Steve Robitaille a récemment souligné sur son blogue que les théologiens et l’Église se négligent mutuellement. Il a malheureusement raison. J'ajouterais seulement en défense de l'Église (que je n’excuse pas pour autant) que la situation relève d’un phénomène plus vaste. Notre société utilitariste et technocrate néglige la réflexion en faveur de la production. Les gens demandent : « pourquoi étudier en histoire (ou en sociologie, en littérature, en philosophie, en anthropologie, en arts, etc.), y’a même pas d’job dans çâ ? » L'ingénierie, la médecine, les affaires, la technique (etc.), voilà les disciplines utiles ! La réforme scolaire (ou plutôt les réformes scolaires successives) au Québec illustre cette attitude technocrate et utilitariste : pourquoi connaître quand on peut « compéter » ? L'école (incluant malheureusement l'université) ne sert pas à se cultiver ou à apprendre à réfléchir mais à former la main-d'oeuvre. « L'apprenant » qu'est devenu l'élève doit même créer ses propres règles grammaticales et syntaxiques (et évidemment son « aurttograffe ») plutôt que de devoir bêtement apprendre les conventions en usage. Consolons-nous : cette approche permettra d'engendrer la prochaine génération de « lofteurs » pour remplir la grille horaire de TQS.
On oublie que la technique et les affaires, aussi nobles soient-elles, existent d’abord pour soutenir la civilisation et la vie modernes. La culture et la civilisation sont constituées d'abord (mais non exclusivement) justement des choses négligées en technocratie, comme l’art, la littérature, la spiritualité, la musique. Les connaissances techniques ne sont qu’une composante de la culture, bien qu'elles aient plein droit d'y prendre place. Même la science et la culture scientifique, qui satisfont pourtant mieux que la technique la soif de l’humain de comprendre son monde, arrivent rarement à donner un sens à ce monde. Pour beaucoup d’entre nous, c’est davantage dans les arts, la littérature, la musique, le cinéma, la religion et/ou la spiritualité (incluant la théologie au sens large et la théologie comme discipline académique) qu’on trouve ce qui nourrit notre « âme ». Malheureusement, de nombreux intellectuels aussi adoptent une attitude productiviste et technocrate, particulièrement face à la théologie, aux études bibliques et aux sciences religieuses. Les universitaires disent alors, comme beaucoup d’églises : « la théologie, quossa donne ? » Et du même souffle, les universitaires se demandent pourquoi le fondamentalisme fait de tels ravages intellectuels.
De l’autre côté, les évangéliques ont tendance à se préoccuper davantage de recettes et de trucs de marketing pour évangéliser plutôt qu’à réfléchir au contenu et à l’inculturation de l’Évangile en contexte québécois. Ils se demandent ensuite pourquoi les gens n’acceptent pas cet Évangile qu’on tente de leur vendre comme un dentifrice : « pour une âme plus blanche, achetez Jésus ». Cette attitude contraste nettement avec le travail intellectuel des premiers évangéliques du début du 18e siècle, comme Jonathan Edwards. Pour eux, une composante pleine et entière de la spiritualité était de faire de la théologie (au sens large) et d’avoir un regard réfléchi sur le monde. Les premiers évangéliques cherchaient à développer un regard chrétien sur tous les enjeux de la société et sur les différentes disciplines scientifiques, et ce pour la gloire de Dieu. Mark A. Noll dans son livre The Scandal of the Evangelical Mind déplore l’abandon de ce projet des premiers évangéliques par les dernières générations. Le scandale de la pensée évangélique selon Noll est précisément qu’il n’y a pas de pensée évangélique sur le monde. Il n’y a pas de « philosophie évangélique » ou de « sociologie évangélique » ou d’« histoire évangélique », bien qu’il y ait des évangéliques œuvrant dans ces disciplines.
