jeudi 17 avril 2008

Amos II

Le mensuel mennonite français Christ seul publie au cours des prochains mois une série d'articles sur le prophète Amos, dont le message est toujours d'actualité. On m'a demandé d'y contribuer en écrivant les trois premiers articles de la série. J'ai déjà repris le premier article dans ce blog (voir l'entrée du 25 mars). Voici le deuxième, publié dans le numéro mars 2008 de la revue. Le dernier article suivra sous peu.

Amos et les nations (Am 1,3-2,16)

Les oracles contre les nations

Après une brève introduction, le livre d’Amos énumère une série d’oracles que les biblistes appellent des « oracles contre les nations ». Ces oracles concernent les voisins (souvent ennemis) d’Israël, dont Juda, la patrie d’Amos. Ce type d’oracles n’est pas unique à Amos. On les retrouve par exemple dans Is 9-23 ; 37,21-35 ; Jr 46-51 (voir Jr 25 et remarquer que plusieurs des nations sont les mêmes que dans Am 1-2) ; Ez 25-32 et l’essentiel de Nahum et d’Abdias (voir aussi Nb 24,15-24).

Fonction des oracles

Il n’est pas simple d’expliquer le rôle de tels oracles. Ce n’est vraisemblablement pas pour le bénéfice des nations, qui ne font pas partie de l’auditoire du prophète (mais voir Jr 1,4-5 et Jr 27,2-11). Beaucoup a donc été écrit pour tenter d’expliquer leur raison d’être dans la prédication prophétique.

Les oracles contre les ennemis d’Israël sont souvent vus comme des oracles de salut ou de délivrance pour Israël. Selon certains biblistes, les oracles contre les nations s’expliquent par l’association que certains font entre l’institution prophétique et la guerre. Cette association est particulièrement claire au Proche-Orient ancien, mais elle pourrait aussi avoir existé en Israël (voir 1 R 22 ; 2 R 3,4-19 ; 6,8-7,2). Il faudrait alors voir les oracles contre les nations comme une partie intégrale des rituels associés à la guerre, rituels où le prophète devait proférer des oracles annonçant l’appui de la divinité envers son camp et la destruction de l’ennemi.

La difficulté que crée cette hypothèse est que dans Amos, Juda et Israël comptent au rang de ceux que Dieu châtiera. Les oracles contre les nations ne sont pas suivis d’un oracle de salut pour Israël (et Juda) et ne servent donc visiblement pas à bénir Israël. La forme des oracles contre Juda et Israël est similaire à celle des oracles contre les nations et le reste du livre d’Amos a très peu de bien à annoncer à Israël. En fait, les prophètes « nationalistes » qui condamnent les ennemis d’Israël tout en annonçant le salut du peuple de Dieu sont souvent considérés avec suspicion par les auteurs et prophètes bibliques (voir Jr 23,16-22 ; 27,12-18 ; 28,6-9). Il faut donc chercher ailleurs une explication aux oracles contre les nations dans Amos.

Un dieu inter-national ?

Une autre hypothèse consiste à voir en ces oracles l’indication d’une vision plus large de Yahvé que celle d’un dieu national. Les oracles contre les nations souligneraient alors la souveraineté de Yahvé sur toutes les nations. C’est possible, mais il faut reconnaître que cela est plus clair chez d’autres prophètes que chez Amos (mais voir Am 9,7). En effet, les nations d’Am 1-2 sont toutes des nations qui faisaient anciennement partie de l’Empire de David et Salomon (ou de sa sphère d’influence) et qui étaient donc en principe sous la souveraineté de Yahvé. Il est donc possible qu’Amos voie ces nations comme étant soumises aux exigences de Yahvé à cause de leur association à l’Empire davidique avec lequel Yahvé était en alliance.

