lundi 26 novembre 2007

Les premiers chrétiens

J'ai relu dernièrement des textes anciens d'auteurs païens parlant des chrétiens des premiers siècles. J'ai été interpellé par certains de ces textes, dont un texte de Pline le jeune, haut fonctionnaire romain (consul, puis légat de l'Empereur). Dans la lettre écrite en 111, on lit notamment à propos des chrétiens apostats (qui ont rejeté la foi chrétienne sous la pression romaine) :

Ils affirmaient que toute leur faute, ou leur erreur, s'était bornée à avoir l'habitude de se réunir à jour fixe avant le lever du soleil, de chanter entre eux alternativement un hymne au Christ comme à un dieu, de s'engager par serment non à perpétrer quelque crime mais à ne commettre ni vol, ni brigandage, ni adultère, à ne pas manquer à la parole donnée, à ne pas nier un dépôt réclamé en justice ; ces rites accomplis, ils avaient coutume de se séparer et de se réunir encore pour prendre leur nourriture, qui, quoi qu'on en dise [on accusait les chrétiens de pratiquer le cannibalisme rituel puisqu'ils se réunissaient pour manger de la chair humaine (la chair de Christ)], est ordinaire et innocente ; même cette pratique, ils y avaient renoncé après mon édit par lequel j'avais selon tes instructions interdit les hétairies. (cité dans Les Pères apostoliques, Paris, Cerf, 1991, p. 20).

Ce texte m'a rappelé que les premiers chrétiens, à part lorsqu'on les accusait à tort de méfaits comme le cannibalisme, étaient en réalité habituellement irréprochables. Non pas qu'ils étaient toujours parfaitement moraux (les lettres de Paul, notamment aux Corinthiens, témoignent du fait que tous ne vivent pas selon les standards de la communauté), mais comparés aux autres habitants de l'Empire romain, ils se distinguaient surtout par des comportements jugés positifs. La seule "vraie" faute dont on pouvait les accuser était de ne pas participer au culte romain officiel, soit l'adoration de la déesse Roma, patrone de l'Empire, et de l'Empereur lui-même, ce qui selon les Romains pouvait entraîner des catastrophes puisque les dieux en colère pouvaient ne plus protéger l'Empire. Ce culte officiel était donc un devoir civique que les chrétiens ne pouvaient accomplir pour des raisons évidentes. Cependant, pour le reste les chrétiens étaient en réalité de "bons habitants de l'Empire". C'est d'ailleurs en partie ce qui a fini par pousser de nombreux Romains à se demander s'il était sage de persécuter aussi sévèrement des gens qui ne font pas le mal, encourageant la "légalisation" du christianisme.

Je suis frappé par le contraste avec la situation actuelle où la réputation des chrétiens est en général assez mauvaise en Occident mais pour des raisons complètement différentes. On nous accuse non plus de ne pas faire nos devoirs religieux ou de calomnies, mais de manquer de compassion, de tolérance, d'amour pour les gens. Je ne veux pas dire que les gens ont raison de faire de telles accusations (quoique c'est malheureusement vrai dans certains cas), mais il me semble étrange que nous chrétiens, qui sommes disciples du Christ, ne soyons pas d'abord reconnus pour notre amour mais plutôt pour notre intolérance et notre manque de compassion.

jeudi 22 novembre 2007

Les excuses du cardinal Ouellet

Les excuses du cardinal Ouellet ont suscité beaucoup de réactions au Québec, surtout des réactions négatives. On lui reproche en particulier que ses excuses ne soient pas plus exhaustives et se limitent à certains abus perpétrés par l'Église avant les années 1960s. Il y a pourtant des éléments forts intéressants liés à cet acte de contrition. D'abord, le symbole est important. Tous les Québécois à part certains membres du clergé catholique savaient que l'Église catholique s'est rendue coupable de fautes graves envers les Québécois. La reconnaissance de ce fait par le primat du Canada est un développement important. En fait, le refus de plusieurs Québécois (surtout des Québécois médiatisés pour l'instant) d'y voir un quelconque progrès en dit beaucoup plus sur leur rejet du catholicisme que sur le caractère partiel des excuses du cardinal. Beaucoup de Québécois réagissent de façon irrationnelle lorsqu'il est question de l'Église catholique, ne lui reconnaissant aucun apport positif à la société québécoise et amplifiant ses manquements et ses abus.

Mais comment les protestants québécois devraient-ils réagir, eux, à ces excuses ? Commençons par le plus simple : faut-il rappeler que Jésus nous a demandé de pardonner à nos offenseurs, sans qu'il soit même question qu'ils nous demandent pardon ? Il me semble que les protestants québécois se doivent d'accorder le pardon à l'Église catholique, même si les excuses du cardinal Ouellet ne sont pas des excuses officielles de l'Église catholique entière et même si pardonner n'impliquera pas que nous repartons à zéro, que nous oublions tout et refusons dorénavant de parler des erreurs du passé. Dans toute tentative future de dialogue, une réelle réconciliation devra passer par une discussion franche où les problèmes ne seront pas enfouis sous le tapis, mais où la bonne volonté des partenaires de conversation devra être présente des deux côtés (pour un exemple d'un tel dialogue, voir le lien Rapport du dialogue catholique-mennonite). On peut considérer que les catholiques ont fait un premier pas ici, il me semble.

Un autre élément devrait attirer l'intérêt des protestants. L'archevêque Ouellet affirme qu'il désire un nouveau départ pour le Québec, qu'il désire évangéliser le Québec. Les protestants, du moins les évangéliques, peuvent difficilement être contre le principe. Il faudra peut-être se demander s'il envisage uniquement un retour au catholicisme comme évangélisation adéquate, mais il faut le féliciter de reconnaître la nécessité de porter l'Évangile aux Québécois. Certains diront que cette nécessité saute aux yeux, mais n'oublions pas que le Québec a longtemps été pris pour acquis par l'Église catholique, qui s'est par conséquent permis de considérer de facto comme chrétiens tous ceux qui ne rejetaient pas très clairement l'Église.

