mercredi 7 novembre 2007

Les leçons de l'histoire

La Bible et l’histoire
Le genre littéraire le plus utilisé dans la Bible est le récit et une bonne partie des récits bibliques nous racontent l’histoire d’Israël. Il est un peu étrange que la Bible, le guide spirituel du chrétien, mette autant l’accent sur l’histoire, une dimension de l’existence humaine qui peut paraître plutôt « mondaine » et sans grande valeur pour la foi. D’un bout à l’autre de la Bible pourtant, une conviction profonde est communiquée : Dieu est un Dieu de l’Histoire, un Dieu qui agit dans l’histoire humaine et même un Dieu qui se révèle à travers cette histoire.

Si Dieu se révèle à travers l’histoire, il n’en demeure pas moins que celle-ci doit être interprétée pour nous permettre d’en comprendre le sens. Après tout, un même événement peut vouloir dire des choses bien différentes d’une personne à l’autre. Les Israélites, face à l’événement que constitue la sortie d’Égypte et la fin de l’esclavage, ne craignent-ils pas que Dieu les ait libérés pour pouvoir mieux les faire mourir dans le désert (Ex 14,11-12 ; 16,3) ? Un événement n’est donc pas en lui-même une révélation sur Dieu. Il nécessite une interprétation, une explication, ce que fait justement le livre de l’Exode qui décrit la sortie d’Égypte comme un acte libérateur de Yahvé en faveur de son peuple.

L’histoire d’Israël qui est rapportée dans l’Ancien Testament est précisément une histoire expliquée, interprétée. Il ne s’agit donc pas simplement d’un condensé des événements marquants de l’histoire d’Israël mais bien d’un exposé théologique sur le sens qu’on doit leur attribuer.

La théologie deutéronomiste
Or, une bonne partie de l’histoire d’Israël est expliquée à l’aide de la théologie de l’alliance qu’on retrouve dans le Deutéronome, en particulier dans Dt 30. Dans ce chapitre, qui parle de la nécessité d’être fidèle à l’alliance avec Dieu, Dieu dit :

je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le
malheur (…) c’est la vie et la mort que j’ai mises devant vous, c’est la
bénédiction et la malédiction. Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi
et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix
et en t’attachant à lui. C’est ainsi que tu vivras et que tu prolongeras
tes jours, en habitant sur la terre que le Seigneur a juré de donner à tes
pères Abraham, Isaac et Jacob (v.15-20, TOB).

Cette théologie du choix, typique du Deutéronome et qu’on appelle donc la « théologie deutéronomiste », sert de perspective théologique ou de grille d’interprétation de l’histoire pour les livres historiques de Josué, Juges, (1 et 2) Samuel et (1 et 2) Rois. Ces livres, qu’on désigne collectivement (et logiquement) sous le nom d’« Histoire deutéronomiste », insistent sur le fait que l’histoire d’Israël, dans ses revers et ses succès, s’explique par la fidélité à l’alliance puisque la sécurité et la prospérité du peuple sont uniquement le don gratuit de Dieu. Par conséquent, lorsque le peuple abandonne Dieu et est laissé à lui-même, il ne peut que s’attendre au malheur.

C’est pour cela que l’on insiste au début de chaque règne dans le livre des Rois sur l’évaluation « théologique » du roi : « il fit ce qui est mal (ou droit) aux yeux de Yahvé ». C’est cette évaluation qui compte aux yeux de l’auteur du livre des Rois davantage que les « accomplissements » du roi.

Une nuance doit être faite ici. La théologie de l’alliance ne prétend pas que Dieu bénit le peuple parce qu’il est fidèle à l’alliance, autrement dit parce que le peuple le « mérite ». Au contraire, l’alliance comme les bénéfices qui y sont associés (la délivrance des ennemis, par exemple lors de la sortie d’Égypte, ou le don de la terre promise aux Patriarches) sont des dons gratuits de Dieu. Pour pouvoir conserver ces dons cependant, Israël doit demeurer attaché à Dieu et doit rester fidèle à l’alliance. La sainteté de Dieu exige que le peuple se comporte d’une façon digne de lui, par exemple en n’exploitant pas les pauvres et en pratiquant la justice. Sinon, la communion avec Dieu est rompue. La « loi » (terme trop étroit pour traduire le mot hébreu torah, qui veut davantage dire « enseignement ») est donc non pas une façon de gagner la faveur de Dieu mais plutôt l’expression de l’amour et de la fidélité envers Dieu, l’expression du désir de demeurer en communion avec lui.
Les livres de « l’Histoire deutéronomiste » (Josué, Juges, Samuel et Rois) présentent donc l’histoire d’Israël à partir du schéma suivant :

infidélité à l’alliance ⇒ jugement (invasion d’ennemis)
repentance (ou fidélité à l’alliance) ⇒ délivrance et bénédiction

C’est ainsi qu’on explique en particulier le plus grand malheur de l’histoire d’Israël, la destruction des royaumes d’Israël et de Juda, suivie de l’exil de leurs populations. Ces événements dramatiques (il s’agit après tout de conquêtes sanglantes et de déportations de populations) sont expliqués par l’accumulation des fautes du peuple de Dieu et la rupture de l’alliance (lire en particulier 2 R 17,5-23 ; 21,10-16 ; 24,20).

Le but de(s) l’auteur(s) de l’Histoire deutéronomiste est de faire comprendre à ses lecteurs, qui vivent pendant ou après l’exil de Juda à Babylone, quelle est la cause de leurs malheurs. Face à ces malheurs, certains pensaient que Dieu avait abandonné son peuple ou qu’il ne se souciait pas de son sort (Ez 8,12 ; 9,9) ou même que Dieu avait été défait par Marduk, le dieu de Babylone. Or, la théologie deutéronomiste insiste sur le fait que les malheurs d’Israël ne sont pas dus à l’impuissance ou à l’indifférence de Dieu mais aux fautes d’Israël.

Malgré les apparences, il s’agit d’une bonne nouvelle. Dieu n’a pas abandonné son peuple, même dans le jugement que constitue l’exil. Le jugement pour les fautes a déjà eu lieu, le peuple peut espérer une amélioration de son sort s’il retourne à Dieu et se repent.

Une leçon pour aujourd’hui
La théologie deutéronomiste insiste beaucoup sur la responsabilité humaine. Elle nous rappelle que le malheur des humains peut être dû à leurs mauvais choix. Ce principe est d’ailleurs reconnu dans la sagesse populaire de la plupart des peuples comme le montrent les proverbes populaires du genre « Quand on crache en l’air, ça finit par nous retomber sur le nez ». La théologie deutéronomiste devrait nous responsabiliser dans nos choix en nous évitant d’imaginer que la grâce de Dieu est une « gomme à effacer » qui annule les conséquences des fautes et des mauvais choix.

Il ne faut toutefois pas faire de ce principe une loi absolue expliquant tous les malheurs. La Bible elle-même nous donne d’ailleurs des exemples de personnes fidèles à Dieu qui ont pourtant connu le malheur précisément à cause de leur fidélité (comme Jérémie ou Jésus). Et même lorsque le malheur est dû à nos mauvais choix, la Bible nous rappelle que Dieu ne nous abandonnera pas seuls à notre sort.

(article paru dans Le Lien 23/2, Mars-Avril 2006)

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