mardi 29 juin 2010

Postquoi ?

Le postmodernisme a remis en question de nombreux excès de la modernité. Il est clair qu'il était nécessaire de rectifier le tir sur certains aspects. En même temps, le retour du pendule ne devrait pas tarder, la réaction à la modernité ayant engendré quelques excès qui lui sont propres et qui, déjà, semblent en voie d'être corrigés ou du moins reconnus. Steve Robitaille, un ami et collègue dont vous pouvez lire le blogue ici, a d'ailleurs rappelé dans un article à paraître que ce ne sont pas tous qui voient dans le postmodernisme (ou dans la postmodernité) la fin de la modernité. Nombreux sont ceux qui parlent d'une autre modernité ou d'une modernité réflexive, consciente de ses problèmes mais toujours résolument moderne. Il est d'ailleurs très difficile de définir positivement le postmodernisme (ou même la postmodernité), de dire ce que c'est plutôt que ce que ce n'est pas (ou ce que cela ne veut pas être). Cela devrait suffire pour reconnaître son caractère provisoire ou du moins inachevé.

Je crois donc qu'il ne faut pas être trop intimidé ou réfractaire au postmodernisme, qui a du bon, mais il est clair qu'il ne faut pas non plus "filtrer le moucheron et avaler le chameau", ou rejeter la modernité pour ses défauts et accepter sans critique la postmodernité, ce que certains semblent enclins à faire (par exemple certains "émergents"). Parmi les propositions postmodernistes qui doivent être questionnées se trouve à mon avis l'impératif consistant à abandonner en bloc les métarécits, ces récits qui visent à expliquer l'intégralité de l'expérience, de la connaissance ou de l'histoire humaines et qui constituent, selon de nombreux postmodernistes s'inspirant de Lyotard, des discours de légitimation, des récits totalisants, au fond des idéologies et des moyens de domination. Il faut plutôt se contenter selon eux de microrécits, des récits "vrais pour une communauté" ou " pour une situation précise".

Bien que Lyotard ne s'attaque pas au christianisme dans sa présentation/critique des métarécits, certains voient dans le christianisme cherchant à expliquer la condition humaine par un récit totalisant (par exemple, l'histoire du salut, qui est une certaine présentation de la foi chrétienne), comme dans la plupart des autres historiographies (mise en récit de l'histoire ou écriture sur l'histoire), un métarécit, une façon d'expliquer de façon totalisante et totalitaire la condition humaine. Le christianisme serait donc "menacé" (ou à tout le moins critiqué) par cette dimension de la postmodernité.

Pour tout dire, je ne suis pas sûr que le québécois (ou l'occidental) moyen, qui n'a pas lu Lyotard, soit si réfractaire aux métarécits : les "vrais postmodernes" (oxymoron?) me semblent minoritaires de ce point de vue. Le québécois moyen est (ou aime se croire) réfractaire au dogmatisme, à une pensée totalisante et totalitaire, mais tous les métarécits ne sont pas forcéments idéologiques (au sens péjoratif du terme). La prétention au sens n'est pas la même que la prétention au monopole de la vérité ou à la vérité exhaustive. Ce n'est pas nécessairement l'imposition de la vérité non plus. Ce n'est pas parce qu'un récit est "englobant" qu'il est dogmatique ou qu'on ne peut reconnaître son caractère incomplet, voire provisoire. Il me semble que la Bible propose véritablement un métarécit, mais largement sur le plan symbolique, et la symbolique, comme l'affirmait si bien récemment le bibliste Marc Girard dans une conversation personnelle, c'est "l'évocation d'un monde dont on ne comprend rien mais qui contient les solutions à tous les problèmes humains". Je ne peux penser à une meilleure façon de voir la Bible et le christianisme.

Je ne suis pas certain que les gens refusent par principe d'adopter un discours ou un récit totalisant : il existe encore de tels récits, mais les gens semblent réfractaires à faire confiance à une autorité comme l'Église pour l'articuler. Ils préfèrent adopter le récit du "troupeau", par exemple le récit du progrès social ("on est rendu là") qui devient parfois intransigeant, totalisant et totalitaire, reléguant au statut d'hommes des cavernes tous ceux qui n'adoptent pas leur récit. Il s'agit clairement d'une prétention à la Vérité et non d'un microrécit pour une communauté précise.

Sur ce, je vais aller manger ma cuisse de mammouth.