Ce qui est sûr, c’est que les oracles contre les nations dans Amos visent en premier lieu à mettre en contexte l’oracle contre Israël, beaucoup plus étendu et placé à la pointe de la série, visiblement pour créer un effet rhétorique. On peut imaginer le peuple comme étant très heureux d’entendre les malédictions contre les autres nations et donc captivé par les mots du prophète, jusqu’à ce qu’Amos annonce que le sort réservé par Dieu à ces nations pour leurs fautes s’appliquera aussi à Israël pour les siennes. La justice de Dieu, qu’on aime bien voir appliquée aux autres, s’applique aussi à nous ! Amos userait en quelque sorte de la même stratégie que Nathan avec David, qui se fait prendre à prononcer lui-même la sentence contre son crime (2 S 12,1-12).

Amos se servirait donc des autres nations pour éveiller le sens de la justice des Israélites avant de retourner cette justice contre eux. D’ailleurs, il y a probablement certains parallèles entre les fautes des Israélites et celles de leurs voisins. Par exemple, une façon de comprendre la faute de Moab est d’avoir brisé l’alliance avec l’Empire davidique en s’en prenant à Edom, un autre vassal d’Israël. Or, l’agression envers un autre vassal était prohibée par les traités d’alliance proche-orientaux. En Israël, l’oppression que des Israélites font subir à leurs concitoyens, autrement dit, à d’autres vassaux de Yahvé, peut être vu comme étant une faute du même type que celle de Moab(1).

Une relecture des oracles contre les nations d’Amos à la lumière de prophètes qui lui ont succédé et de l’enseignement du Nouveau Testament incite certains à y voir une déclaration de la souveraineté de Dieu sur toutes les nations et son juste jugement envers elles. Cependant, la portée théologique de ces oracles était certainement plus limitée à l’origine. On peut néanmoins voir dans ces oracles un correctif utile même pour nous chrétiens pour qui l’accent sur la grâce peut mener à considérer les exigences de Dieu à notre égard comme étant moindres que celles que nous imposons aux autres. Amos nous rappelle que faire partie du peuple de Dieu n’est pas une raison pour être indulgents envers nous-mêmes !

(1) M. BARRÉ, « Amos » dans R. E. BROWN, J. A. FITZMYER, R. E. MURPHY, New Jerome Biblical Commentary, Londres, Geoffrey Chapman, p. 212.

jeudi 3 avril 2008

Suggestion de lecture (encore !)

Je vous invite à lire le dialogue entre un évangélique et un juif concernant l'évangélisation des juifs par des chrétiens.

Un des extraits que j'ai particulièrement aimés est le reproche suivant que fait le juif à l'évangélique : "You want me to trust your love. That is a problem. You are not stapled to your words or your love. Origen, Chrysostom, Eusebius, Augustine, and Aquinas are people who would have never plucked a white hair off the head of an old Jew. They are people who would have walked into the gas chambers with us. But their words did not remain within the province of spiritual and intellectual elites". Cela fait écho au théologien chrétien allemand Dietrich Bonhoeffer qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, a affirmé (je paraphrase de mémoire) "être chrétien aujourd'hui, c'est affirmer que Jésus était un juif". Cela fait aussi un peu écho à une réflexion que j'avais publiée sur ce blog il y a quelques mois sur les premiers chrétiens, plus précisément sur leur irréprochabilité morale aux yeux de la plupart des Romains et le contraste que cela représente avec la perception actuelle qu'ont des chrétiens (particulièrement évangéliques) la plupart de nos contemporains. Comme quoi l'évangélisation doit commencer par incarner le message du Christ dans sa propre vie, ce qui n'est pas une mince affaire.

Suspension de Peter Enns (suite)

Voici un autre article, un peu plus complet, sur la suspension de Peter Enns. L'article contient aussi des liens intéressants, dont une recension du livre par un professeur de l'Evangelical Theological Society, la société savante dont je parlais dans la première entrée sur Peter Enns, société savante où la controverse a éclaté il y a environ deux ans concernant le livre d'Enns. Je tiens à préciser toutefois que la recension du livre ne remplace évidemment en rien la lecture du livre, que je vous recommande à nouveau de lire vous-mêmes pour vous en faire une opinion.