Nous avons en grande partie cessé de réfléchir pour nous contenter de répéter les réflexions de nos ancêtres spirituels, ce qui crée un décalage entre notre message et les enjeux et problèmes de la société aujourd’hui. Nous n’avons souvent aucune réponse à offrir aux gens concernant les enjeux qui les préoccupent et nous ne participons pas au débat public, à moins qu’il s’agisse de moralité sexuelle, incluant l’avortement et la famille. N’avons-nous rien à dire sur l’environnement, nous qui croyons que Dieu en est le Créateur ? N’avons-nous rien à dire sur la pauvreté, alors que la Bible contient des milliers de références à ce sujet ?
Faire de la théologie en contexte universitaire sert d’une part à contrer le fondamentalisme décrié par les intellectuels qui veulent sortir la théologie de l’université et d’autre part à aider l’Église à définir ce que veut dire être chrétien au 21e siècle. Une foi qui est solide est une foi qui est prête à poser des questions. Et une foi qui pose des questions et qui est donc « théologique » (au sens large) peut mener vers la découverte de richesses insoupçonnées. Sans théologie, l’Église et la spiritualité personnelle se dessèchent et se sclérosent.
jeudi 8 novembre 2007
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8 commentaires:
On peut également voir dans ce désir de sortir la théologie des université une conséquence d'avoir confiné le religieux au privé! La vie religieuse des gens forge leur vision du monde et leurs actions, la religion n'a rien de privé, pas plus que mes gambes et mes bras sont des parties privés de mon corps. L'académie devrait voir les église comme un matériau de la culture, ainsi, elle pourrait avoir un rôle missionnaire contre le fondamentalisme et contribuer à la société par l'épanouissement de la théologie.
D'autre part, la science des religions étudie les différents théologiens, sans qui elle ne pourrait exister, l'académie pourrait percevoir comme prestige de voir «leurs» bons théologiens se faire étudier dans d'autres universités et d'autres pays!
Dominic
Merci Dominic pour ton commentaire.
Bien derien, mais tu peux quand même me dire ce que tu en penses! lol
Haha ! (ou lol si tu préfères). Désolé. En fait, ça m'aiderait si tu reformulais ton commentaire. Je t'ai remercié d'avoir fait un commentaire, mais je ne suis pas certain de ce que tu voulais dire au juste après le premier paragraphe (je suis d'accord avec le premier paragraphe mais je n'ai pas grand chose à y ajouter). Ça avait l'air intéressant, par contre ! Il me fera plaisir de commenter davantage si je comprends mieux.
Bon, ce que j'essaye de dire, c'est que la science des religions n'est rien sans la théologie, car elle étudie les religions en lisant les théologiens (et sociologues et autres). L'académie pourrait être fière de savoir qu'un de ses théologiens gradués soit l'objet d'études dans la science des religions. Si non, ils devront continuer à étudier les théologiens d'autres pays et d'autres facultés.
L'académie est donc très conne de considérer avec mépris la théologie!
Ah ! Je comprends et j'acquiesce entièrement ! Effectivement, sans théologie il n'y aurait pas de sciences des religions. On pourrait même dire qu'il n'y aurait pas vraiment de religion, surtout si on parle de théologie au sens large. Plutôt que d'éliminer la théologie des universités, une société pluraliste qui ne veut pas favoriser une tradition religieuse particulière devrait établir des facultés de théologie incluant des professeurs de différentes traditions. On pourrait justifier sans problème dans une ville comme Montréal d'avoir des facultés de théologie incluant des études islamistes, judaïques, en plus évidemment des études catholiques et protestantes. Toute tradition religieuse se doit d'être examinée de façon critique mais aussi "sympathique", avec un regard de l'intérieur, plutôt que simplement comme un objet d'étude, de l'extérieur.
Désolé encore une fois de ne pas t'avoir suivi. Finalement, en relisant mon commentaire, je pense que tu viens de susciter l'objet d'une nouvelle entrée. Merci pour cette conversation fructueuse, Dominic !
Hey! Tu lèves tôt ce matin! Sa me fait plaisir d'alimenter cette discution, Marc.
Je crois que l'heure de ton blog n'est pas l'heure du Québec!
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