Une dernière réflexion. Il est facile de dénoncer les fautes des autres. Or, il faut bien admettre que les protestants n'ont pas toujours fait mieux lorsqu'ils se sont retrouvés dans une position similaire à celle de l'Église catholique au Québec. Les protestants ont, eux aussi, abusé du pouvoir lorsqu'on leur a donné. Plusieurs évangéliques le font d'ailleurs encore aux États-Unis en ce moment. Une des intuitions les plus remarquables des premiers Anabaptistes était justement que, dans un désir de préserver la pureté de l'Église, il fallait se garder d'y inclure par défaut tous les habitants du pays pour favoriser la libre adhésion à l'Église et la séparation de l'Église et de l'État. L'Église pouvait ainsi exiger davantage de ses membres (notamment du point de vue éthique) et devait chercher à être l'incarnation d'une alternative à la société. L'Église devait donc jouer un rôle prophétique dans la société. Les autres protestants y ont vu une menace et ont persécuté les Anabaptistes. De leur côté, les Anabaptistes ont accepté éventuellement (en échange de la fin des persécutions) de renoncer à leur rôle prophétique et de se réfugier dans le confort de sociétés parallèles.

L'Église qui est au pouvoir aura toujours de grandes difficultés à rester fidèle à l'Évangile, particulièrement au Sermon sur la montagne, et elle aura certainement des comptes à rendre pour ses abus de pouvoir. D'un autre côté, l'Église qui renonce officiellement au pouvoir et accepte un rôle "prophétique" doit quant à elle prendre garde de ne pas se laisser récupérer par le pouvoir d'une part (voir 1 R 22) et d'autre part de ne pas cesser de prêcher l'Évangile lorsque le prix à payer devient trop grand.

mardi 20 novembre 2007

La théologie, quossa donne ? - part II

Dans l’entrée du 8 novembre (« La théologie, quossa donne ? »), je constatais que les théologiens et l’Église se négligent mutuellement. J’offrais un très bref plaidoyer en faveur de la théologie en recadrant l’aversion de plusieurs églises et chrétiens à la théologie dans un cadre plus large, soit l’utilitarisme et la technocratie de notre société. Je devrai revenir bientôt sur l’autre partie du problème, soit la négligence de l’Église par les théologiens. Pour l’instant, je voulais revenir à un élément auquel j’ai seulement fait allusion dans cette entrée, soit le fait que la théologie est remise en question non seulement par l’Église, mais aussi par le monde universitaire. En effet, de nombreux universitaires voudraient bien voir la fin des études théologiques en contexte universitaire pour ne conserver que les sciences des religions, qui étudient (simplifions un peu ici) les religions de l’extérieur comme objet et en les mettant à égalité, sans s’inscrire dans une tradition religieuse particulière comme c’est toujours le cas en théologie. Le religiologue peut être athée sans que cela pose problème, alors que c’est beaucoup plus difficile en théologie. L’argument principal des « abolitionnistes » est (en gros) que les sciences des religions sont plus objectives et donc scientifiques et universitaires que la théologie, qui favorise toujours une tradition religieuse particulière et n’a donc pas de place dans une université pluraliste et laïque. Certains voient même les théologiens comme des « suppôts » de l’Église qui veulent diffuser sa « propagande » anti-scientifique, d’où la tendance de plusieurs théologiens universitaires de se distancer à outrance de l’Église et de la tradition chrétienne pour avoir l’air le plus « objectif » possible.

Ma réflexion sur le sujet n’est pas encore très élaborée, mais j’aimerais vous soumettre en quelques mots une alternative à l’abolition de la théologie universitaire, alternative que j’entrevois mais qui doit être testée et peaufinée. J’inviterais donc vos commentaires et critiques (respectueuses si possible) afin que je puisse raffiner ce concept encore à l’état de brouillon dans ma tête. Il ne s’agit donc pas de ma position finale sur le sujet mais d’une exploration. Il est clair que cette position s’applique au contexte québécois, les situations aux États-Unis ou en France (par exemples) étant très différentes.

Il me semble qu’il est possible de justifier la place de la théologie à l’université aux côtés des sciences religieuses, et ce même dans un contexte pluraliste et laïc. La théologie en contexte universitaire est utile d’abord à l’Église et aux divers groupes religieux, mais aussi à l’université et à la société. Tout d’abord, il est clair que l’abolition de la théologie universitaire au Québec aurait des effets négatifs sur l’Église puisque la théologie ne se ferait plus que dans les églises ou dans des écoles qui développeraient rapidement le réflexe (ou plutôt amplifieraient leur tendance) consistant à produire une théologie « prête-à-consommer », pragmatique, pour utilisation « à l’interne » et sans désir réel de dialogue avec le monde académique et la société élargie. Toute tradition religieuse se doit d’être examinée de façon critique mais aussi « sympathique », avec un regard à partir de l’intérieur, plutôt que simplement de l’extérieur, comme un objet d’étude. Les sciences religieuses ne peuvent accomplir ce service, qui est utile non seulement pour l’Église, mais aussi pour la société puisque l’Église (et les religions) sans regard critique sur elle(s)-même(s) tomberont à coup sûr dans le fondamentalisme, ce qui ne sert guère l’intérêt public. Quelqu’un qui n’a pas la foi peut étudier le « phénomène » de la foi et ses expressions, mais son discours est forcément différent du théologien et ce discours sera probablement encore moins bien reçu par le croyant que le discours du théologien. En fait, et pour le dire de façon crue, sans théologie (au sens large, pas seulement comme discipline académique) il n’y aurait même pas de sciences des religions (et en fait il n’y aurait pas de religion non plus), puisque le religiologue n’aurait plus d’objet d’étude.

Dans notre contexte pluraliste et laïc, si nous ne voulons pas favoriser une tradition religieuse particulière, il faudrait peut-être envisager élargir le mandat des facultés de théologie universitaires plutôt que les abolir ou les transformer en départements de sciences religieuses. On pourrait justifier sans problème dans une ville cosmopolite comme Montréal que les facultés de théologie incluent des études islamiques et judaïques, en plus évidemment des études catholiques et protestantes. Introduire la théologie musulmane dans certaines universités québécoises serait un symbole mal perçu par plusieurs, mais il faut rappeler que nombreux sont ceux qui estiment que les musulmans doivent travailler à se sortir du fondamentalisme en repensant l’Islam en contexte de modernité. Or, souvent ces mêmes personnes ne veulent pas que les musulmans fassent de la théologie musulmane en contexte universitaire. Comment comptons-nous alors leur permettre d’accomplir l’exploit de porter un regard critique et académique sur leur tradition si nous laissons la théologie musulmane se faire uniquement dans les mosquées et que nous laissons l’étude académique de l’Islam se faire surtout par des religiologues d’arrière-plan catholique ? Il me semble que toute la société bénéficierait d’une refonte et d’un recadrage théologique de l’Islam qui offrirait une alternative au fondamentalisme. Qui de mieux pour faire une telle refonte qu’un théologien musulman ?

La laïcité ne doit pas forcément conduire au sécularisme, où la religion est expurgée entièrement de la sphère publique. Elle doit plutôt permettre la cohabitation entre citoyens d’arrière-plans différents en favorisant des échanges, incluant des échanges théologiques, plutôt qu’en leur demandant de cacher ce qui les distinguent les uns des autres.

lundi 19 novembre 2007

À propos de l'anabaptisme

Certains d'entre vous auront remarqué que le titre du blog et la plupart de mes liens font référence à la tradition anabaptiste. Il s'agit de ma tradition théologique, soit anabaptiste-évangélique. J'en parlerai de temps à autre plus explicitement, mais cette tradition, sans dominer ma réflexion, teinte toute ma pensée. Il vaut donc mieux en dire déjà quelques mots.

Il y a plusieurs traditions en lien avec le mouvement évangélique, dont les traditions réformée (calviniste), wesleyenne, mais aussi anabaptiste. Cette réalité est parfois obscurcie au Québec par le fait que la grande majorité des églises évangéliques ici (à part plusieurs églises charismatiques) sont de tradition réformée (calviniste). L'anabaptisme est toutefois une branche importante du mouvement évangélique dans d'autres pays ou même dans l'ouest canadien. Ce ne sont pas tous les Anabaptistes qui sont évangéliques, tout comme ce ne sont pas tous les Réformés ou les Wesleyens qui le sont. L'anabaptisme trouve ses origines dans les premières années de la Réforme. Il s'agit d'une forme particulière (souvent appelée "radicale") de la Réforme, caractérisée par certains traits théologiques à l'origine propres aux Anabaptistes, comme par exemple le pacifisme, le baptême des professants ou la séparation entre l'Église et l'État.

Si vous avez consulté mon profil personnel, vous savez que je suis co-directeur avec Steve Robitaille, chargé de cours à l'École de théologie évangélique de Montréal (voir lien theobeing pour son blog) du Centre d'études anabaptistes de Montréal (CÉAM). Le CÉAM est une initiative de l'organisation para-ecclésiastique appelée le Comité central mennonite (section Québec, voir lien) et de l’École de théologie évangélique de Montréal (voir lien), où je suis professeur. Le CÉAM a pour mission de favoriser le développement et la diffusion d'une théologie anabaptiste québécoise au moyen notamment de la publication, de la mise sur pied de colloques et de conférences académiques et grand public, de la création d'un site web ainsi que de l'acquisition d'une collection spécialisée d'ouvrages anabaptistes.

Le 6 septembre 2007 a eu lieu le lancement du Centre. Pour l’occasion, Steve et moi avons exposé la mission du Centre et
Neal Blough, directeur du Centre mennonite de Paris (voir lien) et théologien réputé, a donné une conférence fort appréciée dans laquelle il a souligné l’importance de développer une théologie anabaptiste francophone et urbaine en dialogue avec les autres traditions chrétiennes. C'est justement la vision que Steve et moi avons pour le Centre et pour la théologie anabaptiste.

Le Centre d’études anabaptistes de Montréal est donc un centre anabaptiste, mais ce ne sera pas seulement un Centre où on exposera la théologie et l’histoire anabaptiste. Après tout, l’anabaptisme était à l’origine, au début de la Réforme, une remise en question souvent radicale du statu quo, des pouvoirs établis et des traditions. Il serait donc étrange d’ériger l’anabaptisme en nouvelle tradition intouchable, qu’on ne peut questionner. Le Centre sera plutôt un lieu où nous partirons de la tradition anabaptiste pour faire de la théologie et des études bibliques avec un regard posé sur la situation québécoise, tout en recherchant le dialogue avec les autres traditions chrétiennes, notamment les traditions évangéliques non-anabaptistes et les traditions catholiques, avec lesquelles nous sommes naturellement en lien.

Ce dialogue m’apparaît fondamental pour favoriser l’unité de l’Église du Christ, mais aussi parce que, à mon avis, la théologie anabaptiste est une voix qui doit être entendue par l’Église universelle à différentes époques. Non pas que la théologie anabaptiste soit la reine des théologies. Mais ses accents constituent des rappels importants, voire parfois des correctifs aux autres théologies chrétiennes. Dans le grand « buffet » que sont devenus la théologie chrétienne et le christianisme, l’anabaptisme doit avoir sa place pour assurer un « repas équilibré ». Je ne suis pas sûr s’il faut considérer la théologie anabaptiste comme une entrée, un dessert, une salade ou une soupe, mais sans elle la théologie chrétienne serait un repas appauvri.

Parmi les accents fondamentaux de la théologie anabaptiste, je n’en rappellerai pour l'instant qu’un seul, présent déjà chez les premiers Anabaptistes il y a 500 ans, soit l’appel radical lancé à chacun de suivre le Christ, et non pas seulement de rechercher l’orthodoxie ou la défendre, notamment en utilisant les moyens de l’État. À une époque où la fidélité à Dieu se résume souvent à défendre l’orthodoxie ou à défendre la Bible ou alors à condamner les comportements sociaux jugés immoraux, voire à tenter de légiférer pour les interdire, la parole du Christ : « toi, suis-moi » est plus actuelle que jamais. Les premiers anabaptistes ont été prêts à donner leur vie pour ce message. Qu’il puisse inspirer l’Église de Dieu encore aujourd’hui.

lundi 12 novembre 2007

Suggestion musicale

Une petite note pour vous suggérer un DC fort intéressant. Il s'agit de l'album "Theology" de Sinéad O'Connor. Je vous le conseille surtout pour vous permettre d'entendre des interprétations musicales nouvelles de passages bibliques. La "théologie" (justement) de certaines des autres compositions (originales) est assez vaguement biblique, mais le DC demeure très inspirant. Même les vers aux énoncés "théologiques" un peu carrés comme "Si Dieu vivait sur Terre, les gens briseraient ses fenêtres", sans être du Thomas d'Aquin, contiennent certains éléments de réflexion.

Si vous choisissez d'acheter seulement quelques chansons du DC (par exemple sur iTunes), je vous conseille de commencer par If You Had A Vineyard, inspiré notamment d'Is 5, un des plus beaux textes prophétiques de l'Ancien Testament, ou alors The Glory of Jah, Something Beautiful, Out Of The Depths, 33 ou Dark I Am Yet Lovely, inspiré du Cantique des cantiques, un livre biblique trop souvent négligé. Toutes ces chansons sont à mon avis meilleures dans leur version plus dépouillée enregistrée à Dublin que dans la version enregistrée à Londres.

samedi 10 novembre 2007

Yahvé, Dieu de la délivrance ou du quotidien ?

La spécialisation des dieux
Une des choses qui surprennent le plus le lecteur moderne de l’Ancien Testament, c’est l’habitude tenace des Israélites d’adorer d’autres dieux que Yahvé. Il s’agit d’un comportement qui est attesté un peu partout dans l’Ancien Testament. Au 9e siècle par exemple, à l’époque du prophète Élie, les Israélites adoraient en plus de Yahvé un des dieux phéniciens, Baal, un dieu associé à la pluie et à la fertilité. Les Israélites étaient tentés d’adorer Baal non seulement à cause de l’alliance qu’ils avaient avec les Phéniciens, mais aussi parce que l’adoration d’un dieu qui accorde la pluie et la fertilité ne « pouvait pas faire de tort » aux récoltes. En effet, les dieux de l’Antiquité étaient des dieux « spécialistes » qui s’occupaient chacun d’un domaine particulier. En cas de problème, on devait faire appel au dieu approprié, celui qui avait juridiction sur ce problème. Or, les Israélites percevaient surtout Yahvé comme le dieu spécialiste de la délivrance, le dieu de la sortie d’Égypte. C’est même souvent comme ça qu’il est désigné : « Voici ton Dieu qui t’a fait monter du pays d’Égypte » (Ex 32,4 ; 1 R 12,28 ; voir aussi Jr 2,6 ; 31,32 ; etc.). Pour les récoltes, on pensait souvent qu’il valait mieux faire appel à Baal.

1 R 17 raconte que le prophète Élie annonce (et même provoque) une sécheresse sur Israël. Élie affirme que la fin de la sécheresse n’aura lieu qu’à sa parole. Élie ne fait pas que prédire le malheur et il n’envoie pas la sécheresse simplement pour punir les Israélites de leur infidélité envers Yahvé. Sa prophétie a pour but d’enseigner les Israélites : alors que ceux-ci croient que Baal envoie la pluie et bénit les récoltes, la sécheresse démontre l’impuissance de Baal et la puissance de Yahvé, qui est celui qui a juridiction sur la pluie et celui qui donne aux Israélites ce dont ils ont besoin. On aura beau adorer Baal pendant tout ce temps de sécheresse : la pluie ne tombera pas. Il s’agit donc d’une démonstration pratique.

Puis la parole de Yahvé est adressée à Élie et Yahvé demande à Élie de quitter le pays et d’aller se cacher au torrent de Kerit, où Yahvé va nourrir Élie par l’entremise de corbeaux. Le texte raconte que c’est Yahvé qui pourvoit aux besoins d’Élie, et que c’est celui qui se soumet à Yahvé qui peut recevoir la nourriture, alors que ceux qui adorent Baal en Israël subissent la sécheresse et la famine. En plus de l’eau du torrent, Yahvé donne à Élie du pain le matin et de la viande le soir, exactement comme Yahvé a nourri le peuple au désert durant l’Exode en leur donnant du pain le matin et de la viande le soir (Ex 16,8.12).

Lorsque les eaux du torrent Kerit tarissent, la parole de Yahvé est de nouveau adressée à Élie et Yahvé demande à Élie d’aller près de Sidon, chez les Phéniciens. Là-bas, Yahvé va pourvoir aux besoins d’Élie par l’entremise d’une veuve. Or, la veuve subit elle aussi la sécheresse et elle n’a presque plus rien à manger. Mais selon la parole de Yahvé, la cruche d’huile ne se vide pas et la jarre de farine ne s’épuise pas. Ce miracle rappelle aussi celui de la manne dans le désert (Ex 16). Par ces deux références à l’Exode, le livre des Rois nous rappelle que Yahvé, le Dieu de la sortie d’Égypte, le Dieu de la délivrance, est aussi le Dieu qui a pourvu aux besoins du peuple (notamment en nourriture et en eau) dans le désert. Il ne doit donc pas être réduit à sa « spécialité », la délivrance.

La parole de Yahvé, mentionnée à plusieurs reprises dans le texte (17,1.2.8.14.16), annonce la prospérité. Après la résurrection de son fils par Élie, la veuve reconnaît la valeur de la parole de Yahvé et dit : « maintenant je sais que tu es un homme de Dieu et que la parole de Yahvé dans ta bouche est vérité » (v. 24). C’est donc une veuve phénicienne qui reconnaît la validité du ministère prophétique d'Élie et la véracité de sa parole, donc que Yahvé pourvoit à ses besoins quotidiens, alors que le peuple d’Israël, qui a une alliance avec Yahvé, adore Baal, un dieu phénicien, pour ses besoins quotidiens (la fertilité). Quelle ironie !

La délivrance dans le christianisme
Le christianisme a repris sans hésitation la notion de Yahvé comme Dieu de la délivrance et du salut. Depuis, on vient souvent à Dieu pour le salut, qu’il s’agisse du salut de notre « âme » ou de la délivrance du péché ou des difficultés de la vie. Par conséquent, on accorde volontiers à Dieu la juridiction sur la délivrance, mais pas nécessairement sur les affaires quotidiennes. Dans la gestion de son argent ou dans son comportement au travail, en famille ou en voiture sur la route, on estime souvent en pratique que Dieu est hors de sa juridiction. De même, notre société exige que l’on garde la religion et la spiritualité dans la sphère privée, regardant avec méfiance toute mention ou intrusion du religieux dans la sphère publique. Cette attitude relève de l’absurde ou d’une forme de schizophrénie : je vais adorer chez moi ou à l’église le Dieu qui demande qu’on s’occupe des pauvres et des opprimés mais je ne vais rien faire moi-même ni rien exiger de ma société pour améliorer le sort des pauvres et des opprimés ! Une telle religion ressemble dangereusement au baalisme, qui n’exigeait de ses adorants qu’un culte (prières, sacrifices, etc.), sans aucun égard pour le comportement en société. J’en reparlerai dans une prochaine entrée.

Or, l’histoire d’Élie montre l’importance de soumettre à Dieu toutes les sphères de notre existence. Selon Élie, Dieu n’est pas seulement le dieu de la délivrance : il est aussi le dieu du quotidien. Il faut donc faire confiance à Yahvé pour tous les aspects de notre vie, et il faut accepter sa souveraineté sur toutes les sphères de notre vie. Cela veut dire en particulier vivre toute sa vie selon les principes éthiques exigeants donnés par Dieu dans la Bible, notamment dans le Nouveau Testament. Jésus dans les Évangiles appelle les gens à le suivre, à devenir ses disciples, donc à conformer leur vie à son enseignement. Il ne demande pas seulement aux gens de venir à lui pour « être sauvés ». La conversion, ce n’est pas seulement se tourner vers Dieu pour qu’il sauve notre « âme » : c’est d’abord reconnaître sa souveraineté dans nos vies, ce qui nécessairement implique que nous devons agir différemment par la suite.

Notre monde a grand besoin de personnes qui font preuve d’intégrité, des gens qui intègrent ce qu’ils croient et ce qu’ils sont, qui intègrent ce qu’ils pensent et ce qu’ils font, pour être la même personne dans tous les domaines de leur vie. Notre monde a besoin de gens qui font de Dieu non seulement le Dieu du salut, mais aussi celui du quotidien, le Dieu de la famille, le Dieu de la communauté, le Dieu du corps, le Dieu de l’esprit (de l’intellect), le Dieu de l’environnement, le Dieu de l’abondance, le Dieu de l’économie, le Dieu de toute la création. Réduire Dieu à la délivrance, c’est rejeter sa souveraineté sur tout le reste de sa création.

(article paru sous une forme lègèrement modifiée dans Le Lien 22/3 Mai-Juin 2005)

jeudi 8 novembre 2007

La théologie, quossa donne ?

Steve Robitaille a récemment souligné sur son blogue que les théologiens et l’Église se négligent mutuellement. Il a malheureusement raison. J'ajouterais seulement en défense de l'Église (que je n’excuse pas pour autant) que la situation relève d’un phénomène plus vaste. Notre société utilitariste et technocrate néglige la réflexion en faveur de la production. Les gens demandent : « pourquoi étudier en histoire (ou en sociologie, en littérature, en philosophie, en anthropologie, en arts, etc.), y’a même pas d’job dans çâ ? » L'ingénierie, la médecine, les affaires, la technique (etc.), voilà les disciplines utiles ! La réforme scolaire (ou plutôt les réformes scolaires successives) au Québec illustre cette attitude technocrate et utilitariste : pourquoi connaître quand on peut « compéter » ? L'école (incluant malheureusement l'université) ne sert pas à se cultiver ou à apprendre à réfléchir mais à former la main-d'oeuvre. « L'apprenant » qu'est devenu l'élève doit même créer ses propres règles grammaticales et syntaxiques (et évidemment son « aurttograffe ») plutôt que de devoir bêtement apprendre les conventions en usage. Consolons-nous : cette approche permettra d'engendrer la prochaine génération de « lofteurs » pour remplir la grille horaire de TQS.

On oublie que la technique et les affaires, aussi nobles soient-elles, existent d’abord pour soutenir la civilisation et la vie modernes. La culture et la civilisation sont constituées d'abord (mais non exclusivement) justement des choses négligées en technocratie, comme l’art, la littérature, la spiritualité, la musique. Les connaissances techniques ne sont qu’une composante de la culture, bien qu'elles aient plein droit d'y prendre place. Même la science et la culture scientifique, qui satisfont pourtant mieux que la technique la soif de l’humain de comprendre son monde, arrivent rarement à donner un sens à ce monde. Pour beaucoup d’entre nous, c’est davantage dans les arts, la littérature, la musique, le cinéma, la religion et/ou la spiritualité (incluant la théologie au sens large et la théologie comme discipline académique) qu’on trouve ce qui nourrit notre « âme ». Malheureusement, de nombreux intellectuels aussi adoptent une attitude productiviste et technocrate, particulièrement face à la théologie, aux études bibliques et aux sciences religieuses. Les universitaires disent alors, comme beaucoup d’églises : « la théologie, quossa donne ? » Et du même souffle, les universitaires se demandent pourquoi le fondamentalisme fait de tels ravages intellectuels.

De l’autre côté, les évangéliques ont tendance à se préoccuper davantage de recettes et de trucs de marketing pour évangéliser plutôt qu’à réfléchir au contenu et à l’inculturation de l’Évangile en contexte québécois. Ils se demandent ensuite pourquoi les gens n’acceptent pas cet Évangile qu’on tente de leur vendre comme un dentifrice : « pour une âme plus blanche, achetez Jésus ». Cette attitude contraste nettement avec le travail intellectuel des premiers évangéliques du début du 18e siècle, comme Jonathan Edwards. Pour eux, une composante pleine et entière de la spiritualité était de faire de la théologie (au sens large) et d’avoir un regard réfléchi sur le monde. Les premiers évangéliques cherchaient à développer un regard chrétien sur tous les enjeux de la société et sur les différentes disciplines scientifiques, et ce pour la gloire de Dieu. Mark A. Noll dans son livre The Scandal of the Evangelical Mind déplore l’abandon de ce projet des premiers évangéliques par les dernières générations. Le scandale de la pensée évangélique selon Noll est précisément qu’il n’y a pas de pensée évangélique sur le monde. Il n’y a pas de « philosophie évangélique » ou de « sociologie évangélique » ou d’« histoire évangélique », bien qu’il y ait des évangéliques œuvrant dans ces disciplines.

Nous avons en grande partie cessé de réfléchir pour nous contenter de répéter les réflexions de nos ancêtres spirituels, ce qui crée un décalage entre notre message et les enjeux et problèmes de la société aujourd’hui. Nous n’avons souvent aucune réponse à offrir aux gens concernant les enjeux qui les préoccupent et nous ne participons pas au débat public, à moins qu’il s’agisse de moralité sexuelle, incluant l’avortement et la famille. N’avons-nous rien à dire sur l’environnement, nous qui croyons que Dieu en est le Créateur ? N’avons-nous rien à dire sur la pauvreté, alors que la Bible contient des milliers de références à ce sujet ?

Faire de la théologie en contexte universitaire sert d’une part à contrer le fondamentalisme décrié par les intellectuels qui veulent sortir la théologie de l’université et d’autre part à aider l’Église à définir ce que veut dire être chrétien au 21e siècle. Une foi qui est solide est une foi qui est prête à poser des questions. Et une foi qui pose des questions et qui est donc « théologique » (au sens large) peut mener vers la découverte de richesses insoupçonnées. Sans théologie, l’Église et la spiritualité personnelle se dessèchent et se sclérosent.

mercredi 7 novembre 2007

Les leçons de l'histoire

La Bible et l’histoire
Le genre littéraire le plus utilisé dans la Bible est le récit et une bonne partie des récits bibliques nous racontent l’histoire d’Israël. Il est un peu étrange que la Bible, le guide spirituel du chrétien, mette autant l’accent sur l’histoire, une dimension de l’existence humaine qui peut paraître plutôt « mondaine » et sans grande valeur pour la foi. D’un bout à l’autre de la Bible pourtant, une conviction profonde est communiquée : Dieu est un Dieu de l’Histoire, un Dieu qui agit dans l’histoire humaine et même un Dieu qui se révèle à travers cette histoire.

Si Dieu se révèle à travers l’histoire, il n’en demeure pas moins que celle-ci doit être interprétée pour nous permettre d’en comprendre le sens. Après tout, un même événement peut vouloir dire des choses bien différentes d’une personne à l’autre. Les Israélites, face à l’événement que constitue la sortie d’Égypte et la fin de l’esclavage, ne craignent-ils pas que Dieu les ait libérés pour pouvoir mieux les faire mourir dans le désert (Ex 14,11-12 ; 16,3) ? Un événement n’est donc pas en lui-même une révélation sur Dieu. Il nécessite une interprétation, une explication, ce que fait justement le livre de l’Exode qui décrit la sortie d’Égypte comme un acte libérateur de Yahvé en faveur de son peuple.

L’histoire d’Israël qui est rapportée dans l’Ancien Testament est précisément une histoire expliquée, interprétée. Il ne s’agit donc pas simplement d’un condensé des événements marquants de l’histoire d’Israël mais bien d’un exposé théologique sur le sens qu’on doit leur attribuer.

La théologie deutéronomiste
Or, une bonne partie de l’histoire d’Israël est expliquée à l’aide de la théologie de l’alliance qu’on retrouve dans le Deutéronome, en particulier dans Dt 30. Dans ce chapitre, qui parle de la nécessité d’être fidèle à l’alliance avec Dieu, Dieu dit :

je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le
malheur (…) c’est la vie et la mort que j’ai mises devant vous, c’est la
bénédiction et la malédiction. Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi
et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix
et en t’attachant à lui. C’est ainsi que tu vivras et que tu prolongeras
tes jours, en habitant sur la terre que le Seigneur a juré de donner à tes
pères Abraham, Isaac et Jacob (v.15-20, TOB).

Cette théologie du choix, typique du Deutéronome et qu’on appelle donc la « théologie deutéronomiste », sert de perspective théologique ou de grille d’interprétation de l’histoire pour les livres historiques de Josué, Juges, (1 et 2) Samuel et (1 et 2) Rois. Ces livres, qu’on désigne collectivement (et logiquement) sous le nom d’« Histoire deutéronomiste », insistent sur le fait que l’histoire d’Israël, dans ses revers et ses succès, s’explique par la fidélité à l’alliance puisque la sécurité et la prospérité du peuple sont uniquement le don gratuit de Dieu. Par conséquent, lorsque le peuple abandonne Dieu et est laissé à lui-même, il ne peut que s’attendre au malheur.

C’est pour cela que l’on insiste au début de chaque règne dans le livre des Rois sur l’évaluation « théologique » du roi : « il fit ce qui est mal (ou droit) aux yeux de Yahvé ». C’est cette évaluation qui compte aux yeux de l’auteur du livre des Rois davantage que les « accomplissements » du roi.

Une nuance doit être faite ici. La théologie de l’alliance ne prétend pas que Dieu bénit le peuple parce qu’il est fidèle à l’alliance, autrement dit parce que le peuple le « mérite ». Au contraire, l’alliance comme les bénéfices qui y sont associés (la délivrance des ennemis, par exemple lors de la sortie d’Égypte, ou le don de la terre promise aux Patriarches) sont des dons gratuits de Dieu. Pour pouvoir conserver ces dons cependant, Israël doit demeurer attaché à Dieu et doit rester fidèle à l’alliance. La sainteté de Dieu exige que le peuple se comporte d’une façon digne de lui, par exemple en n’exploitant pas les pauvres et en pratiquant la justice. Sinon, la communion avec Dieu est rompue. La « loi » (terme trop étroit pour traduire le mot hébreu torah, qui veut davantage dire « enseignement ») est donc non pas une façon de gagner la faveur de Dieu mais plutôt l’expression de l’amour et de la fidélité envers Dieu, l’expression du désir de demeurer en communion avec lui.
Les livres de « l’Histoire deutéronomiste » (Josué, Juges, Samuel et Rois) présentent donc l’histoire d’Israël à partir du schéma suivant :

infidélité à l’alliance ⇒ jugement (invasion d’ennemis)
repentance (ou fidélité à l’alliance) ⇒ délivrance et bénédiction

C’est ainsi qu’on explique en particulier le plus grand malheur de l’histoire d’Israël, la destruction des royaumes d’Israël et de Juda, suivie de l’exil de leurs populations. Ces événements dramatiques (il s’agit après tout de conquêtes sanglantes et de déportations de populations) sont expliqués par l’accumulation des fautes du peuple de Dieu et la rupture de l’alliance (lire en particulier 2 R 17,5-23 ; 21,10-16 ; 24,20).

Le but de(s) l’auteur(s) de l’Histoire deutéronomiste est de faire comprendre à ses lecteurs, qui vivent pendant ou après l’exil de Juda à Babylone, quelle est la cause de leurs malheurs. Face à ces malheurs, certains pensaient que Dieu avait abandonné son peuple ou qu’il ne se souciait pas de son sort (Ez 8,12 ; 9,9) ou même que Dieu avait été défait par Marduk, le dieu de Babylone. Or, la théologie deutéronomiste insiste sur le fait que les malheurs d’Israël ne sont pas dus à l’impuissance ou à l’indifférence de Dieu mais aux fautes d’Israël.

Malgré les apparences, il s’agit d’une bonne nouvelle. Dieu n’a pas abandonné son peuple, même dans le jugement que constitue l’exil. Le jugement pour les fautes a déjà eu lieu, le peuple peut espérer une amélioration de son sort s’il retourne à Dieu et se repent.

Une leçon pour aujourd’hui
La théologie deutéronomiste insiste beaucoup sur la responsabilité humaine. Elle nous rappelle que le malheur des humains peut être dû à leurs mauvais choix. Ce principe est d’ailleurs reconnu dans la sagesse populaire de la plupart des peuples comme le montrent les proverbes populaires du genre « Quand on crache en l’air, ça finit par nous retomber sur le nez ». La théologie deutéronomiste devrait nous responsabiliser dans nos choix en nous évitant d’imaginer que la grâce de Dieu est une « gomme à effacer » qui annule les conséquences des fautes et des mauvais choix.

Il ne faut toutefois pas faire de ce principe une loi absolue expliquant tous les malheurs. La Bible elle-même nous donne d’ailleurs des exemples de personnes fidèles à Dieu qui ont pourtant connu le malheur précisément à cause de leur fidélité (comme Jérémie ou Jésus). Et même lorsque le malheur est dû à nos mauvais choix, la Bible nous rappelle que Dieu ne nous abandonnera pas seuls à notre sort.

(article paru dans Le Lien 23/2, Mars-Avril 2006)

mardi 6 novembre 2007

Évangile et culture

On a souvent compris, avec raison, le récit de la visite de Paul à Athènes (Ac 17,16-34) comme un texte encourageant le chrétien à évangéliser en utilisant un vocabulaire et des exemples compréhensibles pour son auditoire. Après tout, Paul ne part-il pas d’un autel idolâtre pour expliquer l’Évangile du Dieu invisible ? Ce récit nous apprend toutefois bien davantage qu’un « truc » d’évangélisation. En fait, ce passage illustre une réalité fondamentale de l’Évangile, soit son incarnation dans la culture.

Paul et la culture grecque
Il faut d’abord constater que le récit souligne que Paul est choqué de voir l’idolâtrie des Athéniens. Paul n’accepte donc pas la culture grecque en bloc, mais il ne la rejette pas sommairement non plus. Au contraire, il utilise ce que les Athéniens valorisent, soit les penseurs, poètes et philosophes grecs, pour leur expliquer l’Évangile. Il cite entre autres le poète grec Épiménide et le poète sicilien Aratos (v. 28). L’épisode à Athènes n’est pas exceptionnel. Paul, l’apôtre des Grecs, cite ou fait allusion à des auteurs grecs à plusieurs reprises dans ses lettres. Par exemple, il cite à nouveau le poète Épiménide dans Tt 1,12-13 et le poète Ménandre dans 1 Co 15,33. Paul n’utilise pas ici ces citations pour attirer l’attention des païens pour les évangéliser : il enseigne des chrétiens par ces paroles qu’il juge vraies. De même, les autres auteurs du Nouveau Testament citent ou font allusion très souvent à des auteurs païens ou juifs. Il y aurait ainsi plus d’une centaine de citations et allusions dans le Nouveau Testament à des écrits non bibliques. Les auteurs du Nouveau Testament interagissent donc d’une façon critique par rapport aux cultures juive et grecque, en y trouvant des vérités et des points de contact avec l’Évangile.

L’incarnation de la Bible
En fait, la Bible a été profondément modelée par les mondes dans lesquels elle est née. Qu’on pense seulement aux langues choisies pour l’écrire. Au Moyen-Âge, on pensait que l’hébreu était une langue divine. En réalité, l’hébreu est une langue ordinaire utilisée pour écrire l’Ancien Testament simplement parce que c’était la langue des Israélites. De même, le grec du Nouveau Testament est le grec commun utilisé dans l’est de l’Empire romain au 1er siècle. Ce n’est pas le grec des philosophes qui a été choisi pour formuler l’Évangile dans la langue la plus « raffinée » et précise de l’Antiquité.

Cette adaptation à la culture va d’ailleurs beaucoup plus loin que la langue dans la Bible. Les institutions de l’Ancien Testament, comme les sacrifices ou le temple, existaient chez les voisins d’Israël. Même l’Alliance entre Dieu et Israël est une forme de relation qui était très répandue à l’époque. C’est justement pour ça que Dieu a utilisé ces institutions : les Israélites les comprenaient. On note toutefois que Dieu a modifié certains éléments qui pouvaient causer problème, par exemple en précisant que les sacrifices devaient être l’expression d’une attitude du cœur (gratitude, repentance, etc.) et n’étaient pas efficaces en eux-mêmes.

Le fait que Jésus, Dieu incarné, soit devenu un Juif, un être qui parlait une langue donnée dans une culture précise, portant les vêtements, mangeant la nourriture et dansant les danses des Juifs de son temps est bien sûr l’indice ultime de l’incarnation de la Parole de Dieu dans la culture.

L’incarnation de l’Évangile
L’interaction critique avec la culture s’est poursuivie tout au long de l’histoire de l’Église. L’Église s’est toujours adaptée à la culture dans laquelle l’Évangile a été proclamé, en réussissant plus ou moins bien à ne pas compromettre l’Évangile ni s’aliéner la culture. L’Église a donc toujours dû poser la question : « Que peut-on accepter dans la culture, et que doit-on rejeter ou modifier ? »
Richard Niebuhr dans Christ and Culture explique 5 approches que l’Église a adoptées face à la culture. Je me contenterai ici d’énumérer 3 des 5 modèles pour illustrer la problématique.

Le Christ contre la culture
Dans ce modèle, le chrétien rejette essentiellement la culture et se retire de la société. Ce modèle a été adopté par certains chrétiens dans les premiers siècles de l’Église par la création de la vie en monastère et plus récemment par des fondamentalistes et une partie des anabaptistes conservateurs (comme les Amishs) qui se sont retirés plus ou moins complètement de la société. Ces chrétiens ont choisi de sortir littéralement de la société, pour créer une société parallèle. Ils ont donc rejeté, du moins en théorie, la culture et la société.

Le Christ de la culture
Ce modèle est à l’autre extrême et prétend que le Christ accomplit la culture, un peu comme Jésus dit qu’il est venu non pas pour abolir la loi des juifs mais pour l’accomplir. Selon ce modèle, le Christ s’insère parfaitement dans la culture et vient répondre à ses besoins et à ses aspirations. On ne ressent alors aucune tension entre l’Évangile et la culture ou entre l’Église et la société. Ce modèle a été adopté largement par les Églises protestantes dominantes (dites souvent « mainstream » ou « libérales »), qui n’ont pas adopté une attitude critique par rapport à la culture et à la société au tournant du 20e siècle. Dans ce modèle, puisque l’éthique sexuelle (par exemple) de la société est très permissive, l’éthique sexuelle de l’Église doit aussi l’être. Il n’y a pas de remise en question profonde des valeurs de la société.

Le Christ qui transforme la culture
Ce modèle a été adopté entre autres par de nombreux chrétiens des 4e et 5e siècles (dont Augustin), des églises réformées et des églises protestantes dominantes (« mainstream »), des anabaptistes, de nombreux évangéliques au 19e siècle et certains évangéliques progressistes encore aujourd’hui. Ce modèle considère que toutes les cultures et sociétés sont sous la juridiction de Dieu et sont jugées par lui. Il y a donc une attitude critique envers la culture et la société : le chrétien doit s’opposer à ce qui n’est pas conforme à l’Évangile ET bénir ce qui est compatible avec l’Évangile. En même temps, ce modèle affirme que l’Évangile a le pouvoir et le chrétien a le devoir de transformer les cultures et les sociétés, et non pas seulement de les juger. Il faut donc chercher à les rendre conforme autant que possible à l’Évangile, sans toutefois penser pouvoir faire de sa culture une culture chrétienne. Le chrétien (et l'Église) doit donc jouer un rôle « prophétique ».

Ce modèle insiste sur le fait que la Bible ne décrit pas Dieu seulement comme le Dieu de la rédemption mais aussi le Dieu de la création, qui demeure présent dans sa création et donc dans l’humanité. Il y a donc dans les cultures et les sociétés (et dans chaque humain) des éléments qui correspondent à la vérité et à l’Évangile. On voit dans l’œuvre du Christ non seulement la rédemption du pécheur, mais aussi la conversion et la transformation de la création et de la culture sous la souveraineté du Christ. Ce modèle estime que Dieu a déjà commencé à travailler dans le monde, qu’il n’attend pas le retour du Christ pour effacer et remplacer la création et les cultures.

L’Évangile au Québec
Il va sans dire que la plupart des évangéliques au Québec adoptent une position plus ou moins proche de la dernière et voient la nécessité d’entrer dans un dialogue critique avec la culture et la société autour d’eux. Or, ce dialogue n’est qu’amorcé. Nous sommes confrontés sur une base quotidienne à des éléments de notre société qui ne correspondent pas à l’Évangile et nous nous méfions par conséquent de notre culture. Aux États-Unis, le caractère païen de la société est moins clair à première vue. Les évangéliques états-uniens pensent souvent que le paganisme chez eux vient surtout des médias et d’Hollywood, alors que la culture et la société états-uniennes sont essentiellement chrétiennes. En réalité, on ne peut penser cela que si on réduit le christianisme à une série de valeurs conservatrices comme le mariage, la famille, la position pro-vie, l’assistance à l’Église, etc. (et si on ferme les yeux sur les millions d’États-uniens qui n’adoptent pas ces valeurs). Si on pense à d’autres valeurs bibliques comme la justice sociale ou la paix, les États-Unis sont loin d’être une nation chrétienne puisque cette société est profondément violente et injuste, davantage même que le Québec.

La culture grecque n’était pas plus chrétienne que la culture québécoise. Paul et les autres auteurs du Nouveau Testament l’ont pourtant citée et utilisée dans leur proclamation de l’Évangile. Sommes-nous capables nous aussi de reconnaître et bénir ce qui est bon dans la culture québécoise ? L’évangélisation est une tâche qui nous invite à entrer en dialogue avec la culture, donc à écouter et à comprendre. Il ne s’agit pas là de marketing pour rendre l’Évangile attrayant, mais du fait que la proclamation de l’Évangile et son incarnation dans notre culture le rendent nécessaire.

(article paru dans Le Lien 24/6 nov-déc 2007)

lundi 5 novembre 2007

La mort et le sens de la vie

Cela peut sembler étonnant, mais la Bible ne donne pas de réponse simple face aux questions de la mort et du sens de la vie. Cependant, le Nouveau Testament parle d'une espérance : puisque Dieu a ressuscité le Christ, celui qui place sa foi en lui a l’assurance d’être ressuscité à son tour. Cela ne répond pas à toutes les questions (la première étant : « qu'est-ce que la résurrection, au juste ? »), mais c’est un réconfort et une espérance devant le mystère et la tragédie de la mort. Et cette espérance doit aussi orienter la vie et le sens qu’on lui donne.

La mort et la résurrection nous confrontent à la question ultime : « quel est le sens de notre existence ? » et nous font reconnaître l’absurdité de la quête de la richesse et d’un meilleur statut social puisque, comme Jésus l’a dit, on ne peut rien emporter de cela avec nous dans la tombe (Lc 12,13-21 ; Mt 6,19-20). Quelles traces reste-t-il alors de notre passage sur terre?

Bien peu d’après Qohéleth (l’Écclésiaste) (voir Qo 1 ; 3 ; 9). Notre mort veut dire qu’on nous oubliera et que notre œuvre sur terre sera aussi oubliée et peut-être même corrompue par ceux qui suivront. Cela ne rend-il pas la vie absurde ?
Pas selon Jésus, qui affirme que le bien que nous avons fait aux gens, nous l’avons fait à lui (Mt 25,31-46). Nos actions, aussi insignifiantes qu’elles soient pour la postérité, ont une importance infinie puisque Dieu leur attribue une importance infinie et que les gens que nous avons touchés ont une valeur infinie aux yeux de Dieu.