaine prend un sens extraordinaire et l’agir moral de celui qui est en communion avec Dieu en est forcément affecté.
L’apologétique peut ainsi montrer que le christianisme (ou le théisme) est une option « valable » d’un point de vue existentiel et rationnel, comme certains philosophes ont montré que l’athéisme est une position rationnelle. Autrement dit, si on ne peut pas prouver que Dieu existe, on ne peut pas non plus prétendre que seuls les idiots croient en Dieu, n’en déplaise aux « nouveaux athées » agressifs à la Richard Dawkins.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire