lundi 31 mars 2008

Suspension de Peter Enns

Un professeur d'Ancien Testament de Westminster Theological Seminary, Peter Enns, vient d'être suspendu suite à la controverse autour de son livre Inspiration and Incarnation. Evangelicals and the Problem of the Old Testament. Cliquez ici pour l'annonce officielle. Pour des réactions à cette annonce et à la controverse, voir ce lien et ce lien. Merci à Steve Robitaille de m'avoir relayé l'information.

Le livre de Peter Enns avait créé la controverse il y a deux ans lors du congrès annuel de l'Evangelical Theological Society, la société savante nord-américaine.

J'ai lu le livre d'Enns et je dois avouer qu'il ne propose pas grand chose de radicalement nouveau, bon ou mauvais. Le mérite du livre tient surtout à l'identification de problèmes liés à l'étude scientifique de l'Ancien Testament, problèmes par ailleurs bien connus des biblistes vétéro-testamentaires. Enns propose que l'étude scientifique informe une doctrine évangélique de la Bible, et non seulement l'inverse. Je vous invite à lire le livre pour vous faire une idée.

Suggestion de lecture

Je vous invite à lire un bref article sur l'historien Jean Séguy qui a écrit (entre autres) un excellent livre sur l'histoire des assemblées mennonites (anabaptistes) de France. L'article est écrit par l'historien (et ami) Claude Baecher, professeur au Centre de formation et de rencontre Bienenberg.

Merci au blog du Centre mennonite de Paris pour le lien à cette adresse. On peut consulter le blog du CMP pour des nouvelles et commentaires intéressants.

mardi 25 mars 2008

Amos I

Le mensuel mennonite français Christ seul publie au cours des prochains mois une série d'articles sur le prophète Amos, dont le message est toujours d'actualité. On m'a demandé de contribuer en écrivant les trois premiers articles de la série. Voici le premier, publié en février 2008. Les autres suivront sous peu.

Amos, un prophète de son temps… et du nôtre

L’homme
Amos, qui exerce son ministère autour de 760 av. J.-C., est le premier prophète dit « écrivain », c’est-à-dire dont les oracles et visions ont été recueillis dans un livre biblique. Il diffère en cela de prophètes comme Nathan, Élie et Élisée dont les actes, visions et oracles sont rapportés dans des livres historiques comme Samuel et Rois. Le titre du livre (Am 1,1-2) se distingue de celui des autres livres prophétiques en donnant le métier du prophète avant son appel. En mettant ce titre en lien avec 7,14-15, les exégètes se sont demandé si Amos n’avait pas accompli une mission prophétique ponctuelle. Après avoir livré son message en Israël, Amos serait retourné en Juda reprendre son métier d’éleveur, possiblement après avoir été expulsé de Béthel (7,12-13). Ce qui est certain c’est qu’Amos n’était pas un « prophète de métier » contrairement à d’autres prophètes de son temps. Peut-être que son appel à prophétiser fut un « changement de carrière » permanent comme ce fut le cas pour Élisée (voir 1 R 19,19-21). Mais il est aussi possible que Yahvé ait suscité quelqu’un qui n’était pas un prophète professionnel ou officiel afin de mieux critiquer l’élite d’Israël, qui incluait non seulement les prêtres, le roi et sa cour, mais aussi des prophètes associés aux sanctuaires religieux ou au palais du roi (voir 1 R 18,19 ; 22).

Amos dit (7,14-15) qu’il n’est pas un prophète mais qu’il a été chargé de prophétiser. Il est possible qu’il entende par là qu’il n’est pas un prophète de profession, mais qu’il a reçu un message à transmettre. Il existe des parallèles à ce prophétisme non professionnel dans l’AT même (par exemple 1 S 10,9-12) et surtout à Mari (tell Hariri), l’ancien royaume sur l’Euphrate, où des prophètes professionnels co-existaient avec des gens sans statut prophétique mais qui ponctuellement proféraient un oracle d’un dieu.

Amos est donc prophète parce qu’il reçoit un message à transmettre de la part de Yahvé (3,3-8). Que sa vocation ait été ponctuelle ou permanente, il est clair que son rôle était d’abord d’annoncer à Israël le jugement de Yahvé pour ses fautes. On entrevoit ici une différence majeure avec la conception qu’on se fait souvent du prophète, soit un personnage fasciné par les prédictions. Amos s’intéresse plutôt au présent et voit là où le présent mène le peuple, soit au jugement et à la ruine.

Le message

Les prophéties bibliques doivent être comprises comme des sentences plutôt que des prédictions. Il s’agit de l’évaluation par Yahvé de la conduite du peuple et l’annonce des conséquences que cette conduite aura dans un avenir rapproché. En fait, l’avenir prédit peut même être changé par la repentance ou la prière/l’intercession (Am 5,14-15 ; 7,1-6 ; Is 38,1-5 ; Ez 3,16-21 ; Jr 36,1-3.7 ; Jon 3,1-5.10-4,2). Les oracles ont donc un rôle didactique (ou rhétorique) plutôt que prédictif.

Un des principaux reproches d’Amos envers Israël est l’injustice flagrante qui y règne, de même que l’exploitation des pauvres et des faibles. Nous y reviendrons dans le numéro d’avril de CHRIST SEUL. Il suffira pour l’instant de noter qu’au temps d’Amos, Israël était prospère et en paix avec ses voisins. Malheureusement, la prospérité se faisait en partie sur le dos des faibles. Les Israélites s’imaginaient que Yahvé était content du culte qu’on lui rendait puisqu’il y avait abondance de sacrifices en cette période faste. N’était-ce pas là l’essentiel ? Pas selon Amos, pour qui le culte devait être accompagné du respect de l’Alliance et de ses dispositions éthiques. Les sacrifices sans la justice ne valent rien (4,4-5 ; 5,21-24). C’est une mise en garde que reprendra Jésus (Mt 5,23-24).

Le message d’Amos peut ne pas sembler spirituel, puisqu’il est centré sur la justice sociale et l’économie. Les contemporains d’Amos arrivaient probablement à la même évaluation puisqu’au Proche-Orient ancien, les dieux ne se souciaient essentiellement que du culte et des sacrifices qui les nourrissaient. Amos nous révèle un Dieu fort différent : adorer Yahvé, c’est aussi se comporter de façon juste envers son prochain. Sans cela, notre adoration ne vaut rien. Ce rappel, de même que le discours d’Amos sur la justice sociale et les inégalités entre les riches et les pauvres, semblent avoir été écrits pour nous. Comme quoi l’humanité a bien peu changé en près de 3000 ans !


Pour une autre hypothèse intéressante sur le statut d'Amos, je vous conseille de lire l'article de Pierre Gilbert intitulé "A New Look at Amos' Prophetic Status" (que vous trouverez à l'adresse www.cmu.ca/faculty/pgilbert/articles/amos.shtml ou en fouillant dans le site de Pierre Gilbert (voir dans Mes liens)). Sur le rôle didactique des prophéties, consulter un autre article de Pierre Gilbert, "L'appel à la conversion chez les prophètes de l'Ancien Testament" (que vous trouverez à l'adresse http://www.cmu.ca/faculty/pgilbert/articles/conversion_art.shtml). Ce dernier article démontre bien que le rôle du prophète de l'Ancien Testament dépasse très largement le cadre qu'on lui impose souvent.

mardi 18 mars 2008

Il est vivant !

Le Christ est ressuscité !

La résurrection du Christ est sa victoire sur la mort et le péché. Sans la résurrection du Christ, par exemple si la croix (pourtant si centrale pour les évangéliques) n'est pas suivie de la résurrection, le chrétien ne peut espérer en sa propre résurrection. Et comme ce que nous croyons concernant l'après-vie a évidemment un impact sur notre vie sur Terre, la résurrection du Christ est la clé de voûte de la religion chrétienne. Le problème est que l'on comprend (ou du moins je comprends) si peu ce qu'est, au juste, la résurrection, même la seule qui a eu lieu (c'est du moins ce que nous croyons), soit celle du Christ. Aussitôt que nous tentons de dire autre chose que "il est vivant", nous sommes confrontés au mystère, à l'insondable. La résurrection du Christ n'est évidemment pas une simple réanimation physique. Elle n'est pas non plus une simple métaphore, une résurrection "spirituelle". La résurrection doit être corporelle pour avoir un réel sens (et pour être source d'espérance pour le chrétien, voir 1 Co 15), mais de quel corps s'agit-il ? De quel étrange phénomène est-il question ? Ceux qui comprennent la résurrection comme une réanimation purement physique objectent évidemment : "comment peut-il y avoir résurrection si nos molécules sont détruites après notre mort pour devenir une partie des arbres ou de l'oeil du beau-frère qui a mangé les choux qui ont poussé dans la terre nourrie par nos cadavres?"

Mais justement, la résurrection du Christ dans la compréhension chrétienne n'est CERTAINEMENT PAS une simple réanimation physique (ou reconstitution des molécules originelles). Les Évangiles évoquent le changement radical dans la nature du corps du Christ ressuscité, anomalie de la nature, et pourtant accomplissement parfait de la nature et de la vie. Le Ressuscité est plus vivant que tout être (corporel) vivant avant lui. Les Évangiles n'osent pas tenter d'expliquer le processus. Ils constatent que le Galiléen est de nouveau vivant. Confrontés aux apparitions déconcertantes du Ressuscité, le constat est donné, sans qu'on prétende comprendre la mécanique de la chose. Pour paraphraser Galilée : "Et pourtant, il est vivant !" Affirmer que le Christ est vivant, ce n'est pas pour autant savoir exactement comment une telle chose est possible.

Donc, l'altérité du corps du Ressuscité est radicale, mais sa corporalité n'en est pas moins évidente. De quel corps s'agit-il donc ? Et quel est le lien entre ce corps ressuscité et l'Église ? L'Église est, après tout, aussi décrite comme le corps du Christ. Quel est donc le lien, au juste, entre ce corps ressuscité et l'Église ? Une solution à ce mystère consiste à adopter une conception sacramentelle de la résurrection, qui ne nie nullement l'aspect corporel de celle-ci, mais insiste sur l'idée qu'on accède au Ressuscité par l'entremise de son corps, l'Église. C'est ce que plusieurs spécialistes de Jean perçoivent dans cet Évangile, dont Sandra M. Schneiders, que j'ai eu la joie d'entendre lors d'un passage à Montréal l'an dernier (elle a écrit abondamment sur Jean, si ces quelques lignes inspirées en partie par elle vous titillent). L'accès au Ressuscité pour le croyant se fait dans Jean notamment par l'entremise de la communauté de foi et par la participation à la célébration de la Cène. L'accès au Ressuscité ET l'espérance en la résurrection sont en effet liés en Jean à la célébration de la Cène, dont le récit est absent à la fin de Jean et est transposé aux côtés du miracle des 5000 hommes nourris par Jésus (Jn 6). Comme cela arrive souvent dans Jean, le sens du récit en est par conséquent transformé et approfondi. Plus je lis Jn 6 (et plus je lis Jean), plus j'ai l'impression de faire face à un océan dont la profondeur me donne le vertige et me réconforte à la fois.

Avez-vous compris quelque chose à mes élucubrations ? Je ne suis pas sûr d'avoir compris moi-même (je ne suis, après tout, qu'un bibliste de l'Ancien Testament). Mais je sais une chose... "Il est vivant !"